Chapitre 1

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Talia regardait la lumière bleue de l’ambulance clignoter dans le salon. Les pompiers descendirent son oncle Sam sur une civière, il était blanc comme un linge, les yeux fermés, il semblait si faible ! L’assistante sociale prévenue par la gendarmerie, les suivait de près et s’arrêta en bas de l’escalier. Talia les regarda le transporter dans l’ambulance, se leva pour les suivre quand, une main lui saisit le bras.

- Lâchez-moi, ma place est avec mon oncle, dit-elle sans que sa voix ne tremble et ne laisse transparaître sa douleur, mais la femme lui répondit d’une voix douce,

- Non, je suis désolée mais je ne peux pas te laisser y aller, tu viens de subir un choc. Tu dois rester ici, tu pourras toujours aller le voir demain.

Elle eut le don de l’énerver. Le voir demain ! Mais demain il sera peut-être mort ! pensa la jeune fille. Talia se força à se calmer et répondit d’une voix un peu froide :

- Mais vous êtes qui pour décider ainsi ? Demain mon oncle ne sera peut-être plus de ce monde. Je ne vous permets donc pas de juger si je suis « choquée » ou non.

- Excuse-moi Talia, je ne me suis pas présentée, je suis Angeline, assistante sociale. Je suis chargée de m’occuper de toi le temps que l’on te trouve une famille d’accueil. Elle s’arrêta un court instant, avant de répéter, je suis désolée mais je ne peux pas te laisser y aller, ta place n’est pas dans un hôpital pour le moment.

Elle n’avait pas élevé la voix, mais cette dernière phrase lui fit l’effet d’une claque, elle dégagea son bras et lui jeta un regard noir avant de monter dans sa chambre en claquant la porte. Ma place n’est pas dans un hôpital, non, mais je rêve ! Mais pour qui elle se prend ! Elle ne sait pas ce que j’ai enduré pendant toutes ces années ! Elle était énervée mais surtout très triste. Elle se laissa tomber sur son lit attrapant son iPod au passage, puis sélectionna Over my shoulders. Dès les premières notes, elle ferma les yeux, la musique la berça et presque dix minutes plus tard, tandis que les musiques défilaient, elle sombrait dans un état de demi-sommeil. Les contours de sa grande chambre encore décorée de couleurs d’enfant devinrent flous. Elle sentit alors, une main froide caressée doucement ses cheveux, murmurant à travers la musique,

- Dors mon ange… Demain est un autre jour… Sois en certaine…

- Maman… marmonna-t-elle à moitié endormie.

La main continua de lui caresser les cheveux, l’apaisant et l’aidant à trouver un sommeil sans rêve…

Angeline regardait la jeune fille monter les escaliers et en déduisit qu’elle était allée se réfugier dans sa chambre en entendant une porte claquer. Elle soupira, détestant que les jeunes soient interdits d’accompagner leur famille, mais c’était mieux ainsi. Angeline se leva et se mit à chercher le nécessaire pour nettoyer la chambre. La police scientifique venait de repartir et lui en avait donné l’autorisation. Après avoir rassemblé ce qu’il lui fallait, elle monta dans la chambre de l’oncle et prit alors vraiment conscience que cet homme flirtait peut-être en ce moment même avec la mort. Elle posa les produits et ouvrit la fenêtre pour faire d’une part disparaître l’odeur de sang et d’autre part pour rafraîchir cette pièce qui ne semblait pas avoir été aérée depuis un long moment. Elle attrapa une serpillière et entreprit d’enlever l’énorme tache de sang qui se trouvait au milieu du parquet de sapin. Il se passa une heure, une heure pendant laquelle elle nettoya la chambre de fond en comble tout en rangeant un peu. Ce qui n’était pas une mince à faire au vu du capharnaüm qui régnait dans cette petite pièce ; entre les photos de famille, les nombreux papiers posés un peu partout que ce soit sur les murs, le sol ou les meubles, sans compter la poussière, il y avait un immense travail à faire. Une fois tout fini, Angeline redescendit en éteignant toutes les lumières et se dirigea vers la cuisine. Elle décida de regarder dans tous les placards, mais la cuisine était si bien rangée et très organisée qu’il ne lui fallut pas longtemps pour trouver de quoi préparer à manger. Pendant que le plat mijotait, elle mit la table puis s’assit sur une chaise, attendant que Talia se décide à descendre. Elle sortit un livre de sa sacoche et reprit sa lecture.

Talia ouvrit brusquement les yeux. Zut ! Elle regarda son réveil : 20h00. Une heure et demi. Une heure et demi s’était écoulée depuis la tentative de suicide de son oncle. Elle n’arrivait pas à y croire. Pourtant, tout était comme d’habitude. Enfin, presque. Elle avait eu un étrange pressentiment, mais l’avait ignoré, elle n’aurait peut-être pas dû. Elle était rentrée, la maison était plongée dans la pénombre, après être montée dans sa chambre et avoir posé ses affaires, elle avait fermé tous les volets et rideaux de la maison. Puis elle avait fait ses devoirs. Quand à 18h30, elle avait entendu un grand bruit dans la chambre de son oncle. Elle avait couru et l’avait découvert étendu, face contre terre, baignant dans son sang. Elle n’avait pas paniqué, au contraire, elle avait appelé les secours et suivant leurs instructions l’avait mis en position latérale de sécurité. En se remémorant tout ce qui s’était passé, cherchant à savoir pourquoi il avait fait ça, la réponse lui apparut, comme évidente. Il voulait rejoindre sa tante et sa sœur – soit sa mère -, mais, et elle dans l’histoire ? Elle devenait quoi ? Elle n’avait que quinze ans après tout… Elle soupira, n’ayant aucune envie de penser à ça. Elle se leva, éteignit son iPod, qui continuait de passer des musiques dans ses oreilles, le reposa sur la table de nuit et sortit de la chambre.

Tout l’étage était plongé dans le noir, elle ne prit même pas la peine d’allumer les lumières, elle arrivait sans aucun mal à se diriger dans le noir. Elle passa devant la porte de la chambre de son oncle et s’arrêta, elle inspira un grand coup et ouvrit la porte. En sentant un courant d’air frais passer sur son visage, elle alluma la lumière, intriguée. La fenêtre était ouverte, et cela semblait illuminer la pièce bien qu’il fasse maintenant nuit. Cette fenêtre qui depuis longtemps - pour ne pas dire toujours- semblait scellée était enfin ouverte. La pièce, elle, avait été nettoyée, mais tout avait été remis à la place exacte où il était, bien que la chambre paraisse plus ordonnée. Sur le sol, on ne distinguait presque plus l’endroit où la marre de sang se trouvait que par une auréole légèrement plus foncée sur le parquet. Elle éteignit la lumière et referma la porte. Le reste de la maison était aussi plongé dans le noir, mais elle distinguait de la lumière filtrant sous la porte de la cuisine. Elle l’ouvrit en clignant des yeux, éblouie par la clarté et elle vit alors l’assistante sociale, assise sur une chaise. Elle ne dit rien et se contenta de l’observer. Elle devait avoir entre trente-cinq et quarante ans, ses cheveux noirs, relevé en un chignon bien serré lui donnaient un air de maîtresse d’école sévère. Elle portait un tailleur gris accompagné d’une chemise blanche, ce qui relevait le teint foncé de sa peau. Ses yeux étaient d’un noir d’encre profond. Elle leva la tête vers la jeune fille, comme surprise de la trouver là. Ses yeux étaient encore encombrés de sa lecture, elle mit quelques instants à reprendre pieds dans la réalité.

- Bonsoir Talia, si tu as faim installe-toi. C’est presque prêt.

Talia s’installa sur une chaise en face d’elle et la regarda poser le plat de pâtes sur la table. L’odeur de bolognaise faite maison lui chatouilla les narines. Angeline la servit, et Talia la remercia. Au bout d’un moment Angeline dit :

- Je me suis permis de fouiller un peu la maison, histoire de trouver des produits nettoyants, enfin… Surtout dans la cuisine. Elle est bien organisée d’ailleurs… C’est ton oncle qui s’en occupait ?

- Hm…non, c’était moi.

- Ah.

Angeline resta silencieuse pendant un moment.

- Comment vous appelez-vous déjà ? demanda la jeune fille en regardant la femme.

- Angeline, Angeline Névra.

Elle lui sourit, pas un de ses sourires que les gens servaient quand ils voulaient paraître sûrs d’eux ou relever un propos, non, un sourire simple, franc, mais surtout chaleureux. Elles finirent de manger en silence, et Talia commença à débarrasser et ranger la vaisselle, pendant ce temps Angeline prépara deux camomilles. Elles s’installèrent dans le salon où elles sirotèrent leurs tisanes.

Angeline, la regardait. Cette adolescente était vraiment peu commune. Elle posa sa tasse. Il lui fallait des réponses, elle commença donc :

- Dis-moi…ton oncle, il s’occupait bien de toi ?

- Oui ! Bien sûr ! C’est juste qu’il n’est pas très présent…

Elle remarqua que Talia fuyait son regard. Elle le nota dans un coin de sa tête et continua :

- Tout à l’heure tu m’as dit que c’était toi qui t’occupais de la cuisine, tu le fais depuis toujours ?

- Non, enfin oui… Au début jusqu’à mes six ans environ, j’aidais mon oncle à la cuisine, j’aime beaucoup ça, mais après mes six ans mon oncle a commencé à se renfermer sur lui-même, je faisais donc les repas... répondit Talia assez évasive, comment dire à cette femme que c’était sa mère qui l’aidait à faire la cuisine ? Sa mère qui était morte depuis des années.

- Les repas, tu veux dire que par exemple tu faisais, je ne sais pas, des pâtes, ? Des viandes poissons ou autres ? reprit Angeline.

- Oui, mais j’utilisais beaucoup le four et le micro-onde. Les pâtes j’en faisais pas très souvent et les viandes je ne savais alors pas les cuire tous comme le poisson donc je me limitais aux charcuteries de temps à autre ou à des plats préparés…, mentit-elle à demi, mais maintenant je m’occupe de tout sans aucun problème, ajouta-t-elle.

- Je vois… Et ton oncle ? Que faisait-il ? s’inquiéta Angeline

- Il restait enfermé dans sa chambre, mais en sortait pour les repas… Je me souviens d’une fois vers quatorze ans, j’ai attrapé la grippe et mon oncle s’est occupé de la maison pendant les quinze jours où j’étais malade… Il s’est occupé de tout de A à Z, continua Talia

- Mhm… je vois, dit Angeline en prenant quelques notes sur un calepin.

Elle était sceptique, un homme comme celui-là était peu commun. Le passé de cette petite non plus. La DASS la surveillait depuis des années, et connaissait donc son dossier, même si Angeline n’avait dû en prendre connaissance que très rapidement mais ce qu’elle avait vu l’avait attristée : sa tante et sa mère étaient mortes dans un accident de voiture et son père dans une situation qui même à l’heure actuelle était toujours trouble. A l’âge de 4 ans, Talia s’était retrouvée orpheline, elle avait maintenant quinze ans et en avait vécu beaucoup plus qu’aucun ne pourrait le supporter. Angeline la regarda et vit que la jeune fille était vraiment mal à l’aise. Elle décida de poser une dernière question à laquelle elle lui répondit sans rien laisser paraître. Cette gamine était vraiment forte, elle arrivait à garder en elle toutes ses émotions, mais un jour allait-elle craquer ? Elle but le reste de sa tisane, son regard parcourant le salon. Un endroit cosy dans les couleurs chaudes, qui jouaient entre le crème et le marron; le canapé quoique usé était très confortable, et même si d’un point de vue général tout semblait ancien, tout avait un confort moderne, un subtil mélange entre deux temps. Quand, son regard se posa sur un piano, il semblait vieux, mais il avait l’air d’être assez souvent utilisé.

- Tu sais en jouer ? demanda-t-elle alors.

Angeline vit Talia suivre son regard et ce dernier devenir brillant.

- Oui, répondit l’adolescente.

Elle la vit se lever et s’installer au piano, l’ouvrir avec délicatesse et… Se mettre à jouer. Angeline resta figée dans le fauteuil, l’adolescente interprétait la célèbre Sonate au Claire de Lune de Beethoven et sans aucune partition ! La femme l’écouta jusqu’au bout sans émettre un son, puis à la fin du morceau elle resta coite. Elle n’avait jamais beaucoup aimé la musique classique, mais là, cette jeune adolescente venait de la réconcilier avec. Elle la félicita grandement, puis une question lui traversa l’esprit :

- Où as-tu appris à jouer du piano ?

Le regard de Talia devint triste, mais elle se ressaisit presque aussitôt.

- Mon oncle m’a appris à lire les partitions, il me donnait quelques cours de solfège, mais j’ai appris à jouer seule… lui répondit la jeune fille, mentant à demi. La vérité serait bien trop dérangeante pour cette assistante sociale, comme elle le serait pour tout le reste du monde d’ailleurs.

Les deux femmes se turent pendant un long moment puis Angeline fendit le silence :

- Tu souhaites aller au lycée demain ou non ? Ils ne t’en tiendront pas rigueur si tu n’y vas pas.

- Oui. Cela me changerait les idées. Et puis j’ai des contrôles important cette semaine… lui répondit l’adolescente après une petite hésitation.

- Comme tu veux. Si tu changes d’avis dis le moi.

Talia hocha la tête et se leva pour montrer la chambre d’amis où Angeline allait dormir. Après avoir laissé Angeline dans sa chambre, Talia se dirigea vers la salle de bain où elle se doucha rapidement. La salle de bain était étroite, ce qui contrastait avec les volumes des autres pièces de la maison. Celle-ci était dans des tons clairs, ce qui la rendait lumineuse. Elle se regarda dans la glace en brossant ses cheveux et détourna le regard face à son reflet, de longs cheveux d’une couleur argent parfaitement naturelle, de petite taille, assez fine, presque maigre. Un visage que certains qualifierait d’angélique mais qui semblait de glace face à ses yeux légèrement en amande d’un gris métallique. Elle secoua la tête comme pour chasser cette vision dérangeante et alla dans sa chambre. Elle régla le réveil pour le lendemain et tenta de trouver le sommeil sans grand succès. Trop de questions se bousculaient dans sa tête, mais à nouveau, cette main qui depuis sa naissance avait su l’apaiser, lui caressa la tête. Un doux sourire se forma sur son visage et elle entrouvrit les yeux tout en soufflant,

- Bonne nuit maman…

La forme vaporeuse lui répondit d’un doux sourire et une douce berceuse s’éleva alors dans la chambre l’aidant à trouver le sommeil.

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