MA (Y)

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Papi Lou a raison depuis le début, il semble que nous sommes tous les pitoyables héritiers d'un amour perdu. Un amour que nos parents prétendaient ressentir sans être aussi fort qu'ils le croyaient. La douleur de cette évidence résonne en moi tel un chant destructeur. Il fait écho à une souffrance qui ne me quitte plus et ne cesse de m'accompagner où que j'aille. Comme le dit le proverbe, toute vérité n'est pas bonne à dire ou plutôt il est facile d'aimer ceux qui prêchent la vérité, tant que celle-ci ne nous concernent pas ou se trouvent loin de la succession de factualité qu'est notre vie.

Orgueilleuse par le passé, j'ai toujours cru que je préférais un assentiment entier à un doux mensonge. Encrée dans mes certitudes, je croyais tout savoir, pensant qu'il était bon d'être franc en toutes circonstances. Aujourd'hui, je ne suis plus si certaine de mon choix parce que mes convictions vacillent dangereusement. J'ouvre les yeux sur une autre sorte réalité qui me démontre sans ambages que l'honnêteté fait mal. Plus encore, elle a la capacité de briser un être complètement sans lui laisser la chance ou la possibilité de guérir.

Et depuis mon arrivée, je ne cesse d'y revenir parce que cet endroit ne cesse de me confronter au pire. Il me prouve que la vie n'est pas un long fleuve tranquille, qu'il y a des épreuves pour lesquelles, je ne serais jamais prête. Enfoncée dans un abîme au sens propre comme au sens figuré, je cherche une porte de sortie. Mais puis-je vraiment la trouver quand on sait que je n'ai pas la moindre idée quant au chemin que je dois emprunter ? Je ne sais même pas qui je suis et encore moins ce que je suis supposé être.

Alors que je m'interroge encore, les pleure de Léo transpercent l'épais brouillard qui m'emprisonne et mon cœur, déjà fragilisé, se disloque de douleur pour la peine qui semble le dévorer. Malgré lui ou à cause de lui, mon cousin porte la croix du secret. Et d'expérience, je sais au combien elle peut être lourde lorsqu'elle grignote un peu plus chaque jour un bout de votre âme. Emportant avec elle nos bons sentiments, faisant de nous des êtres vide de sens, crachant l'être machiavel en nous. C'est dur, c'est triste et cela assombrit même les meilleures choses.

J'essaye désespérément de me sortir de mon état léthargique sachant aujourd'hui à quel point Léo a besoin de moi.

Or, mes yeux refusent tout bonnement de s'ouvrir, ce qui attise la colère sourde qui me ronge.

Une porte s'ouvre à nouveau, à toute volée, des talons se font entendre et je pense un instant halluciner quand je reconnais la voix de May. À cet instant, j'en pleurais presque de reconnaissance, car j'ai bien plus besoin de ma meilleure amie que d'air pour respirer.

_ Bonjour, vous devez être Léo ? aborde-telle mon cousin de front.

Celui-ci sans doute prit au dépourvu, renifle.

_ Oui, c'est moi. Et vous, May, si j'en crois le portable d'Aléys dit-il la voix rauque alors que le bruit d'une chaise racle le sol.

Reprenant la parole, le ton bien plus inquiet qu'à son arrivée, May demande :

_ Un problème avec Aélys ? Son état est bien plus grave que ce que vous m'en avez dit au téléphone ?

_ Non, non, du tout. C'est simplement que je suis à bout de nerfs et que je viens tout juste de me disputer avec quelqu'un ; mais en dehors de cela, pas d'inquiétude. Lys se la joue simplement la belle au bois dormant.

May éclate de rire.

_ Vous possédez le genre de dérision qu'aime Lys, je comprends à présent pourquoi elle vous aime autant, continue de ricaner May.

_ Parce-qu'elle vous a parlé de moi ? s'étonne Léo.

_ Bien sûr, qu'elle parle de vous et des autres. Vous pensiez sincèrement que six ans de fuite lui avaient fait oublier ceux qu'elle chérit et ceux qu'elle déteste ?

_ Non, mais six ans, c'est interminable.

_ Peut-être, mais à qui la faute ?

_ Je sais très bien que la responsabilité de cette séparation ne lui incombe pas. Or, bien que je le sache avec exactitude, il n'empêche que je lui en veuille. C'est sans doute mesquin de ma part, mais je me dis que s'il est naturel de rompre toutes relations avec ceux qui lui ont fait du mal, pourquoi le faire avec ceux qui l'aime tout autant que moi ? À l'époque, j'avais besoin d'elle, vraiment besoin d'elle et elle n'était pas là. Aix n'est pas si loin de Paris, si ?

May soupire d'agacement et je sais qu'en principe, ce n'est jamais bon signe.

_ Et vous, où étiez-vous ? Où étiez-vous quand elle avait besoin d'être défendu contre la bande hyènes que constitue celles qu'elle prenait pour sa mère et sa sœur ? Vous êtes-vous interposé quand ils ont tous fait d'elle une meurtrière ? L'avez-vous protégé comme vous le deviez ? Vous l'aimez certes, mais cela ne suffit pas quand on sait qu'elle était bien plus brisée par l'abandon de sa famille que par le rejet de ce connard d'Arnaud Allarence. Parce-qu'il me semble que Paris n'est pas si loin d'Aix, si ?

Cette fois, c'est Léo qui éclate de rire.

_ Arrêtons le vouvoiement si tu veux bien, j'ai l'impression de faire me sermonner par mon ancienne directrice de thèse et je n'ai plus l'âge de ce genre connerie. De plus, en ce qui te concerne, je n'ai plus le moindre doute ; tu ne peux être que la meilleure amie de Lys. Et face à l'habileté de ta contre-attaque, je ne peux que m'incliner. De toute façon, il est inutile de nous disputer, car je n'en veux pas réellement à ma cousine. Je suis simplement sous pression, incapable de gérer plusieurs situations explosives en même temps. D'ailleurs, à y regarder de plus près, je me demande comment Lys a pu tenir toutes ces années.

May soupire, puis reprend la parole.

_ C'était très difficile, mais c'est une femme forte donc elle a fait avec. Au début, elle était plus que méfiante, elle ne laissait personne entrer, mais je ne l'ai pas laissé faire. J'ai dû insister parce que j'ai compris assez rapidement qu'elle avait besoin de quelqu'un donc au fil du temps, nous sommes devenue proches puis inséparable. Aujourd'hui, notre relation fait plus d'elle m'a sœur que mon amie. C'est pour ça que je m'en veux de l'avoir laissé entreprendre seule ce voyage, surtout au vu de ce qu'elle a dû supporter en moins de deux jours de la part de votre famille de dingues.

_ Tu es bien la deuxième personne à me dire que notre famille est givrée, rétorque Léo d'une voix abattue.

Le silence s'étire quelques secondes jusqu'à ce que May interroge, Léo.

_ Et maintenant, si tu me disais ce qui t'arrive. Je sais très bien écouter.

En discernant les mots de May, je lui suis reconnaissante. La perche qu'elle lui tend me prouve une fois de plus que je ne me suis pas trompé en acceptant son amitié et son soutien. Parce qu'elle m'aime, elle redonne généreusement à Léo une chance. Une opportunité que je ne peux lui accorder en étant inconsciente. Une oreille compatissante, des conseils avisés et une preuve de bienveillance malgré son discours qu'elle est loin d'avoir apprécié et pour ça, je l'aime davantage.

L'amour n'est pas mort, il prends juste de nouvelles formes.

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