46. Un gratin, et ça repart !

10 minutes de lecture

Angel


Je sens que je vais vraiment détester ce tournage, moi. Franchement, quelle idée d’enchaîner les scènes de jour avec celles du soir ? Il parait que c’est pour gagner du temps et économiser de l’argent. C’est une idée du réalisateur qui a demandé l’avis de tout le monde, et seule Rafaela s’y opposait au départ, en disant que c’était trop fatiguant. Mais bien entendu, ni Beckman, ni Patrick n’ont pris au sérieux cette Diva et son nouveau “caprice”, lui imposant ainsi un rythme de travail presque inhumain. Et dans tout ça, qui se retrouve à travailler presque sans interruption ? Eh oui, c’est moi. Parce que je ne peux pas laisser ma patronne sans manger et sans Ellen, c’est à moi qu’incombe la dure tâche de satisfaire les papilles de Madame. Et il faut que ça soit un plat qui se réchauffe facilement, sans perdre de goût, équilibré et plein d’énergie.

C’est pour ça que je me retrouve dans notre petite maison, en train de préparer un gratin de pâtes aux légumes selon une recette qu’Ellen a bien voulu me communiquer quand je l’ai appelée, un peu désespéré. Je profite cependant d’être seul pour appeler en visio Morgan et prendre quelques nouvelles. Je pose le téléphone devant moi et continue mes préparations pour ne pas perdre de temps.

— Salut Morgan. Tu vas bien ? Quelles nouvelles de tes recoupements ? Il faut qu’on le coince, ce malade.

— Salut, Angel. Vas-y mollo sur les questions, tu me donnes mal à la tête ! Ça va et toi ? Aux fourneaux, à ce que je vois. Ça change de la boîte de donuts ! Pour le gars, j’ai réussi à établir une liste de sept suspects que j’étais en train de t’envoyer par mail, justement.

— Tu as pu mettre des photos avec la liste ? Que je sois sur mes gardes si on les croise. Et puis, il faut aussi que je transmette à Ben, il va finir par avoir l’habitude que je lui communique des choses venant de toi, ajouté-je en souriant.

— J’ai six photos… Le septième est introuvable, un vrai fantôme. Pas de photos personnelles sur les réseaux sociaux, pas de vieilles photos d’école… On est au vingt-et-unième siècle, quand même, c’est fou !

Je finis de mettre tout dans le plat que j’enfourne avant de récupérer le téléphone, ce qui me laisse le temps de réfléchir un peu.

— Et donc, tu penses que c’est lui, notre gars ? Tu n’as pas réussi à avoir d’enregistrements lors de l’émission avec Jerry ?

— Tu as vu le monde qu’il y avait à l’enregistrement ? Comment tu veux que je sache qui c’est dans la foule, même en enlevant les six autres ? Je ne sais pas si c’est lui, mais c’est l’un des suspects, en tout cas.

Elle a raison, c’est quasi mission impossible mais bon, c’est un peu notre seule piste. Et il y a déjà six noms avec six photos, ce n’est pas si mal.

— Continue quand même à creuser la piste de ce dernier gars, on ne sait jamais, tu finiras bien par trouver quelque chose, personne n’est invisible sur le net… Et puisque tu n’as pas saisi mon allusion tout à l’heure, j’ai donné ton numéro au beau gosse. Ben t’avait remarquée aussi. Il t’a contactée ou pas ?

— Peut-être bien… mais c’est très intrusif, ça, patron, sourit-elle. Tu n’auras qu’à lui poser la question à lui. Je suis ton employée, comme si j’allais te parler de nos messages, non mais !

— Ahah, je vois. Bien, je ne pose plus de question. Envoie-moi tout ce que tu trouves, même si ça te parait insignifiant. Peut-être qu’avec mon flair légendaire, je finirai par voir quelque chose. Bonne fin de soirée, Morgan. Et reste sage avec Ben, on a besoin de son attention, ici !

— Il ne m’envoie des messages que lorsque votre Diva est en train de tourner ou une fois qu’il est au lit… Autant te dire que je vous plains, vu les horaires !

— Ouais, c’est sûr. Ce soir, tu seras couchée quand on va rentrer. Ils tournent les scènes nocturnes. C’est marrant de voir que rien n’est chronologique. Bref, je finis de préparer son repas et je vais les retrouver sur le lieu du tournage, en espérant ne pas y passer la nuit entière.

— Bon courage alors. Je t’ai envoyé le mail. A très vite, boss !

Je raccroche et attends patiemment que le fromage sur le gratin devienne craquant à souhait avant de le sortir. Quand je pense que je fais tout ça juste parce qu’elle n’a pas osé demander à Beckman un menu végétarien ! Elle essaie de se soigner, mais des fois, la Diva reprend toute sa place !

Lorsque j’arrive au studio, je retrouve Ben qui patiente dans la petite salle qui sert de lieu de pause. Il est en train de pianoter sur son téléphone, le sourire aux lèvres.

— J’espère que le gratin sera bon, tu as pensé aux glaçons pour que l’eau soit fraîche ?

— Je vois que les nouvelles vont vite. Dis à Morgan que je ne lui confierai plus jamais de secret. Et oui, bien sûr, j’ai une plaquette de glaçons… Ils ont bientôt fini, tu crois ?

— Je ne sais pas… A tes risques et périls d’entrer, rit-il. Tu sais qu’il existe des machines à glaçons portatives ? Tu devrais lui demander le budget pour en acheter une, je suis sûr qu’elle trouverait ça cool. Idée de Morgan, soit dit en passant.

Je lève les yeux au ciel et lui remets quand même sa part, même si je ne suis pas sûr qu’il la mérite, avant de pénétrer sur le plateau où se déroule le tournage. Beckman est en train de s’énerver contre le couple qui se pavane au milieu d’une fausse forêt.

— Non mais, vous faites quoi, là ? C’est pas du gnan-gnan que je veux ! Si je vous laisse improviser, c’est pour que ce soit naturel. Là, on dirait presque un vieux papy avec une aide à domicile ! Vous vous aimez, vous avez oublié ? Rafaela Lovehart, on ne baille pas quand on tourne ! Tu le dis si je t’ennuie, hein ?

— Je ne m’ennuie pas, mais il me semble t’avoir dit que tourner si tard après une journée complète me dérangeait. Ne venez pas vous plaindre, bougonne l’actrice avant de lui sourire, provocante.

— Ne fais pas ta chochotte, on a bien travaillé jusque-là. Mais on a encore au moins trois scènes à tourner avant de partir. Et à ce rythme là, on va y passer la nuit.

— Et revenir demain à huit heures ? Bon courage à la maquilleuse, continue-t-elle en se tournant vers Patrick. Allez, charmant Papy, c’est reparti pour un tour…

Quand enfin il les libère pour la pause repas, elle est beaucoup moins patiente et elle me repousse un peu brusquement quand je m’approche pour lui demander où elle veut s’installer pour manger.

— Eh bien, ça vaut le coup de te préparer des petits plats, dis donc !

— J’ai plus faim. C’était y a deux heures que je crevais la dalle, quand il fallait faire la belle totalement énamourée d’un con plutôt imbuvable. Là, j’ai juste envie d’aller me coucher, baragouine-t-elle en s’engouffrant dans le couloir sans se préoccuper de moi.

J’hésite un instant devant la porte en me demandant si elle préfère rester seule ou si son appétit est plus fort que sa fatigue quand elle me crie dessus à nouveau, impatiente de me voir lui amener son repas.

— Bon, tu t’es arrêté en route pour roupiller ou il arrive, ce foutu repas ?

— Ce foutu repas, comme tu l’appelles, c’est un merveilleux gratin aux petits légumes que j’ai préparé rien que pour tes beaux yeux. Alors, tu veux que je te le serve comment ? En chantant, peut-être ? Cela suffirait pour que tu arrêtes de me crier dessus ?

— Est-ce que j’ai l’air d’être d’humeur à supporter l’humour, là, franchement ? soupire-t-elle en me prenant la boîte des mains.

— Ce n’était pas de l’humour, voyons. Tu as de beaux yeux, vraiment. Et si tu me le demandes, je chante, hein ? Enfin, pas sûr que ça te détende de m’entendre massacrer tes morceaux préférés, mais si ça te fait rire, ce serait déjà bien. Prends des forces, voyons, la journée est bientôt terminée !

Je sors la petite gourde remplie de glaçons et lui en verse quelques uns dans un verre pendant qu’elle fait réchauffer son gratin. Elle semble vraiment épuisée mais a au moins esquissé l’ombre d’un sourire quand je lui ai parlé de son magnifique regard.

— Ça veut dire que si je te demande de te taire, tu le fais ? Parce que là, j’ai juste envie de calme. Je suis à deux doigts d’envoyer chier tout le monde sur le plateau et de me barrer. Je ne suis pas sûre que t’entendre chanter me calmera, bougonne Rafaela en s’asseyant devant son plat. Ça sent bon, en tout cas.

Je fais oui de la tête sans parler, avant de lui demander en faisant des signes et des grimaces si elle veut encore de l’eau. Je crois que j’ai l’air un peu grotesque, mais au moins, cela lui arrache un sourire, d’autant plus quand je fais mine de prendre un micro et de crier une chanson.

— Arrête, tu es ridicule, sourit-elle en me tendant son verre vide. S’il te plaît.

— Madame est servie, chuchoté-je tout doucement, mais c’est un secret, ne le dis à personne. Est-ce que le gratin est aussi bon que son odeur te le laissait penser ?

— Je constate que tu t’es vraiment mis Ellen dans la poche. C’est très bon. J’ai presque l’impression d’être à la maison… sans elle, malheureusement.

— Oh s’il ne te faut que ça pour être heureuse, rétorqué-je en sortant immédiatement mon téléphone.

— Bonsoir ma Puce, dit quelques secondes plus tard la voix de la vieille dame qui apparaît à l’écran. Quelle surprise !

— Mais t’es fou, Angel, tu as vu l’heure ? Je suis désolée, Ellen, mon assistant est fou !

— Oui, je suis fou, mais elle voulait te féliciter pour ton gratin, je crois. Enfin, le gratin dont tu m’as donné la recette. Il parait que c’est comme à la maison, mais tu lui manquais.

— Oh ma petite, il te martyrise, ton assistant ?

— Pas autant que le réalisateur, en tout cas… Tu lui as donné toutes tes recettes ? Parce que j’ai très envie du poulet au curry et à la noix de coco que tu me prépares quand j’ai le blues, sourit ma patronne en me faisant signe de la rejoindre alors qu’elle s’installe dans le petit canapé, mon téléphone à la main.

— Ah non, pas tout, il faut quand même que tu aies envie de rentrer chez toi ! Et pour le poulet, je suis sûre que si tu lui demandes, il te le fera. Cet homme est fou, comme tu disais.

Je m’installe à côté d’elle et souris. Je suis tout contre elle et j’avoue que la sensation n’est pas désagréable, surtout qu’elle semble avoir retrouvé un peu plus le sourire.

— Crois-moi, peu importe ce qui se passe ici, je compte bien rentrer à la maison. Et je peux t’assurer que tu n’as rien vu de sa folie. Bref, vous allez bien, Phillip et toi ?

— Oui, mais tu nous manques, ma Belle. La maison est vide sans toi. Enfin, tu vas encore nous faire un film merveilleux.

— Ellen, demande-lui si j’ai le droit de parler maintenant, chuchoté-je en faisant mine d’avoir peur de la Diva qui lève les yeux au ciel.

— Oh, Rafie, arrête un peu de le martyriser, le pauvre. Je suis sûre qu’il se plie en quatre pour te satisfaire, en plus.

— Oh, ça va, je te promets que j’y vais mollo, mais… la journée a été longue, c’est dur, ce soir.

— Je suis certaine qu’il te fera un petit massage en rentrant si tu es sage avec lui. Ne te fatigue pas trop, surtout. Moi, par contre, je vais aller me coucher, il est tard et je me demandais s’il y avait une urgence ou un souci. Me voilà rassurée.

— Tout va bien, tu me manques, c’est tout. Prenez soin de vous et travaillez moins ! N’oubliez pas de partir en vacances aussi, rit Rafaela avant de lui envoyer un bisou. A bientôt, Ellen.

— Bonne nuit Ellen, et désolé pour le dérangement, mais grâce à toi, elle a retrouvé le sourire ! Je savais que tu faisais des miracles !

La vieille femme racroche en souriant tandis que Rafaela me rend mon téléphone. Elle semble apaisée par rapport à tout à l’heure.

— Prête à retourner sur le plateau, alors ?

— Puisqu’il le faut, soupire-t-elle en posant sa tête contre mon épaule. Dans une minute… Vivement que ce soit fini, je pourrais m’endormir sur place, je crois…

— Je crois que le réalisateur le fait exprès, tu sais. C’est une scène où le personnage que tu joues est épuisé, il te met en condition pour que tu donnes le meilleur de toi-même. Tu vas assurer, c’est sûr. Et en rentrant, massage ! Ordre de la Reine Mère !

— Difficile de donner le meilleur de soi-même quand son “soi” est déjà au lit, dit-elle doucement en souriant, les yeux fermés. Ou en train de se faire masser par son assistant canon, d’ailleurs.

— Allez, fais un petit effort, sinon ton assistant canon te laisse rentrer avec le beau gosse qui te sert de garde, et tu seras privée de massage, ris-je en lui caressant machinalement les cheveux.

— Je risquerais de dormir avant même que tu ne poses les mains sur moi, en fait, je crois… Et mon garde du corps a l’air occupé par une autre nana que moi, si j’en crois ses sourires niais à son téléphone.

— Oui, je crois qu’il va bientôt te demander quelques jours de vacances… Tu vas pouvoir y retourner ou tu as encore besoin de quelque chose ?

— Non, c’est bon, c’est parti. Qu’on en finisse pour rentrer se coucher. Plus on attend et plus je risque de commettre un meurtre, grimace Rafaela en se relevant finalement.

J’admire une nouvelle fois ses magnifiques courbes et je me dis qu’elle va encore vraiment resplendir dans son rôle. Je la raccompagne sur le plateau où le réalisateur semble être ravi de la voir revenir avec un sourire. Et effectivement, la fin des prises de vue se déroule mieux qu’avant la pause, ce qui permet de ne pas finir trop tard, au grand soulagement de ma patronne, ravie de pouvoir enfin terminer sa journée. Je crois que j’ai rempli efficacement mon rôle d’assistant, à défaut de vraiment avancer dans celui d’enquêteur, je vais peut-être réfléchir à changer de voie, moi.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0