Chapitre 1

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     La sueur dégoulinait le long de sa nuque, glissant entre ses omoplates avant d’imprégner le tissu déjà moite du siège conducteur.

Voiture de merde, pensa–t–elle en grinçant des dents.

     Sur le siège passager, la manivelle de sa vitre la narguait. Sans décélérer, elle tendit la main pour s’en saisir et la retira aussitôt. Le petit bout de plastique noir était brûlant.

     Une vive douleur lui martelait le crâne au rythme des battements de son cœur. Les rayons implacables du soleil de juillet la forçaient à plisser les yeux. Si bien, que la migraine, d’abord discrète, s’intensifiait à chaque kilomètre.

     — Quelle conne ! grogna–t–elle en pensant aux lunettes de soleil qu’elle avait laissées sur le comptoir de la cuisine.

     À sa décharge, elle n’avait jamais prévu tout cela. Certes, l'idée de partir sur un coup de tête trottait depuis longtemps dans son esprit, bien dissimulée derrière d’immenses piles de listes de courses, de rendez‑vous à honorer, de tâches à effectuer, de gens à contenter et de rêves brisés à planquer sous le tapis. Pourtant, lorsqu’elle avait franchi la porte marron de sa petite maison au parterre fleuri et posé la main sur sa vieille Carcasse beige, l'évidence s’était imposée à elle.

     Elle avait jeté son sac à main sur la banquette arrière, claqué la portière, ce qui n'avait pas manqué de faire vibrer les rétroviseurs à l’avant, et, ainsi, disparue dans la Carcasse. Elle avait allumé l’auto‑radio puis démarré. Le moteur ronronnait comme un chat qui s'éveille sous les doux rayons du soleil. C'était ce qu’elle aimait le plus à propos de sa voiture : le son du moteur, régulier et profond, la comblait alors que tout le reste du véhicule tombait en ruine.

     — Je ne comprends pas que tu conduises une telle poubelle. Est-ce que tu penses à tes enfants un peu ? lui disait sa mère à chaque fois qu’elle la voyait au volant de la Carcasse.

     — Les enfants l’adorent, répliquait–elle d’un ton faussement insouciant face aux remontrances maternelles dont elle pensait, qu’avec l’âge, elles disparaîtraient.

     Rien n’était plus faux. La honte les rongeait à l’idée d'être vus dans ce vestige automobile qui ne tenait en un seul morceau que par la grâce divine. Parfois, ils pleuraient, cherchant la pitié dans le regard de leur mère qui, de toute façon, n'avait pas d’autre option.

« Tu ne devrais plus rouler avec ce tas de ferraille. Laisse‑moi t’en acheter une autre. Je m’occupe de tout et tu n’auras plus qu’à choisir la couleur. »

     Qui lui avait dit ça, déjà ? Son père ou son ex ? Elle secoua la tête, incapable de focaliser son attention sur ce vieux souvenir. Définitivement un homme, de cela, elle était sûre. Tout le monde semblait décidé à la séparer de sa vieille voiture mais à chaque fois qu’on l’évoquait, un sourire résigné flottait sur son visage.

Au moins on se souviendra de moi, pensait-elle.

     Une grosse goutte de sueur roula entre ses seins. Elle se tortilla sur son siège humide, tirant sur son short kaki.

     Alors que sa migraine redoublait d’intensité, un coup sourd retentit. Elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur. Il n’y avait personne, derrière comme devant. Le macadam brûlant incisait à la perfection le paysage aride. Roches et sable se disputaient la majeure partie du territoire tandis que, tous les quelques kilomètres, un groupe de cactus revendiquait sa part du lion. Une personne très attentive pourrait apercevoir un phénomène rare mais d’une beauté exceptionnelle tant il était inattendu : une touffe d'herbe s'était extirpée d’une fissure, entourant, telle la garde royale, une fleur aux pétales jaunes. La nature reprenant ses droits, s’efforçant d’effacer petit à petit les marques de l’Homme.

     — Bravo ! s’écriait‑on en applaudissant à tout rompre. Continue comme ça !

     Comme si des vivats et des encouragements suffiraient à en assurer sa survie.

     À l'arrière du véhicule, on frappa. Une, deux, trois fois.

     — La ferme ! hurla‑t‑elle à l’intention de la banquette vide.

     Elle jeta un regard furibond dans le rétroviseur, puis tendit la main vers l'autoradio, aussi intouchable que le cadavre de la manivelle de la vitre. Elle serra les dents pour retenir un juron. Lentement, elle expira par la bouche et s’autorisa à fermer les yeux un bref instant. Lorsqu'elle les rouvrit, les rayons du soleil l’aveuglèrent. La Carcasse fit une embardée, franchissant l’épaisse ligne qui séparait les deux voies de circulation. Agrippant le volant brûlant, elle tira d’un coup sec. La Carcasse retournait docilement sur le droit chemin, lorsqu’un choc soudain l’ébranla, arrachant un cri d’horreur mêlé de surprise à sa conductrice. Sur le pare‑brise, une immense tache de sang se répandait, conquérant chaque centimètre carré de la vitre. Plantant les deux pieds sur le frein, elle pila en plein milieu de la voie déserte. Dans sa poitrine, son cœur battait à tout rompre. Dans son crâne, la migraine tambourinait sur le même rythme. Elle tira le frein à main, comme si la Carcasse pouvait partir sans elle sur une route aussi plate. De ses doigts à la peau craquelée, elle effleura d’abord la poignée d’ouverture, hésitant à quitter sa coquille de métal. Elle se décida en ouvrant en grand la portière qu’elle laissa telle quelle, tandis que moteur ronronnait toujours, prêt à repartir à tout moment. La chaleur paraissant moins étouffante une fois dehors. Elle essuya ses mains moites sur le bas de son débardeur blanc trempé de sueur et ramena ses cheveux en arrière. Une mèche resta obstinément collée à son front.

     — Merde, laissa‑t‑elle échapper.

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