71. Vivre cachés ou communiquer, telle est la question

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Rafaela

Je me sers un café et m’installe au bar de la cuisine alors que j’entends Ellen faire rouler ma valise jusqu’à la buanderie. Il faut croire qu’aujourd’hui, elle compte bien laisser l’ado en moi tranquille. Nous ne sommes rentrés que depuis deux heures, et elle me bichonne comme une enfant malade. Le poulet au curry et à la noix de coco est en cours de cuisson, la maison est toute propre et rangée comme je l’apprécie, surtout quand j’ai besoin de calme et de sérénité.

Ce n’est pas tant ce magazine pourri qui me dérange que les effets qu’il pourrait avoir sur Angel et mon couple tout frais ou presque. Il a beau dire ce qu’il veut, je sais l’impact de cette médiatisation, voulue ou non. Et il est encore plus brutal lorsqu’on ne le souhaite pas. Ils vont chercher à déterrer tout ce qui peut l’être dans son passé, ils vont le traquer et inventer mille et un mensonges pour justifier notre relation de manière malsaine. Si Hollywood vend des amours éternels et passionnels au cinéma, tout le monde aime que la réalité soit plus chaotique. L’amour intéressé fait vendre, les scandales aussi.

Je grimace en sortant mon téléphone et prends un moment pour regarder un peu les articles parus depuis que l’info a fuité. Ils ont déjà commencé à ressortir les photos de mes apparitions avec Angel, cherchant la petite bête. Une main dans mon dos pour m’enjoindre à avancer, un regard échangé, un sourire commun… Il leur faut un rien pour en faire tout un foin, c’est dingue. Et sur les réseaux, ce n’est pas beaucoup mieux. J’ai un nombre fou de messages sur une publication qui n’a rien à voir. Des fans qui se demandent si c’est la vérité, d’autres qui témoignent de ma complicité avec mon assistant lorsqu’ils m’ont rencontrée… Pourquoi est-ce que tout ceci doit absolument faire parler ?

Je récupère le stylo posé près de ma tasse et commence à réfléchir à l’annonce que je compte faire sur les réseaux. Du moins, après en avoir parlé avec Angel… Hors de question de faire ça autrement, je refuse que les médias se fassent plus d’argent sur mon dos qu’ils n’en font déjà. Je griffonne, barre, recommence, modifie… C’est difficile de parler d’amour, compliqué de se livrer tout en se protégeant.

Je lève les yeux sur Angel qui descend les escaliers. Je suis presque soulagée de voir qu’il n’a pas de valise à la main, mais s’il me cache bien les choses, il semble quand même avoir un poids sur les épaules qu’il n’avait pas avant cet article.

— Ça va ? lui demandé-je alors qu’il dépose un baiser sur mon front avant de filer ouvrir le réfrigérateur.

— Oui, même si la sieste aurait pu être plus reposante. Tu fais quoi ? Tu écris ma lettre de licenciement ? demande-t-il en souriant.

— Ce n’est pas au programme, c’est trop agréable de te voir te plier en quatre pour moi en cherchant des glaçons partout, ris-je. Je réfléchis à comment officialiser les choses, et il faut croire que je suis meilleure actrice qu’autrice.

— Officialiser ? Tu ne crois pas que les médias vont s'en charger et qu'il vaut mieux ne rien dire du tout ?

— Tu ne veux plus être officiellement mon boyfriend ? Parce que, moi, je préfère dire les choses à ma façon et ne pas leur laisser le monopole de parler de quelque chose qui ne les regarde pas, soupiré-je en lui montrant du doigt le magazine. C’est notre histoire, c’est à nous d’en parler, non ?

— Oui, tu as raison. Tu veux que je t'aide à écrire le truc ? Il faudrait aussi choisir un journal moins polémique que Nearer.

— Y aura pas de journal. On va publier ça sur mes réseaux. Accessible à tous ceux qui le veulent sans avoir à donner du fric à des magazines. Et ensuite on ne reviendra pas là-dessus, ce sera dit, officiel, et le reste ne regarde que nous. A moins que tu ne veuilles faire des interviews ?

— Euh non… Il faut qu'on se fasse une belle photo à deux alors. On va la prendre au lit ? dit-il en rigolant.

— Bien sûr. On peut faire un selfie à poil en pleine levrette, tant que tu y es, ris-je. J’aime bien la photo qu’on a prise au lac, sinon. Plus soft, quand même. Mais on peut en prendre une autre, oui. Ou ne pas mettre de photo, mais ce serait sans doute mieux avec…

— C'est vrai que celle du lac est pas mal. Le regard que tu portes sur moi dessus est vraiment irrésistible et trop mignon.

Je souris en jetant un œil sur mon fond d’écran. Effectivement, j’ai l’air d’une ado transie d’amour, sur cette photo, et ça n’a absolument rien de joué. C’est juste un petit bout de tout ce que je peux ressentir pour lui, ça.

Je n’ai pas le temps de répondre que la sonnerie du portail retentit dans l’entrée. Mon agent a dit qu’il allait passer, mais je ne suis pas sûre d’avoir envie de parler de tout ça pendant une heure.

— C’est Quinn… On va pouvoir parler de ça et entériner les choses. S’il cherche à te convaincre d’un truc que tu ne veux pas faire, ne lâche pas l’affaire, OK ? C’est Quinn… Il va voir ce qui pourrait nous rapporter du fric à tous les trois… Ce qui serait le mieux pour la communication, et pas ce qui est le mieux pour nous sans passer par la notoriété.

— Bien ma Chérie. Et même s'il t'embête, n'oublie pas que je t'aime.

Je l’embrasse tendrement et me love contre lui jusqu’à ce que la porte d’entrée claque. Comme si tout ceci était encore un secret, même s’il est bien éventré, je m’éloigne en souriant et vois débouler Quinn dans la cuisine, une pochette à la main. Il me prend dans ses bras avant de saluer Angel, puis va se servir un café comme s’il était chez lui et tire un siège pour s’installer face à nous. Entrée dramatique activée, il gère ce genre de choses et aurait peut-être dû devenir acteur plutôt qu’agent.

— Tu devrais prendre des vacances, Quinny, tu as l’air crevé, le taquiné-je.

— J'ai passé la nuit à travailler sur un plan de communication à cause de vous deux. C'est quoi, cette histoire ? Vous me cachez des trucs comme ça, tous les deux ? C'est vrai ce qu'on raconte ou vous êtes restés sages ?

— Nous sommes restés sages. Pas de sexe en public, pas de club échangiste, pas de disputes théâtrales… de vrais petits anges une fois sortis de la chambre d’hôtel.

— Mais pas dans la chambre, maugrée-t-il. C'est sérieux entre vous ou juste de l'amusement ?

— Bien sûr que c'est sérieux ! s’emporte Angel à mes côtés. Tu vas aussi nous demander quelle position on préfère ou on peut passer aux choses importantes ?

— Et quand bien même ça ne le serait pas, ça ne regarde que nous, bon dieu, marmonné-je en récupérant la pochette qu’il a déposée devant lui. Et donc, c’est quoi, ton plan de communication ? Parce que le nôtre est clair : pas de médias.

— Comment ça, pas de médias ? C'est de l'or en barres votre histoire ! Du romantisme, un peu de scandale. Et n'importe quel mec va s'imaginer à la place d'Angel ! Il faut foncer, les amoureux !

Je jette un regard à Angel qui me semble vraiment peu à l’aise avec cette histoire. J’étais certaine que Quinn voudrait en profiter et ça m’agace.

— C’est notre vie, Quinn, qui est étalée dans les médias. Notre vie privée, intime, quelque chose qui ne regarde que nous. Comme la dernière fois, je veux que ça reste privé au maximum. Et je ne veux pas que les gens s’imaginent à la place d’Angel, Dios mio. Donc, c’est non. Tu peux abandonner l’idée de tes interviews à la con.

— Mais si on ne fait rien, ils ne vont pas lâcher l’affaire, vous vous en doutez bien, non ?

Sans déconner ? De toute façon, ils ne lâcheront pas l’affaire avant un moment… A moins d’un plus gros scoop à Hollywood… Et encore, ils pourront toujours traiter les deux. Tant qu’ils n’auront pas eu l’impression de creuser jusqu’au noyau terrestre, ils vont fouiner.

— Justement, on ne peut pas contrôler ce qu’ils vont chercher et sortir comme infos, mais on peut au moins décider de comment on officialise et de ce qu’on décide de dire, non ?

— Ils vont juste s’en servir et tout déformer, non ? Je crois qu’il faut faire un truc très sobre si tu ne veux pas leur donner du blé à moudre. Tu en penses quoi, Angel ?

— Je fais confiance à Rafaela, moi. Je… je me moque un peu de ce qu’ils pensent, les autres. Et donc, je me dis que faire un post avec une photo sur les réseaux sociaux comme on le souhaitait, ça suffira largement.

Je souris à Angel et glisse ma main dans la sienne, posée sur la table. Je vois Quinn jeter un œil dans cette direction et le soupir qu’il pousse me donne envie de rire.

— Tu vois, Angel, lui ne s’en moque pas, de ce que les gens pensent. Je suis sûre qu’il a déjà pensé à mille choses qui pourraient sortir à notre sujet, dont la moitié qui viendrait de lui. C’est l’agent rêvé autant que celui qu’on déteste. Et je t’adore, Quinn, tu le sais. Mais là, tu n’as même pas ton mot à dire. On parle de nos vies intimes, c’est nous qui décidons. Dans tous les cas, ils vont fouiller, peu importe ce qu’on décide. Et toi, tu ne dis rien. Rien de plus que ce que tu as déjà balancé à notre sujet.

— Mais je n’ai encore rien dit ou presque, moi ! Je crois que vous faites une erreur et qu’il vaudrait mieux se saisir de la communication plutôt que de les laisser aller dans tous les sens, mais je ne suis que l’agent. Je vais respecter vos demandes, indique-t-il, visiblement résigné.

— Et pour dire quoi, au juste ? A quoi ça mènerait de répondre à une interview ? Qu’est-ce qu’on a à dire ? On est en couple, comme des milliards de gens dans le monde, pas besoin d’en faire une montagne, si ?

— Rafaela Lovehart est amoureuse ! Ce n’est pas des milliards de gens, c’est LA star actuelle du cinéma ! Il y a de quoi raconter ! Et je sens que l’on va avoir encore plein de surprises dans cette histoire, ajoute-t-il en dévisageant Angel. Tu es prêt à assumer ce qu’ils vont révéler sur toi ? Parce qu’ils ne vont passer à côté de rien, tu sais ?

— On verra bien, répond-il. Il n’y a plus rien qu’on puisse empêcher, désormais. Les projecteurs se sont tournés vers moi, ils ne vont pas s’en détourner si facilement. Je… hésite-t-il. J’espère que ça ne nuira pas à notre relation avec Rafaela, c’est tout.

— Si tu n’as pas fait de prison ou été accusé de harcèlement, ça devrait le faire, ris-je. A moins que tu ne sois le fan fou… le loup dans la bergerie.

— Je pense que ça va le calmer, lui. Il ne pourra plus s’imaginer en couple avec toi, au moins, énonce Quinn, pensif.

— Peut-être, effectivement. Ou ça va le rendre encore plus fou, si c’est possible… Bref, on va faire un joli petit post pour les réseaux, y mettre une ou deux photos, et on verra ce que ça donne. On ne maîtrise rien là-dessus, ils feront ce qu’ils veulent, comme d’habitude. Non, mais, sérieusement, tu nous vois répondre à des interviews et poser pour des photos ? Même pour Tyler, on n’a pas fait ça. C’est pas nous, un truc dans ce genre.

— Tyler, c’était du pipeau. Jamais tu ne l’as regardé comme tu regardes Angel. On ne serait arrivés à rien, tandis que là, il y a du potentiel. Mais on va la jouer discrète et on verra bien comment ça évolue. Tu m’appelles si besoin, je m’en vais réfléchir à comment capitaliser sur cette nouvelle de manière incognito. Pas facile, le challenge. Et tu n’hésites vraiment pas à me contacter, quoi qu’il arrive, hein ?

— Arrête de parler potentiel et capitalisation, bon sang, on parle d’amour et de rien d’autre, soupiré-je. Sur ce, moi, je vais aller prendre une bonne douche, et qui m’aime me suive. L’invitation ne vaut que pour une seule personne, je précise au cas où.

Je me lève et dépose un baiser sur la joue de Quinn avant de lancer un regard entendu à Angel qui est déjà debout près de son siège. C’est sûr qu’on ne prendra pas de photo sous la douche pour le post sur les réseaux sociaux, mais rien ne nous empêche de profiter de la vie à deux. En couple, en amoureux… même si les médias gâchent un peu les choses en se mêlant de tout ça. Pour vivre heureux, vivons cachés.

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