Prologue

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Mon corps se redresse soudainement et un long cri s’échappe de ma gorge. Toujours le même rêve. Toujours cette fille qui hurle un nom, un prénom qui ne m’appartient pas, tout en me regardant droit dans les yeux. Une femme que je n’ai jamais vue auparavant. Elle m’appelle, de loin, très loin, sa voix presque un murmure. Pourtant, elle se tient devant moi, tout près, la main tendue, effleurant à peine ma joue. Je ne sais pas si elle me demande de la suivre, ou si elle cherche à me réveiller. Peut-être est-ce simplement un moyen pour mon cerveau de m’indiquer que ma nuit est finie. Ce visage, doux et dur à la fois, empli d’une empathie démesurée, et d’un pragmatisme inégalé. Je scrute chaque recoin, espérant un jour tomber nez à nez avec elle.

« Raen »…

Les draps trempés, le souffle court, je reprends doucement conscience de ce qui m’entoure alors que je m’extirpe enfin de ce cauchemar hantant toutes mes nuits depuis plusieurs années. Ma main passe sur mon visage et mes cheveux, et se retrouve recouverte de sueur. Quatre heures du matin.

Sous l’eau, je repense à ce rêve, à cette fille que je n’arrive pas à identifier. Aucune réponse, aucune découverte, que je sache, mon esprit a pu créer cette personne de toute pièce, mais parait-il que nous sommes incapables d’imaginer des visages, seulement réutiliser ceux que nous avons déjà aperçu au moins une fois durant notre vie. Malgré mes vingt-cinq années d’existence, je n’ai pas souvenir d’elle. Elle m’obsède.

Les gouttes chaudes massent mes muscles endoloris par les multiples tâches de la veille et un soupir se dérobe alors que ma tête se jette en arrière sous le jet d’eau. Mes bras s’allongent, s’étirent, mon torse s’étend, mes abdos se détendent et j’émets un grognement de satisfaction.

En sortant de la douche, je passe la serviette dans mes cheveux, sur mon corps et m’habillent de mes vêtements de combat. Mon père considérant les miroirs comme une perte de temps, je n’ai pas besoin de passer des heures à vérifier ma coupe, mon visage, ou mon corps. Même le rasage doit s’effectuer à l’aveugle. Je n’ai quasiment pas idée de ce à quoi je ressemble et je n’ai jamais ressenti le besoin de me voir. Ma mission est ailleurs.

En bas des escaliers, je retrouve un papier, glissé sous une assiette d’œufs brouillés froids et une tranche de pain grillé maintenant dur comme de la pierre. Hidram se lève encore plus tôt que moi, du moins s’il lui arrive de dormir. Sur ce point, nous sommes pareils, lui et moi. Mes tourments me laissent peu de répit. Entre ces rêves, ou ces prémonitions et les souvenirs de mes meurtres, pillages et autres crimes commis plusieurs fois par semaine, le sommeil ne cherche même pas à m’emporter.

Un coup d’œil à l’adresse inscrite dans la belle écriture de mon père, et j’attrape mes armes, avant de passer la porte sans attendre une seconde de plus, une unique seconde qui pourrait facilement me pousser à faire demi-tour, prendre mes affaires, et ne jamais revenir.

Ma main traverse le faible espace qui la sépare de ma dague, calmement rentrée dans son fourreau, silencieuse, mais vibrante. Sa lame se gorge de sa magie, s’enflamme, devient rouge et chauffe ma cuisse alors que la créature en face de moi se jette à ma gorge. Le temps s’étiole, se ralentit, je le vois, ses énormes griffes attachées à des membres longs, fins, aussi fins que des os sous une peau rugueuse, verte, marron, putride. Un Tétan. Un des monstres les plus meurtriers de mon monde.

Alors que je le regarde s’approcher doucement dans les airs, mes sens prennent le temps de scanner ce qui se situe autour de moi. Une maison des plus classiques, appartenant à une famille plutôt aisée d’après les meubles, les lustres, les tapis, les sculptures et les tableaux de portrait familiaux, certainement une royauté d’un ancien temps. Je me trouve dans la bonne demeure.

Ma Mission s’est retrouvée compromise lorsque cette bête s’est dévoilée au beau milieu de la pièce à vivre. Bien qu’aveugle, sa perception du son dépasse de bien loin mon espèce, déjà gâtée en ce qui concerne les habilités de discrétion, de vol, et de persuasion. Alors que je m’attendais à ne trouver personne, les yeux bien en l’air, le sol se trouvait jonché de verre, de débris cassés et des corps. Une petite fille et deux femmes. Des sentinelles. Physiquement très proches des humains, avec quelques capacités supplémentaires, forcés par l’évolution. Ma seconde d’inattention, dû à la rareté de rencontrer des femelles après la Grande Suppression, a suffit pour que le Tétan percute ma présence et me pourchassent dans les différentes pièces.

Pour une raison qui précède ma naissance, les femmes de mon monde ont été éradiquées. La science s’est étroitement liée à la magie, ironique à l’époque, et la Conception n’a plus nécessité un mâle et une femelle. Elle est devenue plus spirituelle, et n’importe qui pouvait développer, convoquer une progéniture. Les autorités ont tenté de limiter la prolifération mais très rapidement, les familles incapables d’enfanter, les hommes et les femmes avides de pouvoir, souhaitant créer des machines de guerres, des esclaves, qu’importe ce qu’ils nécessitaient, tout ceci leur était soudainement possible. Tout le monde était capable de magie, les enfants ont envahi la planète, ont grandi à une vitesse pharamineuse et ont surpeuplé ce qui était déjà complètement rempli.

Les hommes, toujours au pouvoir, ont décidé de se débarrasser des femmes, surtout les sous-peuples, les pauvres, les sentinelles, les Maors, les Kleits, des populations déjà faibles, des évolutions non contrôlés et par conséquent dangereuses. Certaines ne se servaient même plus de leur magie, ne désirant plus faire partie de cette croissance étrange, de toutes ces nouvelles aptitudes que notre planète nous implantait sans savoir pourquoi. Beaucoup souhaitaient disparaître, ou seulement vivre une vie tranquille, dans l’amour de leur famille et de leur proche. Comme si notre environnement désirait nous voir souffrir, dans l’incompréhension totale, nous ensevelir dans le chaos de la recherche constante du pouvoir.

Je suis un mercenaire. Je tue, je pille et j’obéis aux ordres. Un gigantesque Y se dessine dans mon dos pour rappeler à tous quelles sont mes origines. Pour rappeler que je suis un Yon, un enfant issu de la magie. Je n’en possède pas moi-même, du moins, c’est ce que mon malheureux père a découvert à ma naissance, le forçant à m’entraîner au combat et aux facultés plus anciennes que possédaient les êtres non-magiques. Ma dague étant le seul artefact que je puisse manipuler.

Ainsi, devant ce Tétan, maintenant à quelques centimètres de moi, je dégaine ma dague, et d’un coup sec, rapide, tranchant, je lui sectionne la gorge, juste en dessous de la bouche, alors qu'une vive douleur me submerge au même moment. Mes yeux se ferment plusieurs fois, rester conscient est de plus en plus dur suite à la grande griffe me traversant au niveau du ventre. Juste le temps de relever la tête, et d’apercevoir un bout de son énorme patte disparut dans un cercle de lumière blanche. De la magie lui a permis de faire réapparaître son arme dans mon dos. Dans un dernier soupir, nous nous écroulons tous les deux au sol, avant que celui-ci ne s’ouvre sous moi. Je tombe pendant plusieurs secondes, et je me rappelle, avant de m’évanouir, que les Tétans ne sont pas capables de magie.

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