5 Dialogues

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Assis seul sur un banc de la cour, Victor observait Olivia. Quelque chose d’étrange l’empêchait de la quitter du regard. Elle était là, avec ses deux nouvelles amies, les yeux rivés sur leurs lèvres pour suivre la conversation, avec ce sourire figé sur son visage et qui y creusait deux petites fossettes. Cette drôle de fille le fascinait, il ne savait pas pourquoi. Peut-être était-ce son histoire qu’il ne connaissait pas, son air mutin qui l’emportait toujours sur son air fragile et perdu, ou peut-être même ce silence qui la caractérisait et qui la rendait secrète et inaccessible.
Entendant la sonnerie qui mettait fin à la récréation et voyant ses amis fumeurs revenir dans la cour, Victor se décida et la rejoignit, marchant désormais à côté d’elle. Il lui toucha le bras pour lui indiquer sa présence. Elle tourna la tête vers lui. Ne trouvant cependant rien à dire, il se contenta de lui sourire ; sourire auquel elle répondit. Ce geste lui convint et il ralentit le pas. Soudain, ses amis étaient là et l’un d’eux lui mit un coup :
– Qu’est-ce que tu fous, mec ?
– Je sais pas, répondit Victor, je crois que je pète les plombs.
En disant cela, il se rendit compte que son comportement avait été ridicule.
Olivia ne l’avait pas trouvé ridicule.

*

     C’était officiel : Thomas venait d’avoir dix-huit ans et il organisait une soirée pour célébrer sa majorité. Dès que Camille sût qu’elle était invitée, elle demanda à ce qu’Olivia puisse venir elle aussi, afin qu’elle s’intègre mieux au groupe d’amis ; demande que le jeune homme accepta sans hésiter.
En ce dernier samedi du mois de février, Olivia ouvrit donc son armoire à la recherche d’une tenue pour cette fête. Elle opta finalement pour une jupe noire, un pull gris et une paire de bottines. Ce qu’elle craignait surtout, c’était de se sentir à l’écart. Elle avait déjà été à plusieurs soirées de ce genre depuis qu’elle était lycéenne. Toujours, on s’occupait d’elle au début, mais dès que tout le monde était bien éméché, elle devenait transparente.
Une fois qu’elle fut prête, elle descendit au rez-de-chaussée. Sa mère, qui s’inquiétait toujours pour elle, lui signa que si quelque chose n’allait pas, elle n’avait qu’à lui envoyer un message pour qu’elle vienne la récupérer. Olivia lui répondit que tout allait bien se passer. Elle reçut un message de Camille lui disant qu’elle l’attendait devant chez elle. Elle attrapa ses affaires, embrassa ses parents, et sortit.

Thomas vivait dans une grande et belle maison, en pleine campagne. Lorsque les deux jeunes filles furent déposées devant le portail, elles sonnèrent et instantanément, le jeune homme se dirigea vers elles. Il les invita à le suivre et ils se rendirent dans le grand garage au fond de la cour. Le lieu avait été parfaitement aménagé pour une soirée d’anniversaire : les voitures avaient disparu, on y avait installé des tables, beaucoup de chaises, des guirlandes lumineuses, des ballons. Un certain nombre de bouteilles étaient déjà sorties, et l’on devinait qu’il y en avait encore quelques-unes dans le petit réfrigérateur. Dans des bols, des gâteaux et autres chips ; des gobelets, des assiettes en carton. Un ordinateur portable ouvert sur un site de musique était branché aux deux enceintes qui trônaient sur une étagère murale.
Camille et Olivia étaient les premières arrivées. Petit à petit, tous les invités les rejoignirent. Des camarades de classe, d’autres du lycée ; ou même des amis de Thomas qui n’étaient pas dans leur établissement. En tout, il y avait une vingtaine de jeunes prêts à s’amuser ce soir-là.
Plus pour s’intégrer au groupe que pour en apprécier la saveur, Olivia décapsula une bière. Elle ne quittait pas Camille d’une semelle. Elles avaient rejoint quelques personnes de leur classe. Camille était très sociable, extravertie et avait toujours quelque chose à raconter. Tout le monde riait à ses blagues et appréciait sa présence. Quant à Olivia, elle fut surprise de constater que personne ne lui posait de question sur sa surdité. On semblait l’accepter, voire s’en moquer ; et c’était bien une des premières fois que cela arrivait. Alors, elle se détendit et commença enfin à profiter de la soirée. Elle fit la connaissance de plusieurs élèves du lycée, leur apprit quelques mots et quelques phrases en langue des signes, leur fit comprendre que pour nommer quelqu’un, un sourd lui donne un surnom à signer, en fonction d’une de ses caractéristiques physiques ou bien d’un de ses traits de personnalité. Ainsi, elle expliqua qu’elle nommait Camille « sourire », car cette dernière souriait tout le temps. Tout le monde lui demanda alors un surnom et elle tenta de faire preuve d’originalité. La barrière de la compréhension n’était, ce soir-là, plus un obstacle.

Après quelques heures, le chargé de la musique éteignit les lumières et poussa le son au maximum. Certaines filles, moins timides que d’autres, se lancèrent sur la piste et commencèrent à se déhancher. D’autres dansaient plus sobrement ; mais la plupart restaient assises, la présence et le regard aiguisé de certains garçons sur les danseuses y étant sans doute pour quelque chose. Camille proposa à Olivia de lui apprendre quelques chorégraphies emblématiques. Elle accepta, et, afin de ressentir toutes les vibrations de la musique qu’elle ne pouvait pas entendre, elle retira ses chaussures, et apprit à danser.
Les garçons décidèrent ensuite d’organiser un jeu d’alcool. Tout le monde s’installa autour de la table pour participer. Chanceuse, Olivia n’eut pendant la partie à boire que trois fois ; ce qui n’était pas le cas de certains qui enchaînèrent les verres et vidèrent les bouteilles.
Tout au long de la soirée, la porte du garage s’ouvrait et se fermait, laissant entrer des vagues d’odeurs de tabac et autres substances fumables. Il était plus de trois heures et demie ; certaines filles beaucoup trop alcoolisées étaient déjà allées se coucher dans le salon, Thomas s’était éclipsé « discrètement » avec une invitée, un groupe de garçons dans un état second refaisait le monde, et Camille discutait avec un jeune homme qui n’avait d’yeux que pour sa mini-jupe.
Olivia était assise, seule, triturant son gobelet vide. C’est à ce moment-là que Victor vint s’asseoir à côté d’elle. Il lui demanda si elle allait bien, elle hocha la tête. Alors, une sorte de dialogue s’instaura entre eux. Victor parlait toujours de façon à ce qu’elle n’ait à répondre que par oui ou par non, ou même qu’elle n’ait pas à répondre du tout. Les verres qu’il avait bus aidant, il s’ouvrait à elle, digressant souvent, dévoilant une autre facette de sa personnalité ; celle d’un homme curieux, intéressé et intéressant, qui ne cherchait qu’à comprendre le monde dans lequel on l’avait plongé.
Comme elle avait attaché ses cheveux, il en enroula une fine mèche autour de son doigt. Elle crut qu’il allait l’embrasser comme son regard transperça son corps ; mais il finit par se lever et quitter la pièce, la laissant là, retournée par cet échange.

Cette nuit-là, le ciel était parsemé d’étoiles.

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