Envoûtement

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Rubie trottinait calmement, portant Warren et Hazu sur son dos. Ces trois jours de voyage commençait à épuiser les deux voyageurs mais la jument ne montrait pas de signe de fatigue. Depuis qu'ils avaient quitté Valecho, ils avaient pu faire plus ample connaissance et malgré l'incongruité de leur rencontre, une étrange amitié se tissait entre eux.

Warren avait appris qu'Hazu était de noble naissance mais que sa famille avait honte de son manque de talents particuliers. Ces frères et soeurs, tous membres de la garde royale, brillaient par leur courage, leur force et leur maîtrise des arts de la guerre, alors que lui tenait difficilement une dague dans la main sans la trouver trop lourde. D'une famille de valeureux militaires, il était impensable pour ses parents d'avoir un enfant dépourvu de compétences de combat, aussi avaient ils opté pour le commando d'assassinat. Bien que celui-ci n'était pas destiné à la noblesse, ils ne pouvaient se résoudre à afficher leur incompétent rejeton devant la famille royale. Ils espéraient toutefois voir Hazu sortir du lot, grimper les échelons et regagner son honneur ainsi que sa place au sein de la famille.

Cependant, malgré tous ses efforts, Hazu n'avait jamais réussi à vraiment s'interresser à son apprentissage. La seule qualité qui lui avait permis de passer les examens était son étonnante souplesse et l'indulgence suspecte des professeurs. Il se déplaçait avec une agilité rare et savait utiliser ce talent pour se sortir des situations périlleuses mais le garçon continuait de ne montrer aucune qualité d'assassin, à l'exaspération générale du corps enseignant. L'examen final approchant Hazu avait su sa dernière chance arrivée. Il avait même reçu un message de son père. S'il échouait, ce n'était plus la peine de rentrer. Et bien, voilà qui était chose faite. Non seulement il avait échoué haut la main mais il s'était fait en plus kidnappé par un Sang Noir.

Warren avait ri en entendant le récit de l'elfe, ce qui avait vexé l'intéressé. Puis, une frappe bourrue sur le dos, avait finit par dérider Hazu qui se joignit à l'hilarité de son compagnon.

« Et toi alors, Maître, tu ne m'as encore rien dit de vraiment personnel. Quelle est ton histoire ? »

Les deux compagnons s'étaient arrêtés au bord de la Danseuse, à l'orée de la Forêt des Pas Perdus, afin de monter leur camp pour la nuit. Les trois soleils était bas à l'horizon et le ciel prenait des couleurs surprenantes, entre le fushia et le rouge sombre réhaussé de veines d'or. Bien qu'habitués à ce spectacle, ils observèrent longuement le premier soleil se coucher, emportant avec lui le rose de ses rayons.

« Ce que je t'ai dit devrais te suffire, petit curieux. Je viens d'un petit village près de Nilvent, à l'Est de l'île, à une centaine de kilomètres des Cascades Cristal. Pendant les Années Sombres, mon village a été attaqué et ma mère est morte. J'avais dix ans et j'étais parti chassé. Quand je suis rentré, ma maison était en feu, et le cadavre de ma mère n'était plus qu'un tas de chairs carbonisées. Je suis parti sans me retourner et j'ai rejoint la guilde des mercenaires à Nilvent. J'ai passé quinze ans à escorter des convois marchands sur la voie commerciale qui rejoint Haltibre puis, j'ai été envoyé à Valecho. »

Un voile sombre couvrit le regard de Warren, comme si de tristes souvenirs se superposaient à la réalité de l'instant.

« Et le Tout ? Comment t'es tu trouvé en sa possession ? »

Hazu reposa encore une fois sa question, espérant satisfaire sa curiosité, mais son compagnon lui tourna le dos et l'ignora. Les deux derniers soleils touchèrent enfin la ligne d'horizon et disparurent, laissant derrière eux un ciel parssemé d'étoiles. Après avoir allumé un feu, ils grignottèrent un repas frugale sans échanger un mot. Puis, ils s'allongèrent sur leur paillasse respectives et s'endormirent aussitôt.

***

Hazu fut réveillé en sursaut par les gémissements de Warren. L'homme se tordait sous sa couette comme une anguille prise au piège. La sueur perlait sur son front et ses paupières trésaillaient. L'elfe essaya de le secouer pour le sortir du sommeil, en vain. Le mercenaire se leva d'un bond et comme un automate se dirigea vers la Forêt des Pas Perdus. Hazu avait beau lui tirer les bras pour le retenir, Warren marchait d'un pas décidé, meut par une force invisible. L'elfe attrapa son arme, sachant pertinement qu'il ne saurait pas se défendre en cas de danger et s'engouffra à son tour dans les bois.

La peur lui prit les tripes au moment même où la faible lumière des étoiles disparu, aspirée par la canopée des arbres gigantesques. Il se tenait derrière Warren, sa dague brandie mollement à hauteur de son torse. Il tremblait de tous ses membres et sursautait à chaque bruits inconnus. La forêt était dense et l'elfe peinait à distinguer ce qui l'entourait, même avec sa vision aiguisée. Il tournait frênetiquement la tête, incapable de calmer les battements de son coeur.

Soudain, il capta une source de lumière. Warren se dirigeait lui aussi vers ces arabesques éphémères qui illuminaient le sol au loin. Enfin arrivés à leur hauteur, Hazu constata qu'ils s'agissaient du plancton luminescent de la Danseuse. Mille couleurs flottaient dans les eaux calmes de la rivière, remontant le courant en formant des courbes serpentines. Hypnotisé par ce bal aquatiques, Hazu ralentit son soufle et réprima sa peur. Il détailla le visage de son compagnon et remarqua l'étrange halo qui s'échappait de la poche de celui-ci.

Warren, toujours pris au piège dans ses songes, sortit mécaniquement le Tout. Un éclat aveuglant faisait luire l'artéfact et Hazu dut se protéger les yeux. Warren posa alors un genou à terre et sous le regard ahuri de l'elfe, plongea l'objet dans l'eau froide de la rivière.

Une explosion silencieuse fit alors jaillir une gerbe de rubans lumineux qui se tressèrent avec élégance à la surface de l'eau. La tissage s'agrandit, formant un fil de lumière qui remontait le courant. Hazu était époustouflé par cette magie qui semblait leur montrer un chemin, aussi bizarre que cela puisse paraître. Il se mit lui aussi à genou pour mieux apprécier les nuances irisées de cette oeuvre d'art. Le Tout pulsait comme un coeur et chaque onde se répercutait sur la surface de l'eau. C'était magnifique. Puis, Warren se réveilla dans un grand cri, haletant, et le phénomène s'arrêta net. Les deux voyageurs furent de nouveau plongés dans une nuit d'encre, perdus dans une forêt peuplée de bruits inquiétants.

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