73. L’inéluctabilité de la catastrophe annoncée

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Angel

Dans notre forteresse, j’ai l’impression que rien ne peut nous arriver. Dehors, les passions se déchaînent, les prétendus journalistes aboient leurs insanités au quotidien, les réseaux sociaux font apparaître les conflits les plus absurdes, beaucoup de fausses informations circulent, quelques vérités aussi malheureusement. Mais ici, rien ne nous touche, j’ai l’impression. Bon, on s’est un peu repliés sur nous-mêmes depuis quelques jours, mais cela nous a permis de vivre pleinement notre amour. Il y a pire comme confinement imposé.

Je reviens dans la chambre que nous partageons désormais et m’installe sur le lit à ses côtés. Je lui ai fait un petit chocolat chaud, j’y ai même rajouté quelques chamallows qui sont en train de fondre, et j’ai également ramené des cookies préparés par Ellen.

— Et voilà ! De quoi te réchauffer et te redonner de l’énergie après notre petit exercice du début d’après-midi.

— Avec tout l’exercice qu’on fait, on peut se permettre de se régaler de ces délicieux cookies, sourit-elle en se servant. Mais tu vas me gaver, là. Merci Angelito !

— C’est parce que je tiens à toi et que je t’aime que je te gâte comme ça, tu sais ?

Je l’embrasse alors qu’elle récupère son ordinateur sans se couvrir. J’adore la voir nue à mes côtés et c’est une vision dont je ne peux me passer. J’ai beau la caresser, la toucher, l’admirer plus que de raison, je suis toujours sous le charme quand je la vois au naturel faire des actions du quotidien. C’est ça la vraie intimité et c’est sans mesure que je veux en profiter.

— Tu risques surtout de gâter mes hanches, beau gosse.

— Quinn t’a envoyé les articles du jour ? Je me demande ce qu’ils vont encore avoir inventé aujourd’hui.

— Il y en a quelques-uns, oui. On fait des paris sur les infos ? rit-elle en se calant contre mon torse.

Je ne préfère pas. Pour l’instant, j’ai eu de la chance car aucune réelle information n’est parue sur moi, mais je sais que ce n’est pas possible que ça continue sur le long terme et cette perspective m’effraie. J’ai préparé mes arguments pour quand la vérité sortira, j’en ai discuté avec les autres personnes qui fréquentent Rafaela, je suis donc assez confiant sur la façon dont ça se déroulera, mais j’ai quand même une pointe d’appréhension.

— Je ne suis pas assez pervers pour imaginer tout ce qu’ils sont capables d’inventer, dis-je en caressant doucement sa magnifique chevelure.

Le premier article qu’elle ouvre ne nous apprend rien de nouveau, à part que la star aimerait faire des gâteries à ses partenaires et que c’est comme ça qu’elle m’aurait séduit. Rafaela pouffe en lisant l’article et me fait un petit bisou sur la joue avant de lire le suivant. Une nouvelle fois, rien d’excitant ou d’élément pouvant nous perturber. Je commence à croire qu’aucun journaliste n’a percé mon secret à jour, mais quand je vois le titre du dernier article, je déchante immédiatement. Je sens Rafaela se tendre contre moi avant de s’éloigner et de se redresser en se recouvrant du drap. Ce n’est pas bon signe et il semblerait que la tempête soit en train de se lever. Elle reprend sa lecture avant de porter son regard vers moi, accusateur et meurtri. Que ça fait mal de la voir ainsi sur la défensive, blessée.

— Dis-moi que ce n’est pas vrai ? commence-t-elle, la voix un peu tremblante.

— Bien sûr que ce n’est pas vrai. Je ne suis pas Sherlock Holmes, tenté-je de répondre pour désamorcer la bombe qu’elle vient de lire.

L’article de Nearer ne m’a pas épargné. Il me traite de détective de seconde zone, de ne mener des enquêtes qui ne tournent qu’autour du cul et que j’ai été embauché non pas en tant qu’assistant mais pour mener des enquêtes pour ma patronne que je me suis décidé à baiser pour profiter de son argent et de sa trop grande gentillesse. Ils approchent de la vérité, même s’ils n’ont pas encore compris qui m’avait réellement embauché et pourquoi.

— Et puis, franchement, ils réduisent à peu de choses toutes les enquêtes que j’ai pu mener avant de te connaître, tu sais ?

— Pourquoi tu ne m’as jamais dit que tu étais détective ? Et pourquoi venir bosser pour moi ? Pourquoi est-ce que Quinn t’a pistonné, au juste ?

— J’ai été embauché en tant qu’assistant, ce que j’ai fait avant importait peu, non ? Je crois que j’ai bien rempli ma tâche, n’est-ce pas ? C’est si dérangeant que ça que je sois aussi détective privé ? Peu importe pourquoi Quinn voulait que je vienne, tu ne crois pas ?

— Ça a de l’importance si tu n’es pas un ancien détective, mais que tu es toujours en activité, me répond-elle en posant l’ordinateur sur moi, ouvert sur le site internet de ma boite. Et si tu es là pour une autre raison que simplement être mon assistant.

Je ne sais pas quoi lui répondre. J’hésite à lui mentir mais je me dis que je lui dois la vérité. Elle n’est pas si terrible que ça, en plus. J’ai juste cumulé deux jobs, un pour elle et l’autre pour son agent, mais pour la protéger. Ce n’est quand même pas un crime, si ?

— Je suis toujours en activité, oui. Et si Quinn m’a demandé de venir, c’est pour mener l’enquête sur le fan qui t’écrit tous ces courriers. Je suis censé trouver qui il est et le mettre hors d’état de nuire, mais je crois que je dois être meilleur assistant que détective car je ne suis encore arrivé à rien.

— Wow, attends. Quinn t’a engagé ? Dans mon dos ? Et… on couche ensemble, non, pire ! On est ensemble et tu ne t’es pas dit que je méritais la vérité ? Y a pas un moment où ça fait tilt dans ta tête de Sherlock que me mentir sur les raisons de ta présence n’est pas normal ?

— Je n’ai pas vraiment menti, tu sais. Je ne t’ai juste pas tout dit. Et depuis que tu m’as confié que tu m’aimais, j’essaie de te le faire savoir, mais je sais que tu peux être un peu sanguine, parfois, et j’ai tellement eu peur de te perdre que je n’ai rien osé dire… Ce n’est pas si grave, si ? Je suis là pour te protéger, c’est tout. Et je n’ai jamais démérité sur le poste d’assistant même si je n’y connaissais rien au départ, il me semble.
— Ben oui, et donc attendre que ce torchon sorte l’info était la meilleure idée, évidemment ! Putain, je vais lui faire sa fête à Quinn, j’y crois pas ! Et toi… je t’ai tout dit, je me suis confiée à toi, je… je t’ai dit comme c’était difficile pour moi de faire confiance, et toi tu me mens depuis le début, en fait. Mais non, c’est pas grave, Rafie se fait encore avoir, mais tout roule. Magnifique !

— Je ne te mens pas, voyons ! Tout le monde ici est là pour te servir, pour s’occuper de ton bien-être, pour t’entourer. Et c’est ce que j’ai fait aussi. L’enquête, c’était pour te débarrasser de ce fou qui est vraiment dangereux, c’est tout. Ben et les autres, tout le monde s’y est mis pour essayer de te protéger et m’aider à trouver ce pervers. On veut tous ton bien, tu vois. Tu n’es pas en train de te faire avoir, c’est juste notre façon à nous de nous occuper de toi et de t’éviter des soucis inutiles.

— En me mentant, en manigançant dans mon dos ? Le dindon de la farce, tu vois ! Donc vous vous êtes tous bien foutus de ma gueule, en fait, c’est ça ? s’égosille-t-elle en se levant pour enfiler son peignoir. Tout autant que vous êtes, vous m’avez caché ça, et Quinn m’a clairement désobéi ! J’avais dit de ne pas s’occuper de ce dingue, merde !

— Mais on ne peut pas le laisser faire ce qu’il veut et te mettre en danger comme ça, quand même ! Vu son profil psychologique, ce mec est capable de passer à l’acte à n’importe quel moment. Quinn a voulu te protéger, c’est tout. Et si j’avais été plus efficace, ça fait longtemps que l’enquête serait terminée. Mais je n’ai rien trouvé de concluant pour l’instant.

— Eh bien félicitation, tu es meilleur menteur qu’enquêteur, Angel. Tout le monde veut me protéger, mais je n’ai rien demandé, merde ! Vous me faites tous plus de mal que ce dingue qui m’envoie des lettres, là. Bravo, c’est magnifique, vraiment. J’adore avoir des employés qui me mentent et manigancent dans mon dos. Et… putain, même toi… Tu m’aimes, c’est ça ? Jolie façon de le montrer. Notre relation se base sur un mensonge, ça promet pour la suite, débite-t-elle à toute allure avant d’applaudir dans ma direction.

— Je ne te mens pas quand je te dis que je t’aime, Rafaela. J’ai toujours été sincère là-dessus et tu t’énerves pour pas grand-chose. En quoi je t’ai menti ? N’ai-je pas fait tout ce que tu attendais de moi en tant qu’assistant ? Je t’aime, ma chérie, et je ne veux pas te perdre. S’il te plaît, calme-toi, cette histoire de détective n’est qu’un détail. On est plus forts que ça, tous les deux, non ?

— Le seul truc qui est fort, là, c’est mon envie que tu te barres d’ici, Angel. Alors tu peux récupérer tes petites affaires, faire ta valise, et partir avec tes entourloupes à la con. J’ai ma dose de conneries et de trahison pour l’année, c’est bon.

— Tu ne penses pas réellement ce que tu dis, là, si ? Tu veux vraiment que je parte ? Je… je vais te laisser un petit peu, mais il faut qu’on reparle de tout ça à froid. Tes mots dépassent tes pensées, on ne peut pas arrêter de se voir juste pour ça !

— Ah non, tu ne comprends pas là, Angel. S’il y a bien une chose que je déteste, c’est qu’on me mente, qu’on agisse dans mon dos et qu’on se permette de me trahir. Alors je suis tout à fait sérieuse. J’ai été honnête avec toi, je t’ai laissé entrer dans ma vie, je… je t’ai ouvert mon cœur, Angel, j’ai été moi, face à toi. Et le résultat c’est que tu n’es pas celui que tu prétends. Donc, je suis très sérieuse, je ne veux plus te voir. L’avantage, c’est que comme pour Quinn, tu ne seras pas vraiment au chômage, puisque tu as un vrai boulot.

— Je ne suis pas un chien qu’on jette comme ça, Rafaela, m’énervé-je en haussant le ton. Je te préviens que si tu me fous dehors comme ça, je ne remettrai pas les pieds ici. Je ne t’ai jamais menti, j’ai toujours cherché à te protéger, à m’occuper de toi et à te rendre heureuse. Et là, c’est comme ça que tu me remercies ? C’est comme ça que tu prétends m’aimer ? Et moi qui croyais que nous deux, c’était pour toujours. Que c’était plus fort que tout… Tu m’as juste dit que tu m’aimais pour me faire plaisir, c’est ça ? J’y crois pas, là.

Je me lève, énervé, et l’observe, incrédule. Elle a réussi à me blesser plus que je ne l’aurais cru possible. Et là, j’espère juste qu’elle va revenir sur ses paroles, qu’elle va se rendre compte à quel point elle est injuste avec moi. Mais son regard est froid et dur et je sens la catastrophe arriver sans avoir aucun pouvoir pour l’arrêter et l’empêcher de me frapper. De nous frapper.

— Tu étais payé pour t’occuper de moi ! C’est pour ça que j’ai dit oui à Quinn, pas pour avoir un garde du corps supplémentaire ! Et je t’interdis de me dire que mes sentiments ne sont pas sincères, c’est toi qui as…

— S’ils étaient sincères, la coupé-je, tu ne serais pas en train de me foutre à la porte. J’ai compris, va, n’en rajoute pas. Ton jouet n’est pas ce que tu croyais et tu le jettes parce que tu n’en as plus besoin. J’ai un minimum de fierté, alors on va arrêter là. Je te laisse. Je t’aime, mais je m’en vais. Je vais voir avec Quinn pour l’autre boulot, celui qui est vraiment important, te garder en vie et loin de ce pervers. Tu n’entendras plus parler de moi, j’espère que tu es rassurée.

Je sors de la pièce et vais récupérer mes affaires dans ma chambre. J’espère qu’elle va venir me retrouver et m’empêcher de sortir, qu’elle va s’excuser pour son attitude et qu’on va pouvoir en parler, mais non. Rien. Le silence. Je referme ma valise et sors dans le couloir. Sa porte est toujours fermée et j’hésite à frapper pour essayer une nouvelle fois d’arranger les choses. Mais elle a été claire et j’ai déjà été humilié une fois, ce n’est pas pour remettre le couvert dès maintenant. Je descends les escaliers et ne réponds pas à Ellen qui me demande où je vais. Je sors et cours presque jusqu’au portail qui se trouve à l’arrière de la propriété et que j’ouvre fébrilement avant de prendre le chemin à pied du centre ville. Je pourrais appeler un taxi, mais je n’en ai pas envie. Je pleure et je ne veux pas que quelqu’un ne me surprenne dans cet état. Je souffre et je veux garder cette douleur secrète. J’ai sûrement merdé à un moment, mais si elle m’aimait vraiment, elle m’aurait pardonné, non ? C’est ce que font deux personnes qui s’aiment. Si on n’est pas capable de le faire, c’est que l’amour n’est pas véritable. Et je crois que c’est ça qui me fait le plus mal. J’ai rencontré la femme de ma vie, mais pour elle, je ne suis qu’un détective raté qui lui a menti. Putain de destin.

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