PI (LIERS)

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Non, contrairement à ce que j'ai pu penser auparavant, l'amour n'est pas mort. Certes, il est peut-être laborieux, il laisse fréquemment des empreintes et des cicatrices ; mais parfois, il peut prendre de nouvelles formes. Je l'entends dans la voix de mon cousin quand celui-ci se laisse aller et se confie à ma meilleure amie.

Je le sens dans l'atmosphère douillette qui se dégage de leur échange. Et même si je ne peux pas les voir, je peux me l'imaginer dans l'expression conciliante de May et dans le visage plaisant de Léo. Leurs chuchotements me bercent et m'apaisent. C'est l'esprit serein que je sombre à nouveau, mais cette fois pour des rêves bien plus colorés que les précédents.

Lorsque j'émerge de nouveau, mes yeux s'ouvrent d'eux-mêmes sur une May paisiblement endormie à mon chevet. Plus que désireuse de me rendre aux toilettes, je tente de libérer délicatement ma main de la sienne, sauf que les mouvements du lit finissent par la réveiller.

En me voyant consciente, un sourire narquois étire voluptueusement ses lèvres charnues, avant qu'elle ne craque et ne me dise sarcastique.

_ Tu as pris ton temps dit donc ma belle. Ça fait longtemps que je t'attends, tu sais. Je croyais que tu étais revenu céans dans l'unique but d'empoisonner un peu la vie de cette famille merdique, de prendre possession de ton héritage et de te tirer à Paris au plus vite.

Aussi joueuse qu'elle, j'affiche un rictus ironique et réplique.

_ Il faut croire que je ne peux rien sans toi chérie. J'attendais que la tarée que tu es rapplique à la rescousse pour m'aider à leur régler leur compte.

Heureuses de nous retrouver, nous tombons dans les bras l'une de l'autre, avant que je me détache d'elle pour courir instinctivement vers ce je pense être les toilettes sous le fou rire de May.

_ En es-tu certaine, qu'il était indispensable que je vienne en somme, chérie ? me demande May à travers la porte des WC. Car la vitesse avec laquelle tu viens de détaler vers les chiottes ; me révèle clairement l'urgence du moment, me balance-t-elle hilare.

Elle ricane avant de reprendre.

_ Dieu merci, tu n'as pas viré ce truc qu'ils t'ont foutu pour que tu urines. Putain, je conçois à peine la douleur, dit-elle en faisant semblant de gémir.

Tout comme elle, je m'amuse quelque peu de la situation et encore plus quand je vois ce qui est accroché à moi sous ma blouse d'hôpital. Mais ne m'en formalise pas plus que ça, même si me soulager au travers d'une sonde ne me réjouisse guère. En tout état de cause, quel autre choix avait le personnel médical, après que Léo m'ait vu perdre les pédales comme seule une timbrée le ferait.

À cet instant, la tristesse ainsi que le mal de tête qui me rattrape, m'étouffe et pince le cœur.

Les circonstances sont déplorables et me remémorer ceux qui m'ont conduit directement dans cette chambre d'hôpital, ne me font aucun bien. Sauf que je ne peux pas les enterrer et encore moins les effacer. Il semble que je sois coincé avec eux comme un flagrant rappel de ma disgrâce. Du reste, je ne cesse de m'interroger sur certaines choses qui me paraissaient avant naturelles et fondamentales.

Les membres d'une même famille, sont-ils vraiment obligés de s'aimer ? Doivent-ils nécessairement construire une relation ? Peuvent-ils néanmoins s'éviter pour l'éternité ? Toutes ces questions tournent en boucle dans ma tête.

Je ne sais pas pourquoi nous en venons à nous faire si mal. Et par-dessus tout, je ne comprends pas pourquoi je dois être la seule à m'acquitter des frais de tous les malheurs qui s'abattent sur nous.

Certes, je suis fortuné à millions, mais je rends compte enfin à quel point, l'argent n'assure pas le bonheur. J'aurais préféré mille fois être la fille banale d'une famille aimante, que cette chose froide et amère que je deviens au fil des révélations qui fracassent mon existence.

Je me fais peur.

Car si je pouvais être honnête pour la première fois depuis des lustres, j'aurais reconnu que je voulais désespérément qu'Arnaud m'aime de nouveau pour moi-même et que l'amour que je ressentais encore pour lui ne me fasse pas autant souffrir.

Mais ce que je souhaitais par-dessus toute autre chose, c'était d'avoir au moins eu une chance de connaître tous ceux qui m'avaient été brutalement arraché et qui m'aimais sincèrement.

Mon grand-père, ma grand-mère, ma mère, et même mon père.

Des piliers, des repères qui ne me fassent pas me sentir totalement vide et mal aimé.

Pourtant complètement prise aujourd'hui dans un engrenage de haine et de ressentiments, je ne vois pas comment arranger les choses. Ce qui m'amène à penser aux choix discutables de Papi Lou.

Il n'aurait pas dû me dissimuler durant tout ce temps cette vérité, bien que dérangeante. Toute cette tristesse aurait pu être évitée si seulement nous ne formions pas une famille aussi handicapée aux sentiments.

Alors que je sors de la salle de bain, perdu dans des réflexions stériles, je suis interrompu par une voix que je sais avoir entendue auparavant.

_ Content de vous revoir parmi nous mademoiselle Laugier. Léo sera ravi de vous savoir réveillé, je suis le docteur Lancelot.

Il tend sa main droite, que je saisis afin de le saluer.

_ Enchantée, dis-je avant de comprendre qu'il est certainement l'homme avec qui Léo discutait.

Alors sans lui laisser l'opportunité de me répondre, j'enchaîne.

_ Vous devez être Mase, le compagnon de Léo.

Gêné, celui-ci évite le sujet et m'interroge plutôt sur mon état.

_ Comment vous sentez-vous ?

_ Et vous ?

_ Moi ?

_ Oui, vous.

_ C'est davantage une question pour vous au vu de la crise caractérisée que vous nous avez faite.

_ Sans doute, mais la situation n'est pas aussi préoccupante que vous le croyez. J'ai seulement fait une petite crise de nerfs induite par une surcharge émotionnelle. D'ailleurs, qui pourrait me le reprocher après ce que je viens de traverser ? Cela n'a rien d'exceptionnelle, alors nous n'allons faire ça docteur.

_ Qu'entendez-vous par nous n'allons pas faire ça ?

Je plaque un sourire ironique sur mes lèvres et débite dépitée.

_ Vous le savez très bien, alors arrêter immédiatement ce petit jeu. Vous croyez à tort que j'ai besoin d'une de ces fameuses discussions psychologiques, or vous vous trompez si vous pensez que je vais y prendre part.

_ Pourquoi, non ? Toute votre vie vient d'être remise en question Aelys, je pense qu'une psycho-thérapie vous ferait le plus grand bien.

_ Contrairement à vous , je pense que c'est rentrer chez moi qui me ferais le plus grand bien.

Je souffle.

_ Ecoutez, je ne désire qu'une seule chose c'est me tirer d'ici, alors ne me rendez pas les choses difficiles.

_ Réalisez-vous seulement, que vous venez de passer quatre jours dans l'inconscience ? Léo et votre amie ici présente étaient morts d'inquiétude, il m'est impossible de faire ce que vous suggérez.

_ Bon sang, Aelys ! Veux-tu bien écouter pour une fois, intervient May.

Contrariée, je réplique.

_ Un psy, May. Un psy, sérieusement ?

Elle s'approche de moi et m'enlace.

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