45. Retrouvailles du Septième Art

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Rafaela


J’ai un peu la sensation que c’est la reprise des cours alors que je glisse la pochette où se trouve le scénario dans mon sac et regarde mon allure dans le miroir. J’ai toujours l’impression que c’est ma rentrée des classes, ce premier jour au studio de tournage, et ça me colle une pression monstre. Nous allons relire le script avec tous les acteurs, et faire des remarques et suggestions, et je me dis que si je parle de tout ce que j’ai annoté, on n’est pas sortis de l’auberge. Même si je me suis globalement concentrée sur mon personnage qui, selon moi, manque de profondeur, j’avoue que j’ai aussi noté quelques trucs pour les autres. Heureusement, j’ai déjà eu l’occasion de travailler avec Alan Beckman, le scénariste et réalisateur, qui est très ouvert pour ce genre de pratiques, ce qui est plutôt rare. J’ai même envie de leur suggérer de laisser place à l’improvisation en ce qui concerne les dialogues, d’ouvrir une certaine marge “d’erreur” sans entendre un “Coupez” au beau milieu de sa réplique. Je suis sûre qu’il apprécierait, et je suis également certaine que Patrick, l’acteur principal masculin, y prendrait autant de plaisir que moi. Ah, Patrick… Quinze ans de plus que moi, superbe et adorable. Il va falloir que je me contrôle pour ne pas être un dragon pendant tout le tournage. La première fois que je l’ai vu, j’avais tout juste dix-neuf ans et je jouais un petit rôle dans l’un de ses films d’action de l’époque. Le fantasme fait de chair et de sang. Honnêtement, s’il m’avait proposé une nuit en sa compagnie, à l’époque, je n’aurais même pas réfléchi un quart de seconde avant de dire oui. Mais, parmi les acteurs Hollywoodiens majestueux et talentueux, il était l’homme marié, amoureux transi, et sa femme le suivait partout. Un très beau couple, en plus, même s’ils sont séparés depuis. Aujourd’hui… je ne dirais sans doute pas non, mais… mais rien du tout. Il faut que j’arrête mes conneries. Angel est inaccessible. Interdit.

Je sors de ma chambre et descends les escaliers en colimaçon pour retrouver mon assistant et mon garde du corps, assis à table devant la fin de leur petit déjeuner. Je ne manque pas le regard appréciateur d’Angel lorsqu’il me détaille de la tête aux pieds. Dire que je n’ai fait qu’enfiler une robe longue en jean et qu’il me regarde comme un gâteau sculpté par le meilleur pâtissier du monde…

Je file à la cuisine me servir un verre de jus d’ananas et tends l’oreille pour essayer de comprendre de quoi ils parlent, mais il semblerait que mon arrivée ait mis fin à leur échange et ils me rejoignent en débarrassant la table. J’ai quand même de la chance, moi… Je suis entourée presque H24 par deux beaux hommes souriants et agréables à vivre. Ils sont tous deux bourrés de charme et de qualités. J’ai réussi à ne pas craquer pour Ben, même si j’avoue que je n’aurais sans doute pas dit non dans un autre contexte… Deux ans de bons et loyaux services, il lui est arrivé d’être mon confident, plus souvent mon protecteur. Je ne compte pas le nombre de fois où il m’a serrée contre lui pour me mettre à distance de fans trop envahissants, et jamais il n’a tenté quoi que ce soit. Trop professionnel. Alors qu’Angel… Non, c’est moi qui ai cherché à le séduire, soyons honnêtes. Me foutre à poil sous ses yeux n’était pas la chose idéale à faire après notre baiser. C’était même la pire idée possible. Et la meilleure à la fois…

— On va pouvoir y aller ? Ou vous voulez que je vous laisse pour terminer votre conversation, peut-être ?

— On n’a rien de secret, tu sais. Je donnais à Ben les coordonnées d’une femme qui avait envie de le connaître. Elle était à la séance d’autographes et m’a contacté pour pouvoir communiquer avec, je cite, “le beau gosse”.

— Je vois. Tu sais qu’il a son fan club sur Internet ? Je ne prends que les hommes les plus beaux et les mieux baraqués dans mon entourage. Il n’y a que mon père qui fait tache dans le tableau, ris-je. Et Quinn, j’avoue…

— Eh bien, ça veut dire que je suis moi aussi dans la catégorie des beaux gosses ! rit mon assistant en prenant un gros sac avec lui. On en a pour toute la journée, c’est ça ?

— On en a pour toute la journée, oui. Et je te rappelle que techniquement, je ne t’ai pas choisi, le taquiné-je en sortant.

Je monte à l’arrière de la voiture en souriant et l’observe s’installer à mes côtés. Il me toise du regard sans paraître réellement vexé. Tu m’étonnes, il se voit tous les jours dans le miroir, il ne doit pas avoir grand problème avec son image et n’a absolument rien à envier à Ben.

— Prêt pour la lecture du script ? lui demandé-je. Allan est à la fois le scénariste et le réalisateur, et il aime que les acteurs mettent la main la pâte dès le début. Du coup, je vais avoir besoin d’un coup de main de ta part.

— Comment vais-je pouvoir t’aider ? Je ne suis pas acteur, moi.

— Non, mais tu es un potentiel spectateur. Quoique… sans télé, c’est compliqué. Tu as déjà allumé celle de ta chambre, à la maison, au moins ?

— Non, moi tu sais, à part les films pornos… me provoque-t-il en souriant.

— Ah oui, je vois… J’imagine que tu n’as pas vu le mien, sinon tu m’en aurais parlé, rétorqué-je en gardant un air sérieux.

J’avoue que j’adore sa réaction, le petit sursaut qu’il fait sur son siège et le regard accusateur puis interrogateur qu’il me porte, alors que je joue à celle qui vient de dire une banalité.

— Il n’est pas sur ta fiche Wikipedia, celui-là. Tu me donneras les références que je puisse le rajouter. Je suis sûr que tu y as exprimé toute la profondeur de ton talent.

— Quinn va vérifier tous les jours sur la page si l’info a été rajoutée et la supprime si tel est le cas. Le titre c’est “gang bang avec Rafie”. J’espère pour toi que tu tiens sur la longueur, il dure plus d’une heure, continué-je sur ma lancée alors que je croise le regard amusé de Ben dans le rétroviseur.

— Je pense que tu sais que je suis plutôt résistant sur ce plan-là, me répond-il avant de détourner son attention vers la route.

Je le laisse mouronner un petit temps et mon esprit divague vers notre nuit ensemble. Effectivement, j’ai largement pu constater de quoi il était capable…

— Angel, je crois que tu viens de découvrir le sens de l’humour de notre patronne, intervient Ben, cassant ma blague sans que je ne puisse m’empêcher de rire.

— T’inquiète pas, Ben, j’avais compris que c’était du pipeau. Je crois qu’elle est trop talentueuse pour jouer dans un mauvais film X.

— Tu n’as vu qu’un de mes films, comment tu peux dire ça ?

— Qui te dit que je ne me suis pas un peu plus renseigné depuis que je suis à ton service ?

— Je ne sais pas… Je me dis que tu aurais pu vouloir en discuter avec moi, dans ce cas-là. Mais passons, je suis contente que mes rôles de nunuche débile ne t’aient pas fait changer d’avis sur mes compétences d’actrice.

— Je trouve que même dans les premiers rôles, on sent qu’il y a quelque chose de plus, un petit truc qui fait qu’on tombe amoureux de la nunuche débile, qu’on a envie de la protéger, la réconforter. Après, il y en a certains où clairement, le réalisateur n’en voulait qu’à ton cul ou à tes seins.

— Ah, ça… On est d’accord, grimacé-je. Bref, sinon, pour aujourd’hui, j’ai besoin que tu notes au maximum les idées des autres acteurs. Et je voudrais qu’on en discute aussi, j’ai besoin de ton avis sur tout ce qui sortira. J’ai trop le nez dedans pour être objective.

— Tu vas leur piquer leurs idées ? Et je suis flatté que tu penses que je puisse avoir une opinion valable sur ce qui va être dit, mais je ne me sens pas trop légitime.

— Non, je ne vais pas leur piquer leurs idées, mais j’aime avoir un visuel global de l’histoire et la façon de travailler d’Allan est particulière, ça peut vite partir dans tous les sens. Et je ne vois pas en quoi tu ne serais pas légitime. Si tu ne regardes pas la télé, tu lis des livres ? Tu joues aux jeux vidéo ? Tu écoutes de la musique ? Tout ça, ce sont des histoires racontées d’une façon ou d’une autre, des tranches de vie ou des témoignages. Vrai ou pas, il faut que ça parle aux gens, il faut que ça ait du sens et que ce soit cohérent, fluide. Tu vois ?

— Je vois bien, oui. Tu en parles d’une si belle façon. Tu es vraiment faite pour ce métier, toi.

— Je ne sais pas si je suis faite pour ça, mais je l’aime, ce boulot. Et j’aime m’imprégner d’un personnage, vivre les choses à travers lui… C’est l’à-côté qui me plaît moins, en fait… J’aimerais pouvoir faire ça en restant totalement dans l’ombre en dehors d’un plateau.

— Ça semble impossible, ça, rit-il. Et tu ressors très bien sous la lumière des projecteurs.

Je hausse les épaules et le remercie d’un regard tandis que Ben ouvre sa vitre à l’entrée du studio pour nous annoncer. C’est parti pour une nouvelle aventure et je suis tout aussi excitée que stressée. J’aime cette sensation d’impatience mêlée d’appréhension.

Lorsque nous arrivons à l’intérieur du studio, j’ai mal aux joues tellement mon sourire est imprimé sur mon visage. Et j’avoue que tomber sur celui de Patrick ne fait qu’accentuer davantage le mien, si c’est possible. J’ai été flattée de voir qu’il m’avait reconnue lorsque nous nous sommes retrouvés avec Allan pour parler du film, même si j’ai pris du galon depuis que nous avons tourné ensemble la première fois. Je le suis tout autant de voir qu’il s’avance vers moi et me gratifie d’un chaleureux hug et d’un sourire qui me semble sincère.

— Bonjour, Patrick. Je suis contente de te voir, même si le rendez-vous était pris pour aujourd’hui !

— Bonjour, Beauté. Tu resplendis encore plus que la dernière fois, ma chère. J’ai hâte de pouvoir jouer avec toi. Tout va bien de ton côté ?

— Tout va très bien. J’ai hâte aussi, et pas seulement pour trois ou quatre répliques, cette fois. Ça me fait vraiment plaisir de bosser avec toi.

— Ah, mais c’est que tu as bien grandi en plus d’embellir ! Madame partage l’affiche désormais ! Et tu sais qu’Allan veut mettre ton nom avant le mien ? La période est à votre avantage, Mesdames.

— Après des années de domination patriarcale, je ne vais pas me plaindre de voir qu’on peut enfin vous mater, même si vous gardez bien trop d’avantages à mon goût.

— L’avantage de jouer avec toi n’a pas d’égal, Beauté. Et tu es venue seule ? Pas d’assistante prête à répondre à tous tes désirs ?

— Si, si, c’est moi l'assistante, intervient Angel, visiblement agacé du manège de Patrick à mon égard. Angel, pour la servir.

— J’ai décidé de changer mes habitudes, tu vois ? L’âge, sans doute, souris-je. Et Angel est doué.

Pas que pour l’assistanat, d’ailleurs, mais je me garde bien de lui dire tandis que Patrick le dévisage avant de tourner à nouveau son regard vers moi.

— Allons voir le bon vieil Allan, continue-t-il en passant son bras derrière mon dos. Il aime la ponctualité.

Ah, l’ambiance du plateau ! Si on ne tourne pas aujourd’hui, découvrir toute l’équipe d’acteurs et le staff qui va bosser autour de nous me fait grand plaisir. Il était vraiment temps que je retourne dans les studios pour autre chose que des photos, parce qu’il n’y a rien de mieux que cette ambiance pour me rappeler pourquoi j’aime tant mon métier. Jouer est ma passion, partager des scènes avec des petits acteurs inconnus autant que des monstres du Septième Art comme Patrick. Je sens que je vais vraiment adorer ce tournage, moi.

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