8 Liaison

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Olivia et Victor se sentaient dorénavant liés par cet aveu. Étrangement, cette nouvelle complicité étonnait plus le jeune homme que la jeune fille. Il n’arrivait toujours pas à comprendre pourquoi il s’était tant confié à elle, que ce soit ce jour où il s’était emporté, ou même plus tôt, le soir de l’anniversaire de Thomas. Peut-être était-ce le silence de la jeune fille, le fait qu’elle ne puisse pas le juger ou lui dire l’inverse de ce qu’il aurait voulu entendre. Une « écoute » silencieuse, qui permet de tout dire, sans risque ; voilà sans doute la clé de l’aisance que ressentait Victor en compagnie d’Olivia. Cependant, il prit le risque de perdre cette aisance en lui donnant son numéro de portable. Ainsi, par messages textes, elle pouvait enfin lui parler. Et comme elle savait que c’était sans danger, elle se confia elle aussi. Ils échangèrent sur tout : sur leurs angoisses, sur leurs craintes, sur leurs pensées, sur leurs rêves. Pour la première fois, Olivia parla de Victoria. Elle raconta tout ce qu’elle se rappelait : les souvenirs d’enfance, le piano ; la disparition, le silence. Victor apprit donc que la jeune fille silencieuse qu’il connaissait avait un jour été une enfant pleine de voix et de musique. Et il comprit que sa surdité et son mutisme étaient bien moins éprouvants que la blessure en son âme.
Et pourtant, les deux jeunes gens ne se côtoyaient pas au lycée. Leur amitié restait secrète et ne s’en portait que mieux. Plus les jours passèrent, plus les conversations s’intensifièrent et aboutirent sur des sujets appartenant au jardin secret. De simples confidences, ils étaient passés à une confiance aveugle. Ils se livraient l’un à l’autre comme on écrit dans son journal intime cadenassé.
Comme on se livre à un ami.

*

     Une chambre aux murs blancs décorés de cadres sobres, au parquet grisé et à l’odeur de vanille. La clarté qui s’émanait de la fenêtre ajoutait du soleil ; et la vue sur les arbres, de la joie. Un bureau bien rangé ; dessus, un pot à crayons, des cahiers et une bougie. Une coiffeuse avec du maquillage. Un lit fait aux draps clairs et aux coussins doux. Une table de nuit portant une lampe, un réveil et un livre.
La chambre d’Olivia lui ressemblait beaucoup. Calme, ordonnée, apaisante. Victor attendait près de la porte. Il l’imaginait partout : dormant, travaillant, se maquillant, regardant par la fenêtre ; lisant.
Lisant.
Le livre sur le chevet attira son regard. Sa couleur orange tranchait avec la douceur des tons de la pièce. Il le prit. Sur la couverture, les contours abstraits d’un cheval de carrousel. Sur le quatrième de couverture, aucun résumé. Simplement le titre et le nom de l’auteur. Le jeune homme en feuilleta quelques pages. Il y en avait une dizaine qui étaient cornées. Au hasard, il s’arrêta sur l’une d’elle. Un morceau de texte était encadré au crayon de papier.

« You can’t ever find a place that’s nice and peaceful, because there isn’t any. You may think there is, but once you get there, when you’re not looking, somebody’ll sneak up and write ‘’Fuck you’’ right under your nose. Try it sometime. »*

*

     Olivia entra dans sa chambre et tendit à Victor le manuel d’anglais qu’il était venu chercher.
– Merci, lut-elle sur ses lèvres. Je sais vraiment pas ce que j’ai fait du mien… Je te le rendrai au prochain cours.
Une fois de plus, elle ne lui offrit pour toute réponse qu’un sourire.
Puis elle le raccompagna à la porte d’entrée, et il la remercia à nouveau. Alors qu’il avait franchi le pas de la porte, il se retourna ; revint vers elle.
Inattendu, osé, maladroit ; sincère. Victor embrassait Olivia. Surprise. Douceur du geste et de la bouche. Sensation d’envol. Odeur de printemps, goût sucré. Palpitations. Pluie de questions, et pensées en brouillard. Vent coloré. Caresse de bien-être. Floraison de bonheur.
Lorsque leur baiser prit fin, il s’en alla sans lui adresser un regard.
S’il l’avait fait, il aurait vu le plus éblouissant des sourires sur le visage empourpré de la jeune fille.

*The Catcher in the Rye, J.D. Salinger, chapitre 25.

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