Comme un écho #10

2 minutes de lecture

- Tu me quittes ?

Un silence suspendu, long comme ses cils.
Trop long.

Sa bouche qui s'ouvre, ses yeux qui hésitent.

Et finalement...

- Oui.

C'était à la fin du mois d'août, à deux pas de septembre. La chaleur continuait de couler sur Paris et de raccourcir les jupes mais l'été était déjà loin derrière. Le genre de période qui colle à la peau et fait douter de tout.

Qui l'a faite douter, elle.
De moi, de nous.

Mais pas vraiment d'elle-même.

Elle savait.

Depuis toujours.

Je venais de nous servir deux tasses gonflées de café. Sa voix s'est plantée dans mon dos puis a résonné sous mes muscles, comme un écho du haut de la falaise. Elle venait de déclencher un petit tonnerre dans ma tête. Tout était devenu pluie sur un îlot et moi seul, échoué là.

Je me rappelle avoir longuement regardé la fumée qui montait du liquide sombre. Je me rappelle aussi l'avoir trouvée très blanche au-dessus de cette mare. Une pause égoïste mais nécessaire. Prendre un peu le temps, un bain dans la mer.

Je ne me suis pas retourné tout de suite. J'ai fait comme si. Comme si elle n'avait rien dit, comme si le café n'avait pas fini de couler, comme si les tasses étaient vides, comme s'il n'y avait pas de tempête. Mais elle a insisté.

- Ce n'est pas juste à cause de là-bas, tu sais. Il n'y a pas QUE là-bas. Je veux... Moi, j'aimerais découvrir l'Asie. Tout entière.

J'ai fermé les yeux. Prié n'importe qui, n'importe quoi pour qu'elle arrête de parler.

Elle a continué.

- Les temples et les esquisses, les néfliers du Japon, les néons qui se tamisent...

Je n'ai pas bougé.

Je voulais lui hurler de se taire, de se tirer et de ne jamais revenir. De prendre ses horribles robes jaunes, ses livres d'architecture, ses sandales bleues... De vider l'appartement de sa présence, de son odeur, de son sommeil, de tout ce qui avait pu m'obliger à l'aimer un jour, à chaque minute.

Mais je n'ai pas bougé.

- Tu comprends, hein ? Il n'y a que toi qui puisses comprendre. S'il te plaît.

Mes dents se sont crispées et j'ai posé les tasses. Pour la première fois depuis le début de cette tornade, je lui ai fait face.

- Et parce que je comprends, je dois te laisser partir. C'est ça ?

Elle n'a rien dit.

Je n'ai rien dit.

Quelques heures après, elle quittait la maison avec une valise pleine de tout ce dont je ne voulais plus et de tout ce que je voulais vraiment.

Elle.

Voilà comment j'ai perdu la fille qui en aimait une autre.

Voilà comment j'ai perdu la fille tombée amoureuse de Tokyo.

Voilà comment j'ai perdu la fille qui avait cette ville dans la peau.

Et voilà comment j'ai perdu la fille que j'avais dans la mienne.

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