69. Soupe de poissons et déclarations

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Rafaela

— On rentre demain, Maman, ça va ! crié-je depuis la salle de bain alors que j’ai laissé mon ordinateur dans la chambre.

Angel se retient de rire en se brossant les dents, tandis que nous entendons ma mère demander pour la troisième fois pourquoi je suis partie en vacances à peine rentrée de Vancouver, et surtout, pourquoi je suis partie avec mon assistant.

Evidemment, elle me reproche de ne pas être venue les voir avant de repartir, de ne pas l’avoir avertie que j’étais rentrée, de ne pas… Bref, c’est ma mère, quoi. Sans compter que mes parents sont à la retraite mais n’ont pas pris la peine de venir me voir au Canada alors qu’ils auraient eu le gîte gratuit. Il paraît que je suis infecte quand je suis en tournage… Peut-être que c’est juste leur présence qui me rend moins agréable, parce que je n’ai pas la sensation de l’avoir été.

— Le tournage a été long et intensif, Maman, j’avais besoin de prendre l’air. On se voit le weekend prochain, si vous voulez venir…

Finalement, je vais peut-être annuler nos billets d’avion. Mes parents ne savent pas où je suis exactement, ça me permettrait de ne pas les avoir sur le dos pendant un petit moment. Jusqu’à ce que je craque et donne ma localisation à Bella pour qu’elle vienne avec les enfants. Et elle ne pourra pas s’empêcher de balancer aux parents qui débarqueront dans l’heure. Ou presque.

— Rafie, cariña, tu veux bien venir ? Ça me dérange qu’on ne parle qu’à une chambre vide.

Je soupire en entendant mon père et abandonne l’idée de me mettre de l’eye-liner. Je dépose un baiser sur la joue d’Angel et m’enroule dans une serviette de bain avant de gagner la chambre.

— Ecoutez, je suis un peu occupée, là. On va être en retard au restaurant et je ne suis même pas habillée, leur dis-je calmement. Je vous promets de vous appeler une fois de retour à L.A. Vous vouliez autre chose que juste me réprimander ?

— Tu ne nous as pas dit pourquoi tu étais partie avec ton assistant.

— Oh mais sérieux, je peux avoir une vie privée ? Je me tape mon assistant.

— Tu rigoles ou quoi ? Tu pourrais avoir n’importe quel acteur célèbre et tu choisis un type comme lui, un inconnu ? s’indigne ma mère.

— Mais non, elle te provoque, intervient mon père d’une voix plus calme.

— Est-ce que j’ai le droit de vivre ma vie comme je l’entends ? Je fais ce que je veux de mes nuits, je vous signale. Quelle importance qu’il soit acteur ou célèbre ? Justement, un peu d’anonymat ne fait pas de mal.

— Ne t’énerve pas, voyons. C’est juste qu’on t’aime et qu’on n’a pas envie que tu sois malheureuse. On se voit vite alors ? Tu nous manques, ma Chérie.

— Eh bien, arrêtez de juger constamment ma vie et mes choix et je serai heureuse comme pas possible, soupiré-je. Oui, on se voit bientôt. Je vous embrasse.

Je raccroche rapidement après leurs regards dépités et leurs baisers envoyés et referme mon ordinateur en jurant. Heureusement que je ne suis pas seule à la maison, sinon j’aurais passé ma soirée à marmonner en repensant à cette conversation. Au lieu de quoi, je me presse d’enfiler une petite robe légère et souris en voyant Angel sortir de la salle de bain en serviette de bain. Il vient m’embrasser et j’ai l’impression que ça suffit à me faire oublier tout ce qui n’est pas le plaisir d’être avec lui. Beaucoup plus agréable.

— C’est moi la Diva et c’est toi que j’attends pour partir parce que tu n’es pas prêt. Tu n’as pas honte ?

— C’est toi qui devrais avoir honte d’exciter et de faire l’amour à un inconnu comme moi, me répond-il en laissant la serviette tomber à terre.

— Bienvenue dans la tête de mes parents, grimacé-je en lui tournant le dos pour ne pas être tentée. Dépêche-toi de t’habiller, vil tentateur. Et sache que je n’ai aucun problème avec le fait de coucher avec un inconnu. C’est pas comme si on venait de se rencontrer dans le hall de l’hôtel, d’ailleurs. Tu es très connu dans ma tête.

— Je me dépêche ! J’adore être dans ta tête, en plus. C’est un des meilleurs endroits du monde. Si je pouvais y être encore davantage, je ne dirais pas non, d’ailleurs.
Je doute qu’il apprécierait tant que ça être dans ma tête, c’est un peu trop le bordel, parfois. Mais mon cerveau est éteint par son reflet dans la baie vitrée, alors qu’il est en train de s’habiller. Je crois que je suis vraiment accro et ça me fout la trouille comme pas possible. Moi qui pensais être amoureuse de Daniel et avoir souffert quand il est parti et m’a trahie, j’ai bien peur que tout soit bien plus fort et intense avec Angel.

Je me retourne alors qu’il enfile son tee-shirt et souris en le voyant lisser sa barbe de sa main. J’adore le voir faire ça, allez savoir pourquoi… Je crois qu’il pourrait m’exciter rien qu’en faisant ça avec son regard de braise…

— C’est bon, on peut y aller, beau barbu ?

— Oui, en route. Le beau barbu a faim !

Je glisse ma main dans la sienne et le suis à l’extérieur de notre suite. Nous longeons sagement le couloir jusqu’à l’ascenseur et je lui vole un baiser avant de descendre les marches rapidement, suivie de près par un bel assistant qui cherche à m’attraper. Cette légèreté me fait un bien fou, tout comme cette semaine qui est passée à vive-allure. Être juste Rafaela, ça fait du bien. Ne pas avoir peur de m’afficher avec Angel pour éviter les paparazzi, c’est ressourçant. Vivre sans se demander ce que pourrait en penser les autres, ça enlève un sacré poids sur mes épaules.

Bien sûr, et sans vouloir me vanter de quoi que ce soit, certaines personnes ici m’ont reconnue. Le serveur qui nous emmène dans l’un des box du restaurant, par exemple, m’a demandé très gentiment un autographe hier alors que nous attendions notre table, mais il n’a rien fait de plus. Pas de photos, la discrétion est de rigueur. Et c’est appréciable à un point inimaginable.

Je souris à Angel qui s’installe sur la banquette en L après moi et nous rions tous les deux en nous rapprochant simultanément du coin sans s’être concertés.

— ¡ Que guapo eres ! m’exclamé-je alors qu’il passe sa main dans ses cheveux plus longs que d’ordinaire. Pardon, ma grand-mère passait son temps à nous dire ça, à ma sœur ou à moi, mais… tu es très beau ce soir encore. On dirait que la fatigue liée à une intense activité physique te réussit particulièrement.

— Je crois que tu déteins sur moi, je ne vois pas d’autres explications.

— Pourquoi passes-tu ton temps à me dire que je suis belle ? ris-je. Tu sais que la beauté se fait la malle avec l’âge ?

— Mais tout est beau chez toi. Tu as vu ce don que tu as fait pour les populations indigènes ? Tu n’étais pas obligée ! Et ça avec ton corps de rêve, tu es irrésistible, tu sais ? Je crois que je n’ai jamais été aussi amoureux de ma vie.

Je dépose un baiser au coin de ses lèvres et lui souris. Sa capacité à se dévoiler de la sorte m’épate. Moi qui suis actrice et joue la comédie au quotidien sur des plateaux, je suis incapable d’afficher une assurance que je n’ai pas et de lui avouer que la réciproque est vraie.

— Je ne l’ai pas fait parce que je me sentais obligée. Tu sais, j’ai grandi dans une famille pas bien riche, je connais la valeur de l’argent. J’en ai plus que je n’en dépenserai jamais, et je suis contente qu’il puisse servir à des personnes qui en ont besoin.

— En parlant de ta famille, je n’en reviens pas que tes parents puissent être choqués à la simple idée que tu te tapes ton assistant. Ce serait si dégradant que ça pour une famille comme la tienne ? Tu imagines si un jour on doit leur dire que toi et moi, c’est du sérieux ? Enfin, pas que ça risque d’arriver, mais bon, quand même, je trouve ça blessant.

— Mes parents ne sont jamais satisfaits de rien, tu sais. Ce n’est pas toi, le problème, ou ton statut. C’est… Ils sont le problème, en fait, ris-je. Forcément, ils imaginent le couple de stars, mais ils n’ont pas un fond méchant. Ils cherchent le mieux pour moi sans jamais savoir ce que c’est, justement, le mieux pour moi.

Le serveur nous interrompt pour prendre nos commandes, me permettant d’espérer que la conversation dévie sur autre chose que mes géniteurs, ou notre relation, d’ailleurs. Je ne suis pas sûre d’être prête à aller au bout de ce genre de conversations.

— C’est nul de repartir, soupiré-je lorsque le petit jeune quitte notre table. Finalement, je resterais bien ici quelques jours de plus, ou semaines, d’ailleurs.

— Qu’est-ce qui t’empêche de rester ? Tu as des gros projets à Los Angeles qui t’attendent ? Ton agenda n’est pas bien rempli.

— Quinn nous a envoyé un mail cet après-midi pour rencontrer le réalisateur d’un docu-fiction sur la place des femmes dans la société la semaine prochaine. J’avoue que le projet me tente bien, même si c’est un truc à petit budget. Ça ramènerait pas mal de lumière dessus que je sois éventuellement dedans, en plus.

— Oui, tu attires la lumière où que tu sois. Je ne sais pas si je suis bien placé pour te donner des conseils, mais je pense que tu devrais le faire. C’est un projet qui a du sens.

— Ça me tente bien, oui. Ce sont des sujets importants et actuels, mine de rien. J’aimerais vraiment être autre chose que simplement la petite actrice mignonne qui montre son cul.

— Tu sais que tu es bien plus que ça. Et je ne dis pas ça parce que mon avis est biaisé. Je le pense vraiment au plus profond de moi et je le penserai encore quand tu auras tourné la page de notre relation.

Je reste indécise en l’écoutant parler. Il faut vraiment que j’arrête de mouliner dans le vide, mais c’est plus facile à dire qu’à faire, pour le coup.

— Je ne crois pas t’avoir laissé penser que j’envisageais une fin de relation, rassure-moi ? Je… enfin, je n’ai jamais pensé à mettre fin à notre relation, Angel.

— Oui, je sais bien que ce n’est pas pour tout de suite, me répond-il doucement. Mais ça n’est pas éternel, non plus, tu finiras bien par te lasser de tout ce sexe. Et après, il faudra tourner la page.

— Je ne suis pas avec toi pour le sexe, voyons. Bien sûr, c’est un plus non négligeable, mais… ce n’est pas l’essentiel dans notre relation, pour moi. Il y a tellement plus que juste du plaisir physique. De mon côté, en tout cas… Alors oui, on est compatibles sur ce plan-là, c’est clair, mais pas seulement. Je trouve ça dingue qu’on ait réussi à s’entendre aussi bien quand on voit comme on est différents, de base.

— Tu trouves qu’on est si différents que ça ? Moi, je trouve qu’on se complète bien. Et c’est quoi pour toi l’essentiel de notre relation, alors ?

— Angel, tu n’as pas de télévision, tu ne regardes pas de films, et je bosse dans l’industrie du cinéma, si ça ce n’est pas, à la base, une sacrée différence, je ne sais pas ce que c’est, ris-je en attrapant ses mains sur la table. L’essentiel, c’est… je ne sais pas vraiment, je crois que tu as des effets très positifs sur moi. Tu arrives à me faire sourire quand je suis bougonne, à me canaliser, à m’apaiser… Je me sens bien avec toi, toujours, alors que j’ai du mal à supporter les gens, en général. Et… en fait, je me demande ce que moi je peux t’apporter, au final, parce que je ne vois que tout ce que toi tu fais de bien dans ma vie.

— Justement, je t’ai vue en tant que femme, moi, pas en tant qu’actrice. Je m’en fous de ce que tu feras demain, que tu continues ou arrêtes ta carrière, cela ne changera rien à ce que je ressens pour toi. J’ai l’impression de voir la vie en couleurs depuis que je te connais. Cela n’a pas de prix. Je t’aime et je ne pourrai rien y changer même si je ne suis pour toi qu’un pansement sur tes relations.

— Angel, soupiré-je tandis que le serveur débarque à nouveau à notre table, m’interrompant.

Je crois qu’il va être temps de se dévoiler, Rafaela… même si c’est devant un plat de ragoût de poisson typique du pays en version haut de gamme. Classe et romantique. Et long à arriver, puisque le petit jeune nous sert un verre de vin et ramène du pain avant que j’aie pu reprendre.

— Il a le don pour débarquer quand il faut, lui, ris-je nerveusement. J’allais te dire que je ne laissais pas grand monde voir la femme derrière l’actrice, mais je me rends compte que c’est toi qui appelais la vraie Rafie… Je ne crois pas que tu te rendes compte de ce que c’est, pour moi, de me dévoiler comme je peux le faire avec toi. Et ce que ça signifie. Alors, oui, j’avoue que je ne suis pas très douée pour exprimer mes sentiments, mais tu es loin de n’être qu’un pansement. Je n’ai pas besoin de pansement, juste de toi dans ma vie, et pas seulement en tant qu’assistant. Tu es bien plus que ça, tu comprends ?

— Je crois comprendre, oui, murmure-t-il en plongeant son regard pénétrant dans le mien. Je… juste merci de ce que tu me dis, ça me redonne l’espoir que j’avais un peu perdu ces derniers jours.

— Je suis désolée que tu aies pu en arriver à penser que tu n’es là que pour… pour quoi, d’ailleurs ? Juste pour le sexe ? Je t’assure que c’est bien plus que ça, c’est juste que tout ça est compliqué. Je n’arrive pas à me sortir de la tête que le showbiz et toi, ça fait dix, que demain tu peux en avoir marre et te barrer. Parce que je l’ai déjà vécu et que ça fait mal. Et c’est encore plus intense avec toi, aujourd’hui, alors le jour où tu en auras marre… C’est le problème quand on aime quelqu’un, non ? On prend le risque de souffrir… Et je t’aime, Angel, si c’est ça que tu attendais, souris-je.

— Moi ? Attendre ça ? fait-il mine de dénier alors que tout son visage rayonne de bonheur quand il prend mes mains dans les siennes. Bon, oui, peut-être un peu, et je suis rassuré. Je n’ai pas du tout envie de me barrer, tu sais. Et quand on s’aime vraiment comme c’est notre cas, on peut tout affronter, je pense. Je le crois au plus profond de moi-même. Je t’aime, Rafaela, comme jamais je n’ai aimé aucune femme. Je t’aime totalement et entièrement. Je t’aime, tout simplement.
— Je ne pourrai jamais faire aussi bien, niveau déclaration, tu le sais, ça ? souris-je. Je t’aime, Angelito.

Je pose mes lèvres sur les siennes pour sceller notre petite déclaration et j’avoue que je ne fais pas très attention aux autres clients. Je m’en fiche, tout ce que je veux, c’est lui, en fait. C’est tout ce qui compte, aujourd’hui. Puisqu’on s’aime, on va faire confiance au destin et à l’avenir. On ne peut pas tout maîtriser, mais au moins profiter, en espérant qu’il n’y ait pas de date de fin. Parce qu’elle ferait assurément mal, cette fin. Angel est devenu un indispensable à ma vie. Et je ne parle pas de l’assistant.

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