Chapitre 9 (repris)

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Suite à l’après-midi passée au dojo d’Agen, Marie avait dormi comme un loir, d’un sommeil sans rêve. Elle n’arrivait toutefois pas à comprendre pourquoi sa première pensée au réveil fut pour ce curieux ami de Paul, ce Kader qui avait été à l’origine de cette affaire qui leur causait bien du tracas.

Se morigénant, elle le chassa de ses pensées et se prépara à partir de chez elle pour sa journée à la brigade.

Une fois arrivée, elle se mit à la recherche de son collègue avec qui elle avait évoqué la piste Arpincourt au Château Laroque, piste pour laquelle ils avaient eu un véto catégorique de leur commandant de brigade. Cette fois-ci, elle avait l’intention d’essayer de passer par son adjoint, le lieutenant Jacquier, profitant du fait que, depuis quelques jours, leur capitaine n’était pas très présent au bureau. Ce dernier, en effet, tâchait de résoudre ses problèmes conjugaux en étant aux petits soins pour son épouse.

Elle retrouva Baglione dans la salle de pause, un café à la main.

— Bonjour Marie, alors hier, c’était bien ce tournoi ?

— Oui, super, on a fini troisièmes. Mais moi, je trouve que c’est bien pour un petit club comme Boé. Troisième à un tournoi départemental, c’est pas dégueu, non ?

— Ah oui ? Waow, chapeau ! Bon, je suppose que ton collègue entraineur a fait la gueule ?

— Tu le connais, si on n’est pas sur la plus haute marche du podium, on est nuls. Je te jure, il me fatigue vraiment.

— J’aurais bien aimé venir, tu sais, mais avec les gamins et Isabelle, ça a été un peu compliqué…

Marie savait que ses enfants étaient parfois difficiles et qu’avec sa femme, ils n’étaient pas souvent d’accord sur la façon de traiter leurs demandes. Cela entrainait régulièrement des frictions au sein de leur couple.

— Oh t’inquiète pas, il y avait plein de monde. Même Paul est venu me voir, fit-elle assez satisfaire.

— Paul ? Paul Mercier ? Je ne l’ai pas revu depuis qu’il est parti à la retraite. Il va bien ?

— Oui, on dirait. Il était avec ce Kader, tu sais, celui qu’on a arrêté au début et mis en garde à vue avant d’interroger Interpol.

Sans s’en rendre compte, elle avait baissé d’un ton.

— Ah oui ! Celui qui était flic en Algérie ou au Maroc, c’est ça ? jeta son collègue, d’un ton un peu condescendant.

— En Algérie, dans la police criminelle et ensuite dans les Forces Spéciales, oui, précisa-t-elle, assez impressionnée.

— Oh tu sais, franchement Algérie ou Maroc, c’est un arabe, quoi…

— Un arabe ? Sérieusement, tu es comme ça, toi ? rétorqua-t-elle outrée.

— Qu’est-ce que tu veux dire par « comme ça » ?

— Vincent, il est Algérien. Comme toi, tu es Français et pas Italien ou Belge.

Marie ne supportait pas le racisme, même ce type de « racisme ordinaire ». Elle qui n’avait vécu qu’à l’étranger avant son bac, savait combien il était parfois difficile de se faire accepter. D’autant plus en étant Algérien en France. L’histoire commune des deux pays était si particulière… Ses parents l’avaient élevée considérant que tous les hommes et les femmes étaient de la même race, l’humanité. La couleur de peau ou la forme du visage n’avaient aucune importance et surtout, ne créaient aucune hiérarchie entre les hommes.

— Surtout Corse même, d’ailleurs.

Elle esquissa une ébauche de sourire, le voyant se targuer de ses origines.

— Tu vois, tu n’aimerais pas qu’on te dise que tu es Sarde ou Sicilien ?

— Immédiatement, le visage de Baglione s’assombrir. Il lui avait donné le bâton pour se faire battre…

— Ben non !

— Alors, c’est pareil.

— Ok, ok, tu as raison… admit-il un peu de mauvaise grâce.

Elle avait des principes, l’adjudant Jeandreau. En plus, il avait de très beaux yeux bleus, ce Kader… Etonnant pour un Algérien d’ailleurs. Elle se secoua de nouveau pour chasser cet homme de ses pensées et aborda le sujet qui lui tenait à cœur :

— Tu te rappelles ce qu’on a dit lundi, Vincent ?

— On a dit beaucoup de choses lundi… Tu veux parler de ta vie sentimentale ?

— T’en veux une ?

— Non, je plaisantais, Marie, te fâche pas, lui répondit-il en faisant semblant de se protéger à l’aide de son bras.

S’il se montrait parfois lourd, il était aussi ce qu’on pouvait appeler un « bon collègue », toujours prêt à rendre service. Marie ne lui tint donc pas rigueur de cette plaisanterie douteuse.

— Je pensais plutôt aux Arpincourt…

— Tu te souviens de ce qu’a dit le capitaine ? lui rétorqua-t-il.

— Oui, je sais, mais il n’est pas là…

— Et ?

— Ben, je vais aller en parler avec le lieutenant. Tu viens avec moi ?

— Euh…

Vincent Baglione était un gendarme intègre mais qui ne prenait pas beaucoup de risques. Clairement, il n’était vraiment pas emballé par l’idée de faire comme s’il n’avait pas entendu les ordres du capitaine pour tenter de manipuler son adjoint.

— Tu crois que c’est une bonne idée ?

— Tu en as une autre ? Tu te dégonfles ?

— Euh… Non.

— Non quoi ?

— Pour une autre idée… bafouila-t-il penaud

— Tu sais, Vincent, un jour, il va falloir te décider à porter tes couilles…

Elle l’aimait bien son collègue, même si sans surprise, Marie reconnaissait sa couardise habituelle. Elle avait espéré, à tort, que, pour une fois, il passerait au-dessus. Tant pis. … Se mettre en porte-à-faux vis-à-vis de la hiérarchie, c’était sans doute trop pour lui. Tant pis, elle irait seule. Cela ne lui avait jamais fait peur. C’était d’ailleurs comme cela qu’elle avait souvent résolu ses affaires les plus complexes, en bousculant un peu la hiérarchie, en franchissant quelques limites.

— Bon, j’y vais, je te tiendrai au courant.

D’un pas décidé, elle se dirigea vers le bureau du lieutenant, frappa à la porte puis entra.

— Bonjour, Marie, tu vas bien ? l’accueillit celui-ci, abandonnant son dossier et se levant pour lui faire la bise.

— Oui, bien Michel, et toi ?

Contrairement à son supérieur, Michel Jacquier, bien qu’officier, était proche des gendarmes de sa brigade. Pourtant, il était sorti major de Saint-Cyr – de Kermadec n’en était sorti que dixième quelques années auparavant – mais ça ne lui était pas monté à la tête. D’autant plus que Marie Jeandreau était sans doute l’une des meilleures. Elle avait du flair, cette adjudante, et une fulgurance dans le raisonnement qui l’avait laissé pantois plus d’une fois.

— Tu avais besoin de quelque chose, Marie ?

— C’est assez particulier, Michel…

Celui-ci se carra au fond de son siège, croisa les mains sur son ventre et l’incita à poursuivre :

— Je t’en prie, vas-y, lance-toi.

— Tu te souviens de cette histoire de cadavre trouvé dans la Garonne ?

— Oui, très bien. C’est toi qui as fait les premières constations pour la brigade.

Si elle y allait aussi prudemment, c’est qu’elle avait quelque chose de pas simple à lui demander. Curieux, Jacquier décida de ne pas intervenir et de la laisser dérouler son discours.

— En effet…

— Et ?

— Ben, on n’avance plus, tu es au courant ?

— Oui, bien sûr, ça fait partie des grosses affaires en cours et le parquet nous relance régulièrement sur le sujet.

Tous les deux ou trois jours, il avait le substitut du Procureur d’Agen, quand ce n’était pas le Procureur lui-même qui le tannait pour savoir où en était l’enquête. Depuis que le capitaine privilégiait les ronds-de-jambes auprès de sa femme, c’est lui qui recevait toutes les doléances du Parquet…

— Tu es aussi au courant pour la courtière en assurances venue lundi ?

— Ah oui, Brice, enfin, le capitaine m’en a touché deux mots… Il était vraiment furax !

Marie retint une grimace de frustration. Puisqu’il avait eu vent de la visite de cette femme, elle allait devoir manœuvrer avec plus d’habileté encore que prévu. Le lieutenant, même compétent et réfléchi, n’allait jamais s’opposer frontalement à son supérieur.

— Je sais, et pourtant… laissa-t-elle planer, cherchant ses mots.

— Et pourtant ?

— C’est finalement la seule piste qu’il nous reste à ce jour…

— Je sais, mais il ne veut pas en entendre parler.

— Mais… En ce moment, il n’est pas là… tenta-t-elle, sans trop y croire.

— Et tu voudrais que je contrevienne à un de ses ordres express ? s’enquit Jacquier, entre amusement et agacement

On y était. Marie ne devait pas l’amener à outrepasser les ordres du capitaine mais toutefois obtenir qu’il l’autorise, même à demi-mots, à enquêter discrètement, sans se faire repérer des propriétaires du château… Elle marchait sur des œufs.

— Non, pas du tout…

— Si tu étais plus claire, Marie ? Quelle est ta demande exacte ? Dis-moi ce que tu veux et je te dirai si c’est possible ou pas.

Bon, pas le choix, il fallait se lancer. C’était maintenant ou jamais.

— Je voudrais qu’on puisse continuer à fouiner en douce chez les Arpincourt. Ce serait trop bête de passer à côté de la seule piste qu’on a.

— Tu veux que la gendarmerie poursuive ses investigations officiellement ?

— Euh… Oui.

— Ça, c’est non, Marie ! Je ne peux pas faire sciemment l’inverse de ce que mon supérieur m’a dit.

Marie hocha la tête, frustrée mais peu étonnée. Toutefois, elle ne comptait pas abandonner la partie tout de suite. Il lui restait encore une possibilité, mince mais il en subsistait une. Certes, c’était jouer sur les mots, mais elle se lança tout de même :

— Il t’a clairement interdit d’approcher le Château Laroque, Michel ?

— Il ne l’a pas dit comme ça. Ses mots devaient être : « il est hors de question d’aller enquêter chez des gens hauts placés sur les affabulations d’une hystérique ». Mais bon, c’est un peu pareil, non ?

— J’en conviens, oui…

Elle était coincée. Plus d’enquête officielle possible. Flûte !

— Bon, je te remercie quand même, Michel.

— Je t’en prie, Marie, n’hésite pas si tu as besoin.

Besoin de rien, oui… Elle était en colère, plus contre elle-même que contre le lieutenant. Elle n’avait pas bien manœuvré. Elle le savait totalement intègre, intelligent mais intègre. Il n’aurait sans doute jamais dit oui. L’injonction de Kermadec avait été très clair. Si seulement, celui-ci avait utilisé une formulation un peu floue, mais non…. Mince !

Elle retourna dans le bureau qu’elle partageait avec son collègue Baglione, énervée et déçue.

— Bon, à ton air, je vois que ça n’a pas marché ? lui fit celui-ci d’un ton désolé.

Sachant qu’il ne l’avait pas soutenue, il ne faisant pas le malin, compatissant plutôt à la déception de sa collègue.

— Non, bien sûr. Il n’allait pas s’opposer frontalement à son chef. C'était à prévoir. En plus, si ça se trouve, les Kermadec et les Arpincourt se retrouvent à la messe ensemble tous les dimanches… fit-il sur le ton de l'humour.

— C’est possible… convint Marie, terriblement déçue de ne pas avoir réussi.

Comme s’il avait entendu, le lieutenant Jacquier les rejoignit dans leur bureau commun à cet instant précis.

— J’avais oublié de te dire un truc, Marie, oh bonjour Vincent…

— Bonjour Michel.

— Oui, Marie, reprit le lieutenant, tous les dimanches, les de Kermadec et les Arpincourt se retrouvent à la messe… Impossible d’envoyer des gendarmes chez eux sans que le capitaine ne l’apprenne un jour ou l’autre. Tu as dû le remarquer, il est un peu à cran en ce moment. Pas la peine de l’énerver plus, non ?

— Oui, oui, tu as raison, Michel, merci… souffla-t-elle, totalement désabusée de voir que son collègue, sans le savoir avait visé juste.

— De rien.

Non, effectivement, de rien… Marie rageait. Elle n’aimait pas qu’on mette des bâtons dans les roues de son enquête. Importants ou pas, pour elle, tous étaient égaux devant la loi, tous !

Le lieutenant parti, totalement dépitée par ses efforts infructueux pour faire avancer cette affaire et poursuivre une piste qu’elle jugeait potentiellement prometteuse et donc qu’il ne fallait pas abandonner si vite, elle se replongea dans ses dossiers en cours. Son collègue en fit autant. Il ne put toutefois pas s’empêcher de rebondir sur les derniers propos de leur supérieur :

— Tu crois que ça va s’arranger entre le ‘pitaine et sa femme ?

— C’est vraiment le sujet du jour, Vincent ? soupira la gendarme.

— Non, je sais, mais c’est histoire de causer…

— Honnêtement, les histoires de couple du capitaine, je m’en tamponne le coquillard. Il fait bien ce qu’il veut celui-là. Et puis, l’avantage, c’est qu’on le voit moins en ce moment et c’est pas plus mal. Tu n’as pas remarqué que l’ambiance est un peu plus sereine depuis que sa Ghislaine fait des siennes ?

— Si, si, tu as raison… Faut espérer que ça dure alors ?

— Je m’en fous, Vincent. Quoi qu’il se passe, on fera avec. En attendant je n’avance pas sur mes dossiers…

— Ok, ok, je me tais, fit-il en se replongeant lui aussi dans les siens.

Au bout d’une trentaine de minutes à essayer, sans succès de se concentrer sur son travail de paperasse, elle releva la tête. Cette histoire de château la faisait trop gamberger, elle repartit à la charge :

— C’est pas possible, Vincent, il faut qu’on trouve un moyen…

— Un moyen de quoi ?

— Ben, d’enquêter chez les Arpincourt.

— On ne peut pas y envoyer le moindre gendarme, soupira Baglione que l’obsession de sa jeune collègue commençait à lasser.

— Mais ce ne sera pas quelqu’un de chez nous… fit-elle mystérieuse.

Une idée, totalement inédite, venait de germer dans son cerveau.

— Oh, tu as une idée derrière la tête, toi… dit-il en lui faisant un clin d’œil.

— C’est possible, oui. Je vais essayer d’aller voir Mercier et je te tiens au courant.

Elle attrapa sa veste et sortit de la brigade comme une tornade.

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