Chapitre 8 (repris)

9 minutes de lecture

La journée du lendemain, relativement belle, avec un temps ensoleillé, lui avait permis de rentrer quasiment sec. Il monta vite dans sa chambre, se rasa, se doucha puis enfila des vêtements propres. Il hésita longuement entre mettre un veston ou son blouson en toile et opta finalement pour ce dernier. S’il n’était pas « intéressé » par Marie comme le sous-entendait son ami, il avait pris autrefois, l’habitude de se vêtir élégamment quand il sortait. Il était étonné lui-même de retrouver certains automatismes de son ancienne vie.

Quand il descendit en passant par le bar de chez Ginette, Mercier l’attendait au comptoir. La patronne ne put s’empêcher de noter le changement de tenue de son pensionnaire et d’en toucher deux mots à l’ancien gendarme. Celui-ci lui répondit par un clin d’œil avant de se tourner vers Kader et de lui dire :

— Allez, on se met en route, sinon on va être en retard.

Kader n’eut d’autre choix que de le suivre sans pouvoir éclaircir ce qui s’était joué entre Ginette et son ami lors de son arrivée dans la salle du café. Une fois installé dans la voiture, il ne put se retenir :

— Qu’est-ce que Ginette t’a dit quand je suis entré ?

— Oh rien… Juste que tu t’étais fait beau et que, si ça se trouve, c’était pour une femme…

— Et tu lui as répondu quoi ?

— Rien, je lui ai juste fait un clin d’œil.

— C’est bien ce que j’avais vu. Tu as l’impression que je me suis fait beau ? C’est quoi cette histoire, Paul ? C’est un genre de guet-apens ?

Il ne savait plus comment il devait se comporter. Son ami était vraiment bizarre avec cette histoire de tournoi de judo où allait officier la jeune gendarme. Il semblait avoir une idée derrière la tête. Kader avait horreur de se sentir manipulé et c’était une étrange impression qui persistait cependant…

— Qu’est-ce que tu vas chercher là, Kader, lui fit l’ancien gendarme, sans vraiment le rassurer.

— Je ne suis pas trop habillé au moins ?

— Mais non Kader, tu es très bien, tu as fait juste ce qu’il faut, le rassura son ami en lui faisant encore un clin d’œil.

Il faudrait bien qu’il se contente de cela. De toute façon, il était trop tard pour reculer.

Après une dizaine de minutes de trajet, ils arrivèrent devant le Stadium d’Agen, un immense bâtiment de béton et de verre datant des années 70. De nombreuses voitures garées à proximité témoignaient du public relativement important pour ce tournoi départemental.

— Ils sont tous là pour le judo ? s’étonna Kader, impressionné par le nombre de véhicules stationnés.

— Peut-être, il y a également un gymnase dans ce complexe sportif. Si ça se trouve il y a aussi un match de basket ou de handball en même temps.

Ils suivirent les panneaux indiquant le dojo et débouchèrent dans une magnifique salle avec le plus grand tatami que Kader ait jamais vu. Il était d’une magnifique couleur rouge avec trois carrés jaunes sur lesquels des jeunes étaient en train de combattre. Il repéra instantanément la jeune gendarme au niveau du carré central. Elle était en survêtement, en train de parler à une jeune fille d’une douzaine d’année.

Au moment où Kader et Paul s’assirent sur les gradins, un combat venait de se terminer sur le carré de gauche et les applaudissements crépitèrent. Ils se joignirent à eux même s’ils n’avaient rien vu de l’affrontement.

Paul lui expliqua un peu les règles du combat en judo ainsi que les catégories liées à l’âge des enfants. Ici, c’étaient des 12-14 ans donc des minimes. Les combats ne duraient qu’une minute. Ils se terminaient par l’immobilisation de l’un des deux ou sur abandon.

En Algérie, Kader pratiquait aussi les arts martiaux, en particulier le jujitsu. Certaines de ces techniques lui avaient parfois sauvé la vie, que ce soient contre des malfrats ou des islamistes. Dans ces cas-là, il était allé jusqu’au bout, quitte à casser un bras, un poignet ou déboiter une épaule. Ce n’étaient pas des combats « pour jouer » comme ceux auxquels il allait assister. En effet, ces prises de jujitsu, les clés à l’épaule, au coude ou au poignet, n’étaient pas autorisées en judo pour cette catégorie d’âges.

La jeune fille à qui Marie parlait venait de gagner son combat. Elle fut copieusement applaudie. On voyait dans le regard de l’entraineuse que celle-ci était fière de son élève.

Les combats se poursuivirent durant presqu’une heure. À un moment, Kader remarqua deux entraineurs qui se parlaient vivement à l’extrémité du tatami. Il s’agissait de Marie et d’un homme d’une quarantaine d’années. Tous les deux portaient un survêtement identique, ils devaient être du même club sans doute. Il attira l’attention de Paul sur cette altercation.

— Ah, ça, c’est le boulanger de Bon-Encontre, l’autre entraineur. Ils ne peuvent pas s’encadrer avec Marie. Il pousse trop les jeunes. Comme s’ils devaient jouer leur vie sur une minute. Elle, au moins, est une vraie éducatrice sportive. Elle ne cherche pas à en faire des champions mais juste des gamins bien dans leur tête et dans leur corps. Elle leur apprend aussi des valeurs de respect entre eux.

Il en parlait avec une vraie admiration dans la voix.

— C’est comme ça que je vois les choses aussi, Paul. Tu sais, j’ai été prof de jujitsu au sein de la brigade criminelle. Étant le seul flic ceinture noire de cette spécialité, c’est moi qui entrainais mes collègues. Autant dans la rue, tout était permis, par contre, sur le tatami, je faisais appliquer des règles strictes de fair-play et d’entraide.

— Ah, mais alors ça vous fait un super point commun avec Marie !

— Ah bon ?

Kader était surpris. Certes, ils aimaient tous deux les arts martiaux et partageaient la même vision du sport, mais de là à s’enthousiasmer ainsi …

— Oui, tu vas voir. À la fin du tournoi des gamins, elle doit faire une démonstration de self-défense basée sur le jujitsu.

— Oh !

Paul se contenta de sourire. Il était quasiment certain que quelque chose allait se passer entre Kader et Marie.

La compétition Minime se termina avec la victoire du club de Villeneuve-sur-Lot. Le club de Marie, Boé, était troisième derrière Agen qui recevait. Peu après le podium, on put entendre Marie et son collègue échanger quelques mots assez vifs.

La sono annonça une pause de quelques minutes avant la démonstration de jujitsu dont lui avait parlé Paul. Les deux hommes sortirent se dégourdir les jambes et fumer une cigarette. À l’extérieur, ils entendirent l’autre entraineur du club de judo se plaindre auprès des parents de leur « lamentable troisième place ». Ceux-ci eurent beau dire que « troisième au niveau départemental, pour un petit club comme Boé, c’était déjà pas si mal », il n’en démordait pas. À croire qu’il voulait faire les championnats du monde…

— Marie m’avait déjà dit que c’était pas simple avec ce type. Il a trop d’ambition pour un petit club comme ça…

— C’est pas bon d’avoir un esprit de compétition exacerbé à ce point, approuva Kader. Le sport, à cet âge-là, doit rester un jeu et un plaisir.

— C’est exactement ce que me disait Marie, lui fit Paul avec un clin d’œil.

Décidemment, il commençait à être un peu lourd, songea Kader. Il n’avait encore jamais vu son ami comme ça. Comme s’il voulait absolument les « marier ». La sono appelant à venir assister à une « démonstration exceptionnelle » le tira de ses réflexions.

Après avoir éteint leurs cigarettes, ils pénétrèrent dans le Stadium en retrouvant difficilement leurs places sur les gradins. Ceux-ci étaient bondés. La foule avait hâte et tapait des mains en rythme. Les deux hommes se joignirent au public.

Soudain, la musique de West Side Story démarra et on vit Marie entrer sur le tatami, en kimono. Elle semblait toute petite dans l’immensité du dojo. Copieusement applaudie, elle saluait le public au moment où deux hommes pénétrèrent de deux angles opposés, et se ruèrent sur elle avec des similis couteaux en bois. En même pas deux secondes, elle en désarma un et, avec une clé à l’épaule, le projeta au sol. Elle se servit de lui comme bouclier avant de bondir sur le second adversaire puis, en semblant juste lui saisir le poignet, l’envoya au tapis.

Paul n’en revenait pas. Elle l’impressionnait la « petite » Marie. Kader était aux anges. Il avait reconnu le nom des prises et se voyait les mettre en œuvre. Elle avait une technique parfaite, cette gendarme.

La démonstration continua mais cette fois-ci, Marie était équipée d’un bâton, qui semblait un simple manche à balai. Il y avait trois adversaires armés de couteaux ou de pistolets factices. Elle s’attaqua directement à celui armé d’un révolver en le faisant sauter de sa main du bout du bâton. Elle l’envoya ensuite au sol avant de mettre hors d’état de nuire les deux autres. Elle était extrêmement vive, presque explosive dans ses déplacements et ses attaques. Quelle énergie !

Ils furent ensuite quatre, cinq puis six à l’attaquer. À un moment, elle se retrouva en difficulté avec quatre adversaires autour d’elle et deux autres hors d’état de nuire. Elle reçut alors l’aide inattendue d’une jeune fille, sans doute celle avec qui elle avait parlé durant la compétition de judo. Celle-ci n’était que ceinture bleue mais, visiblement, ne pratiquait pas que le judo. Elle avait aussi un très bon niveau en jujitsu. À elles deux, elles mirent au sol les quatre agresseurs restants, sous les hourras de la foule.

Se tenant par la main, elles saluèrent longuement le public. On voyait bien la fierté de cette gamine tenant la main de son entraineuse. Toutes les deux étaient aux anges.

La démonstration finie, les deux hommes sortirent fumer, décidés à attendre Marie pour la féliciter. Quand elle apparut, portant son sac de sport sur l’épaule, Paul se tourna vers elle :

— Bravo Marie, quelle démonstration ! Je ne savais pas que tu avais ce niveau-là…

— Merci Paul. Tu sais, j’ai bien progressé depuis que tu as quitté la Brigade. Après mon monitorat fédéral et mon troisième dan de judo, j’ai fait plusieurs stages de jujitsu et j’ai même été au Japon trois fois.

— C’est vrai que tu as été longtemps là-bas…. J’avais oublié.

— Bravo, c’était impressionnant, surenchérit Kader.

Instinctivement, il avait senti qu’i fallait qu’il intervienne, qu’il lui dise tout le bien qu’il avait pensé de ce qu’il avait vu.

— Vous avez aimé ? fit-elle les joues légèrement roses.

Marie, d’habitude peu impressionnable, ne put s’empêcher d’apprécier la remarque de Kader. Sans qu’elle ne sache pourquoi, son approbation lui faisait chaud au cœur, et la touchait plus que celle de son ancien mentor

— Oui vos Kote-Hineri et Waki-Gatame étaient impressionnants

— Vraiment ? Vous connaissez ?

Marie écarquilla les yeux, aussi surprise qu’étrangement ravie de partager sa passion avec le taciturne Kader. Sentant sa respiration s’accélérer, elle se morigéna un court instant. Elle n’était pas là pour faire la cour à un homme qu’elle n’avait croisé qu’une fois dans sa vie, pour le mettre en prison qui plus est et l’en ressortir peu après.

— J’ai appris le jujitsu au sein de la police algérienne, j’ai même été moniteur un temps…

— Oh… fit-elle intéressée.

Sans qu’il n’en connaisse vraiment la raison, Kader aurait bien voulu prolonger cette discussion, mais elle fut rapidement accaparée par les parents de ses élèves venus la congratuler, à la fois pour le tournoi et pour l’exhibition. La conversation s’arrêta là, lui laissant un sentiment de frustration. Il se raisonna : de quoi donc pouvait-il être frustré ? Il l’avait félicitée, ils allaient rentrer en la laissant avec ceux de son club, point.

Ils reprirent la route de Saint Jean de Thurac où Paul déposa Kader. Durant tout le trajet, celui-ci resta songeur, encore impressionné par la jeune femme.

À peine descendu de la voiture de son ami, Kader fut littéralement assailli par Ginette.

— Vous vous rendez compte ? Traiter comme ça une femme qui vient aider la gendarmerie ! Mais quelle honte !

— Que se passe-t-il, Ginette ? tenta-t-il le de la calmer. Dites-moi tout, fit-il en l’accompagnant à l’intérieur du café.

Elle semblait vraiment dans tous ses états.

— Ma copine Amélie, elle est passée cet après-midi !

— Qu’est-ce qu’elle vous a raconté Amélie ?

— Qu’elle avait été traitée comme une malpropre par leur chef, le capitaine avec un nom breton, là…

— De Kermadec ?

— Oui, ça doit être ça. Eh ben, il l’a mal reçue, il l’a envoyé promener !

Kader se souvenait de ce que lui avait raconté Ginette auparavant. Un témoignage qui pouvait être sujet à caution… Mais il valait sans doute mieux cela que de ne rien dire et de passer à côté d’une piste. Tant pis pour Amélie, elle s’en remettrait.

— Vous savez, il était peut-être sur les dents, ce capitaine. Il n’y a pas quelqu’un qui l’a écoutée quand même à la brigade ?

— Si, un Corse, je crois. Elle-même trouvé qu’il était beau garçon, ce Corse…

Sacrée Amélie…

À force de discussions, il finit par calmer Ginette et put aller se coucher tranquillement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Fred Larsen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0