9 La renaissance

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Tant de choses s’étaient bousculées depuis le début de la nouvelle vie d’Olivia. Les plus importantes à ses yeux étant son amitié avec Camille, et son confident en la personne de Victor. Et bien sûr la parenthèse dans sa surdité lorsqu’elle avait appuyé sur la touche du piano…
Elle pensait sans cesse à cet épisode. Il la hantait. Plus que le décès de sa cousine, plus que le baiser de Victor. Le souvenir de la note ravivait tout l’effroi qui l’avait emplie à l’instant où elle s’était échappée. Échappée de la cage dans laquelle l’inconscient d’Olivia avait enfermé tous les sons.
Et si la porte de cette cage n’était plus verrouillée ?
Une telle option faisait peur à la jeune fille. Oui, elle voulait entendre plus que tout au monde. Mais Olivia était en chute libre depuis quinze ans et l’atterrissage allait être violent.
Quelle serait alors la clé ?
La musique. Elle n’avait aucun doute là-dessus. La musique était la clé. Une clé qui était là, à portée de main ; il ne lui restait plus qu’à la saisir.
Il suffisait d’écouter quelqu’un jouer de la musique. Et si son inconscient le voulait, il laisserait s’envoler tous ces oiseaux chantants emprisonnés.
Décision prise, la peur s’effaça et l’excitation la remplaça. Olivia écrivit donc à son amie :
« Camille, j’aimerais que tu joues du violon pour moi… ».

Que le son renaisse.

*

     D’abord étonnée, puis intriguée, Camille accepta avec plaisir la demande d’Olivia. Elle avait eu tellement peur d’avoir froissé sa fragile amie avec son histoire musicale. Elle avait été tellement perturbée lors de sa visite. La jeune fille renfermait tellement de mystères, tellement de blessures que Camille aimerait panser. Alors, si pour l’aider, elle devait jouer ; elle allait jouer toutes les symphonies du monde.

*

     Pour la deuxième fois, Olivia pénétra dans le salon clarteux. Rien n’avait changé, juste la présence de Camille à ses côtés était nouvelle. Une boule dans sa gorge persistait malgré tout, ainsi qu’un léger sentiment de malaise. Beaucoup d’émotions et d’angoisses la bouleversaient. Elle ne lança qu’un bref regard au piano, toujours à sa place, et qui semblait encore la narguer. Il la jugeait, elle en était certaine.
L’étui à violon était posé sur la table basse, et Camille s’en saisit. Olivia avait enlevé ses chaussures pour mieux sentir les vibrations de la musique. Les vibrations.
La violoniste sortit son instrument : il était beau ; pas effrayant. Il devait être déjà accordé, puisqu’elle le cala déjà sous son menton et attrapa l’archet. Puis elle regarda son amie. Olivia était pâle, et elle savait que Camille sentait son angoisse. Son cœur cognait très fort dans sa poitrine. Sa respiration s’affolait peu à peu. Ses pensées partaient dans tous les sens. Dans quelques secondes, elle allait savoir.
Et si elle n’entendait rien ? Si le violon restait muet ? Que pourrait-elle en conclure ? Pourquoi aurait-elle alors entendu la note du piano ? Peut-être l’avait-elle imaginée ? Peut-être son inconscient lui avait-il joué un tour ? Ses espoirs s’envoleraient et elle sombrerait dans la folie. Elle ne voulait pas que ça arrive. Peut-être valait-il mieux qu’elle ne sache jamais. Que Camille range son violon, qu’Olivia rentre chez elle. Oui, il fallait qu’elle parte. Une désillusion serait insupportable.
– Prête ? lut-elle sur les lèvres de son amie.
Elle la regarda dans les yeux. Le train de ses pensées s’arrêta. Tout était vide, tout était blanc. Machinalement, elle hocha la tête.
Camille posa l’archet sur les cordes du violon.
Emportée par la passion comme à chaque fois qu’elle jouait, elle ferma les yeux.
Si elle les avait laissés ouverts, elle aurait vu le sursaut d’Olivia.

Les notes déchirèrent l’air. Violentes et déterminées, elles taillèrent en pièce le monde d’Olivia. Elle avait les oreilles en feu, l’esprit en cendres et le cœur en fumée. Comme un poignard aiguisé, la douleur transperçait son corps. Chaque mouvement de la musicienne était comme une gifle. Les notes s’enchaînaient, puissantes, grondantes ; chacune plus tonitruante que la précédente. La partition des chocs progressait et le chaos approchait.
Petit à petit, la torture s’estompa et la musique s’adoucit. Ce n’était pourtant pas le morceau qui changeait, c’était l’auditrice. Les coups se transformèrent en caresses, les flammes en fleurs et le poignard en plume. Quelque chose apparut en Olivia. Une vague déferlante de sensations. Dans son ventre, un tourbillon d’ivresse chassait toute la noirceur du silence. C’était comme une danse frénétique et envoûtante.
Le morceau était joyeux. La musique faisait vibrer la pièce et le corps. Dans son monde, Camille faisait chanter le violon et le cœur d’Olivia. Les mouvements de l’archet sur les cordes étaient une œuvre d’art. Plus rien n’existait. Il n’y avait plus dans l’univers qu’Olivia et la musique. Parcourue de frissons, tremblante ; elle souhaitait que la violoniste continue de jouer jusqu’à en saigner.
À son tour, elle ferma les yeux. La musique se changea en ailes et elle s’envola.

Lorsque la dernière note fut jouée et que le silence ressuscita, la musicienne regarda son audience. Elle et son violon avaient dessiné sur le visage de son amie des larmes, et, surtout, un sourire.

Elle et son violon avaient transformé une chrysalide en papillon.

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