Deux heures plus tôt, sur un sentier littoral

TRISTAN (regardant la mer et la ligne d’horizon) – Ça m’a manqué, Jérémy. Si tu savais comme tout ça m’a manqué ! Comme VOUS m’avez manqué…
JEREMY (regard fuyant) – On ne s’est pas vraiment perdu de vue. Je veux dire, il y avait MSN, la webcam…
TRISTAN – Si, on s’est perdu, Jérém’ ! Enfin, moi je t’ai perdu. On a toujours été très liés, toi et moi. Et puis, la distance s’est installée d’un seul coup. Et ce n’est pas dû qu’à mon départ…
JEREMY – C’est sûr que le contact virtuel, c’est différent, moins naturel peut-être…
TRISTAN (fixant son ami dans les yeux) – Non. Il y a eu autre chose. Tu as changé, Jérémy. Tu n’es plus le même.
JEREMY (regard interrogateur, inquiet) – Qu’est-ce que tu insinues par-là ?
TRISTAN – Tu fuis. En permanence. Tu fuis les questions personnelles, tu esquives tout ce qui peut se rapporter à la vie privée. C’était d’ailleurs encore plus flagrant lorsque je t’interrogeais à propos de Cyrielle, quand je te demandais ce qu’elle devenait.
JEREMY – T’es allé la voir depuis que tu es rentré ?
TRISTAN – Tu vois, tu cherches toujours une échappatoire…
JEREMY (sur la défensive) – C’est pas vrai, Tristan ! C’est juste que je sais très bien combien tu l'as aimée, et combien tu l'aimes encore... Vouloir la revoir dès ton arrivée ici aurait été légitime.
TRISTAN – Je me voyais mal me pointer chez elle après tout ce temps, Jérém'. Et puis, elle doit avoir quelqu'un dans sa vie, depuis, non ?

Tristan sonde du regard son ami, mal à l'aise. Jérémy fixe ses pompes, et finalement lui fait face.

JEREMY – Écoute, je ne voulais pas t'en parler, en tout cas pas comme ça de but en blanc parce qu'il est évident que tu tiens encore à elle...
TRISTAN – Bien sûr que je tiens encore à elle, bordel ! Je te rappelle que c'est elle qui m'a quitté, que c'est pour ça que je suis parti, pour essayer de l'oublier. Sauf que je n'y suis jamais vraiment parvenu...

Tristan reprend sa marche en s'éloignant de Jérémy. Il essuie une larme qui coule sur sa joue. Son ami le rattrape en posant une main fraternelle sur son épaule.

JEREMY – T'as pas à te justifier, Tristan. Les sentiments, ça se contrôle pas.
TRISTAN (s'efforçant de sourire en reniflant) – On va dire ça, ouais...
JEREMY – J'ai pas voulu que ça se fasse si vite entre elle et moi. Je sentais qu'il se passait quelque chose et puis, l'instant d'après j’étais là à l'embrasser sans trop comprendre le comment du pourquoi.

Tristan stoppe sa course, net, et dévisage son ami, incrédule. Jérémy l'imite et le fixe à son tour.

JEREMY – Cyrielle et moi, on va se marier, Tristan. Dans trois mois.

Tristan passe une main dans ses cheveux en grimaçant presque de douleur pour digérer la nouvelle.

TRISTAN (le regard noir et les dents serrées) – Vous êtes ensemble depuis combien de temps ?
JEREMY – Bon sang, Tristan, elle t'avait plaquée, elle était libre ! Libre !

Le regard de Tristan se durcit encore un peu plus.

JEREMY – On s'est embrassés la veille de ton départ. Mais je te jure que j'ai rien calculé...

Tristan décoche une droite dans le nez de Jérémy. Celui-ci saigne.

TRISTAN (en colère) – Tu m'as volé Cyrielle, Jérémy ! Tu savais que j'allais avoir mal à en crever, mais tu me l'as volée quand même…
JEREMY (contenant au maximum le saignement de son nez) – Je ne te l'ai pas volée, je l'aimais ! Et depuis aussi longtemps que toi, depuis notre première rencontre tous les trois, sur la marina. Seulement, elle t'avait choisi, alors j'ai fermé ma gueule. J'ai souffert, Tristan, autant que toi aujourd'hui...

Tristan n'écoute plus, il tourne les talons et s'en va.
Jérémy ne tient plus son nez et ne saigne plus. Il reste seul et s’assoit face à la mer. Il parle tout seul.

JEREMY – Moi aussi, j'ai souffert, mon ami. De savoir qu'Ellorah n'était pas ma fille...