Moïra Gynt #9

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[ Toujours, je retournerai à Moïra Gynt ]

Je suis né quelque part dans la chair de tes rues et toi, tu m'es restée au coeur, bien cachée sous mes côtes. Parfois, tu me tambourines dans le bide, un poisson qui s'ébroue. Alors j'attrape un sac et des cigarettes, mes clés de Cad' Deville et je file à tes frontières. Je ne sais jamais combien je roule ou de kilomètres avalés. Je t'imagine parfois sur le siège arrière, soudain ma seule humaine, le vent dans tes cheveux défaits. Je t'ai au corps mais tu m'échappes si souvent, du haut de tes talons de glace. Tu danses et tu t'éclipses, traces ta route dans ton blouson dégueulasse.

_____

sur certaines portes, le drapeau américain, argentin, cubain et de grands hommes en débardeur

odeurs de graisse et d'épices frites

des femmes épaisses, cheveux enchignonés et louches en l'air, suintent et hurlent aux passants le prix d'une portion de riz sauté, de chow mein ou de crevettes sauce cajun

un vieux assis à la pompe à essence en engloutit une portion et crache les queues sur le sol

elle tombent dans le caniveau, comme des pétales sales

dans un rade miteux, les gars jouent au billard sous les spots mal nettoyés

les filles dansent en mini-short

elles ondulent gazelles entre d'autres corps rudes, bougent leurs reins creux

elles portent des talons hauts, les traînent le long de la voie ferrée

les spliffs roulent et leurs voix tournent graves, deviennent des rocs derrière le rouge à lèvres

leurs tenues pétillent, sans sens ni aucun goût

ça n'empêche pas les regards de loups et les yeux d'ogres

car là-bas, surtout là-bas, les hommes ont toujours faim

dehors, des bruits de tambour et des gens qui dansent autour, gros et gracieux

dans un hangar, ça boit au mauvais whisky, bières ouvertes, effluves d'herbe et de fumette

je vois inscrit "Miami beach bitch" et "Biscayne BisGayne boulevard" entre les nuages et ma décapotable

de l'écume grise et des palmiers

tout au-dessus, les lignes de trains miteux quadrillent de fer et d'acier le monde du bas

camping-car et camions à balle sur les routes en béton troué

au loin, une silhouette à cheval

grands escaliers blancs devant les baraques tassées et aux peintures raclées

gamins sans tee-shirt au ventre rond qui battent le bitume, s'improvisent rappeurs ou oiseaux cascadeurs sur les briques des murs

les usines ploient sous les tags, les taffes, les traces d'aventurieurs nocturnes, bombes et couleurs en main : ça dessine, ça maquille et ça rature en riant, tranche la nuit à gorge déployée

partout, des casquettes, des jeans trop larges et des reluques durs

au ras du ciel, un coucher de soleil : il saigne sur les toits en quartiers d'orange, tirent des grillages roses dans les rétros des voitures

des couples y font l'amour et des courses dans la poussière

à l'arrière d'un van, des mecs pissent dos au vent

un ex-blonde aux cheveux bleus se protège la tête des gouttes chaudes tandis que le véhicule file

un couple se blottit sur un vélo : c'est lui qui conduit

deux jeunes appuyés à la rouille d'une clôture devant un terrain vague en déchets

leurs grands frères se battent devant un drugstore, leurs soeurs les regardent en fumant

______

Dans toutes ces gueules, voilà un peu de la tienne, ma femme, ma "Mo", avec tes immeubles en jambes minces et tes allées en pointes de seringue. Tu abrites des mondes à chaque pas, entre bars en file et urbains déglingués. J'ai tes artères dans les miennes et le sang que tu draînes quand tu y entraînes les autres, tout au sein de toi.

[ Toujours, je retournerai à Moïra Gynt ]

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