74. La trahison est un plat qui se mange seule

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Rafaela

Je me replie sur moi-même et arrondis le dos en soufflant doucement, puis me redresse et l’étire lentement en tendant la jambe derrière moi. J’inspire en même temps, puis expire en reprenant la position du fœtus. Et je répète les mouvements, encore et encore. Le Yoga a ses avantages, mais j’ai l’impression qu’il ne me sert à rien aujourd’hui. Je finis par m’allonger sur le dos et me concentre sur ma respiration, mais elle devient vite erratique et accompagnée de sanglots.

Est-ce que j’ai réagi trop vivement ? Sans aucun doute. Mais comment faire confiance dans ces conditions ? Angel m’a caché que c’était Quinn qui l’avait embauché. On a couché ensemble, commencé à se fréquenter sans qu’il ne m’avoue jamais qu’il n’était pas là pour le poste d’assistant et qu’il s’agissait simplement d’une couverture. J’ai l’impression d’être dans une mauvaise série d’espionnage.

Je me relève en essuyant rageusement mes joues et range mon tapis dans le placard de la salle de sport. J’ai évité Ellen tout l’après-midi, piquée par sa propre trahison, et me suis enfermée dans ma chambre jusqu’à avoir la sensation d’y étouffer. Trop de souvenirs avec Angel qui me passaient et repassaient en tête. Tout comme cette foutue trahison. Je ne demande pourtant pas la Lune, si ? Honnêteté et transparence, c’est trop en vouloir ?

Sans parler de Quinn. Lui, il va m’entendre. J’espérais me calmer un peu avant de l’appeler, mais je ne pense pas avoir réussi à le faire, et je file sous la douche avec la ferme intention de mettre fin à son contrat. Il a chié dans mes bottes, comme on dit vulgairement, et je ne pourrai plus travailler avec lui sans avoir envie de l’insulter de tous les noms chaque fois que je le vois.

Je récupère finalement mon téléphone, laissé sur le lit durant ma séance de Yoga, et grimace en voyant le nombre d’appels. C’est l’euphorie dans les médias depuis quelques jours, mais on doit battre tous les records aujourd’hui pour Sherlock. Sans compter que mes parents et ma sœur se sont joints à la partie. Je m’apprête d’ailleurs à appeler mon agent quand mon smartphone se met à vibrer dans ma main. Encore un numéro inconnu, sans doute un journaleux qui veut du biscuit. Il vaut mieux que j’évite de répondre à ces sollicitations, parce que je pense que je pourrais être très désagréable.

J’enfile le premier jogging qui me passe sous la main et entrouvre la porte de ma chambre pour vérifier si Ellen est dans les parages. Ne l’y voyant pas, je traverse le couloir et ouvre la porte de la chambre d’Angel. Il n’y a plus de vêtements sur la penderie, plus de paperasse sur le bureau… Il ne reste que l’ordinateur et le téléphone que je lui ai fournis. C’est encore plus déprimant de voir ce lit au carré, cette odeur boisée qui est la sienne flottant dans la pièce, et… le silence.

J’attends patiemment que Quinn daigne me répondre et m’assieds sur le lit. Entendre sa voix me tire une grimace. J’ai l’impression d’avoir une plaie béante et que ce son ressemble à une pression douloureuse sur ma blessure. La Diva est aussi une Drama Queen, apparemment…

— Sherlock t’a déjà appelé ? lui demandé-je sans plus de politesse.

— Oui et il m’a dit que tu l’as viré comme un malpropre. Ce n’est pas lui le responsable, c’est moi. Tu me vires aussi ou on s’explique et on continue de bosser ensemble ?

— Oh j’ai déjà eu l’explication, Quinn. Je t’ai demandé quelque chose, tu as fait le contraire de ce que je voulais. Ce n’est pas la première fois, mais c’est clairement la plus fourbe et la plus douloureuse, alors je romps notre contrat. J’ai ma dose.

— Attends au moins de trouver un nouvel agent, Rafie. Je suis désolé de ne pas t’avoir obéi, mais tu sais bien que c’est pour ton bien. C’est toujours ça que j’ai en tête, même si je joue parfois à celui qui ne pense qu’à l’argent.

— Ah oui ? Tu me connais, Quinn. Tu m’as vue avec Angel, tu l’as dit toi-même, que j’avais l’air super amoureuse, on est d’accord, non ? C’est dans mon intérêt de ne rien me dire sur son rôle ici, tu trouves ? Tu pensais que j’allais le prendre comment, sérieusement ? Vous m’avez tous menti, bon dieu ! Tous autant que vous êtes, vous, les personnes en qui j’ai confiance !

Je déteste entendre ma voix vaciller sur la dernière phrase. J’ai besoin de toute ma colère et mon assurance pour ne pas craquer et me remettre à pleurer, et ça m’énerve de ne pas parvenir à me retenir. Autant je peux pleurer sur commande quand je joue, autant me retenir quand j’ai envie de me glisser sous ma couette et de m’y cacher, c’est plus compliqué, voire impossible.

— Je te rappelle les termes de notre contrat, Rafie. Je dois te protéger à tout prix et m’assurer que tes intérêts sont défendus le mieux possible. C’est ce que j’ai fait. Si tu veux vraiment me virer, trouve-toi un autre agent et demande-lui de trouver un avocat qui contacte le mien. Tu veux tous nous mettre hors de ta vie parce qu’on a voulu te protéger, eh bien, vas-y. Tu n’iras pas mieux, mais au moins, tu seras seule sans personne pour te réconforter.

— Je déteste les mensonges et tu le sais. Tu m’as trahie, Quinn, et je ne supporte pas ça. Tu m’as foutu dans les pattes un détective et tu m’as laissée tomber amoureuse de lui sans jamais m’avouer qu’il n’était pas simplement un assistant. Vous m’avez tous menti, et je devrais la fermer et vous sourire ? J’en suis incapable, désolée de ne pas être influençable et une bonne petite actrice gentillette. Je vous faisais confiance !

— Mais tu t’emportes pour rien, Rafie ! Il n’a pas été un bon assistant ? Et je ne t’ai jamais vue aussi heureuse que depuis qu’il est entré dans ta vie ! Ouvre les yeux ! Regarde la réalité et pas celle que tu crois voir ! Il n’est pas le seul à avoir une autre vie à côté de son travail à tes côtés. Est-ce que ça te dérange que Ben soit aussi entraîneur de baseball sur son temps libre ? Il n’en a pas beaucoup, mais il en profite dès qu’il peut pour aller s’occuper des gamins des banlieues. Est-ce que ça le gêne pour faire son boulot ? Non. Eh bien, c’est pareil pour Angel. Il t’a assistée et c’est tout.

— Oh arrête d’essayer de me la foutre encore à l’envers ! Il enquête sur le fan fou. Tu vois, tu essaies encore de me mentir alors que je viens de te dire que je ne supportais pas ça ! Ben ne m’a jamais caché qu’il entraînait les gosses, lui. Et il est là en tant que garde du corps, pas sous couverture pour m’apprendre le baseball, à ce que je sache ! m’énervé-je avant de souffler et de continuer plus posément. Je n’arrive pas à croire que tu oses me dire que tu ne m’as jamais vue aussi heureuse que depuis qu’Angel est là. Tu l’as bien vu, l’attachement, tu… tu as compris les choses, mais il ne t’est jamais venu à l’esprit que ce mensonge foutrait tout en l’air…

— Tu t’emportes et tu dis n’importe quoi, Rafie. Rappelle-moi quand tu seras calmée. Si tu veux toujours me virer, je t’orienterai vers un collègue qui prendra soin de toi. Bonne soirée et réfléchis avant que ce soit toi qui foutes tout en l’air.

— C’est vous tous qui avez tout foutu en l’air, putain, marmonné-je en raccrochant.

Je m’allonge sur le lit et regarde le plafond en laissant dériver mes pensées. Comment est-il possible qu’aucun d’eux ne comprenne à quel point je peux me sentir blessée qu’on fasse les choses dans mon dos ? C’est quand même dingue qu’ils trouvent tous légitime de me mentir comme si mon avis et mes sentiments ne comptaient pas.

Il me faut un petit temps avant de me décider à descendre. Je rumine dans mon coin depuis un moment et j’ai besoin de prendre l’air, de boire un verre, de manger quelque chose d’autre que ces cookies qui ramollissent sur mon lit depuis que j’ai découvert qu’Angel était Sherlock. J’envoie un message à Ben pour lui dire que je veux le voir à la première heure demain matin, et file à la cuisine, déserte. Tant mieux. Je ne sais pas où est Ellen, mais je doute qu’elle soit partie sans m’avertir que sa journée était terminée.

Je me prépare une petite Tequila Sunrise et récupère un plaid sur le canapé avant de sortir m’installer sur un transat de la terrasse. Je pourrais dire que la vue sur la ville me calme, mais j’en viens à détester Hollywood, ce soir. Sans ces foutus paparazzi, je serais tranquillement lovée contre Angel, le sourire aux lèvres, bien loin de la soirée morose qui s’annonce. Le problème c’est que je risque de perdre le sommeil, que je vais craquer quand on va me demander ce qu’il en est de mon histoire d’amour, et que j’ai des obligations dans quelques jours qui m’empêcheront de rester dans mon coin pour panser mes blessures. Le souci, aussi, c’est que je ne sais même plus en qui je dois avoir confiance. Ellen était dans la confidence, c’est sûr. Ben aussi. Et ma sœur ? Mes parents ? Phillip ? A qui est-ce que je vais pouvoir me confier ? Qui va me tendre la main sans arrière pensée ? Je n’ai pas vraiment d’amis, aujourd’hui. Trop de personnes intéressées par ma notoriété, je me suis enfermée dans une bulle que je pensais sécure. Et même cette bulle a éclaté.

— Tu veux quelque chose à manger ? Tu ne devrais pas boire avec l’estomac vide, Rafie.

Je ferme les yeux et retiens un soupire en entendant la voix d’Ellen, qui vient s’asseoir sur le rebord du transat à côté du mien. Je sens son regard posé sur moi sans même la voir. Et mon intuition se confirme lorsque je plonge mes yeux dans les siens, inquiets.

— Je n’ai pas très faim. En revanche, je crois que je vais aller me servir un autre cocktail. Tu devrais rentrer chez toi, je n’ai pas besoin de toi ce soir.

— Tu es sûre, Rafie ? Tu sais que ce n’est pas bon de s’isoler. Tu étais si heureuse, je n’ai pas voulu rompre le charme en te parlant. J’aurais sûrement dû, vu comment tu es ce soir…

— Si vous ne m’aviez pas menti dès le début, tu n’aurais pas eu ce dilemme à résoudre. Maintenant, je suis tombée amoureuse et je suis malheureuse. Ça n’en valait même pas la peine, puisque le dingue court toujours.

— Tu as quand même fait une belle rencontre, ma chérie. Je suis désolée que tu sois malheureuse… J’espère que le temps t’aidera à guérir. Tu veux vraiment que je te laisse seule ce soir ?

— Ça vaut mieux, oui, parce qu’en plus d’être malheureuse, je suis aussi en colère. Et je ne voudrais pas dire quelque chose qui pourrait foutre en l’air notre relation, quand bien même ton omission l’a déjà égratignée… Je ne sais même plus à qui je peux faire confiance, maintenant.

— Tu sais que je suis là, si besoin. Bonne nuit Rafaela, essaie de dormir un peu. Tu verras, demain, ça ira déjà un peu mieux.

— Peut-être. Tu peux prendre ta journée de demain, Ellen, et Phillip aussi d’ailleurs, lui dis-je en me levant. J’ai besoin d’être seule. Et pas la peine de discuter ou de venir quand même, je vais tout verrouiller. J’en ai vraiment besoin. Bonne soirée.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et rentre sans faire d’arrêt à la cuisine pour me diriger vers mon bureau. Je ne sais pas ce que je vais y faire, mais en attendant qu’Ellen soit vraiment partie, je vais rester enfermée ici. Je la connais, elle va vouloir finir la vaisselle, ou sortir le linge, et elle va rester un peu plus longtemps que prévu pour s’assurer que je ne vais pas tenter de me noyer dans mon bain ou je ne sais quelle connerie. Ce soir, j’ai juste envie de noyer mon chagrin dans la Tequila. Pas bien, mais si ça peut m’aider à dormir… J’ai bien le droit à une soirée de déprime avant de devoir remettre le masque, non ?

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