40. Le rapporteur énerve la patronne

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Rafaela

— Tu n’imagines même pas comme ta cuisine m’a manqué, Ellen. Ce poulet au curry est juste… Je n’ai même pas de mots.

— C’est toujours un plaisir de satisfaire tes papilles. Surtout avant de t’engueuler parce que je reviens de ta chambre et que tu n’as pas fait ton lit.

Je lève les yeux au ciel avant de rire. Mince, j’ai repris de mauvaises habitudes avec une semaine d’hôtels. Mais qu’est-ce que ça m’amuse de la voir aux petits soins mais hyper rigoureuse sur le lit. Je cherche la logique du truc.

— Excuse-moi, j’ai bossé sur mon texte toute la matinée, je n’ai pas pensé à…

— Pas d’excuse, la star, me coupe-t-elle. Tu ne mérites pas ce bon poulet, Rafaela Lovehart.

— Bon sang, tu as raté ta vocation, ma Ellen. Tu m’as manqué encore plus que ta cuisine.

— Ah ça, j’espère bien ! Bon, tu m’as fait ta liste pour Vancouver, que je commence à préparer ?

Merde… ça aussi, j’ai oublié.

— OK… Je vois qu’il y a du laisser aller, ma Chérie, ça ne va pas, ça.

— Je vais te faire ça en mangeant, désolée.

Je me lève et file récupérer une feuille et un stylo dans un tiroir dans la salle quand mon regard est attiré par le portail en train de s’ouvrir. La voiture de Quinn s’engage dans la cour et je me demande ce qu’il peut bien faire ici alors que nous n’avions prévu de nous voir que demain.

— Eh, Rafie ! Tu penseras à me descendre ton linge sale aussi. J’ai l’impression d’être la mère d’une ado, et j’en ai déjà élevé trois, pas besoin d’une quatrième.

Je pouffe en revenant à la cuisine. Elle n’a pas tort, cela dit, je n’ai absolument rien fait depuis notre retour de Paris.

— Oui, Maman. Promis.

— Tu as rappelé ta sœur ?

— Pas encore, non. Je vais le faire cet après-midi.

— Tu m’expliques ce qui cloche ?

— Ce qui cloche ? Absolument rien, je t’assure…

— Tu es peut-être une actrice, mais tu es une terrible menteuse, Rafaela. Je reviens, et tu te mets à table.

— Wow, attends, tu fais quoi ? Tu apportes un plateau à Angel ? Il ne descend pas manger ?

Angel que je n’ai fait qu’apercevoir lorsqu’il est rentré de je ne sais où il y a une heure. Qui s’est barré ce matin sans rien me dire et qui m’évite comme jamais.

— Pourquoi je ne le ferais pas ? Vous vous êtes chamaillés, non ? Tu as encore joué la capricieuse ? Qu’est-ce qu’il a fait pour s’attirer tes foudres ?

A part me gratifier de bon nombre d’orgasmes et me traiter de profiteuse ou d’arriviste ? Oh, rien de particulier…

— C’est forcément ma faute, ben voyons, marmonné-je. Va donc apporter son repas au ronchon avant qu’il soit froid… et non, pas la peine d’en rajouter, le sujet est clos, ajouté-je alors qu’elle s’apprête à répliquer.

Ellen lève les yeux au ciel à son tour et se dirige vers l’escalier, son petit plateau à la main tandis que je bougonne en faisant ma liste. Je sens que cette journée déjà bien entamée va être longue, surtout quand je vois la tête de Quinn qui tire le tabouret de bar à mes côtés pour l’installer de l’autre côté de l’îlot et s’y asseoir. On dirait un vieux proviseur mécontent et je me demande bien ce qui lui prend.

— Je te promets que si j’ai rejeté tous ces scénarios, c’est pour une bonne raison. En revanche, j’en ai commencé un vraiment génial et je me vois carrément incarner le personnage.

— Bonjour Rafie. Tu sais que ce n’est pas de ça dont je veux te parler, voyons.

— Ah bon ? Eh bien… non, là, je ne sais pas. Je n’ai pas fait de bêtises, aux dernières nouvelles, soupiré-je en récupérant malgré tout mon téléphone pour taper mon nom sur le moteur de recherche.

Pas de bêtise à part coucher avec mon assistant. Oh, bon sang, j’espère qu’il n’est pas allé moufter, sinon ce poulet sera son dernier repas et je vais l’étouffer avec.

— Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu t’étais engueulée avec ce pauvre Angel ? Tu sais qu’il est venu me voir et a failli tout quitter ? Tu devrais me prévenir quand il se passe des trucs comme ça, que je me prépare à gérer quand même !

Je ne réponds pas tout de suite, le temps de bien me repasser ses mots en tête. Une dispute, vraiment ? J’ai bien envie d’aller le trouver pour lui montrer ce que c’est qu’une réelle dispute avec moi. Et pourquoi tout quitter ?

— Alors, déjà, je n’ai pas l’impression que nous nous soyons disputés. Disons qu’on a eu un petit désaccord. Ensuite, il a vraiment voulu se barrer pour ça ? Et pour terminer, je ne crois pas que j’aie des comptes à te rendre. Aux dernières nouvelles, c’est moi, sa patronne, et pas toi.

— Tu ne t’es pas disputée avec lui ? Mais pourquoi il voulait partir, alors ? Et je sais bien que tu es sa patronne, mais s’il se barre, qui est-ce qui va devoir t’aider à trouver une nouvelle assistante ? Tu vois, je fais ça pour ton intérêt, c’est tout.

— Il faut bien que tu mérites ton salaire, non ? Je peux manger tranquille ou tu comptes me contrarier pour de bon ? Parce que je crois que ton petit protégé a déjà commencé à me foutre de mauvais poil en allant pleurer dans tes jupons.

Oui, je suis vraiment contrariée, et peut-être même vexée. Je compte si peu pour lui qu’il veuille déjà se barrer ? Je pensais qu’il appréciait ce boulot, et qu’on formait une bonne équipe, moi. Bonne poire, Rafie, voilà ce que c’est que de faire confiance aux gens.

— Mon petit protégé, comme tu dis, n’est pas venu pleurer dans mes jupons. Il n’a même pas dit clairement qu’il voulait se barrer, mais franchement, je l’ai senti à deux doigts de tout abandonner. Alors, oui, je vais te laisser manger, mais si tu ne veux pas te retrouver à Vancouver toute seule, tu devrais le ménager un peu le petit, d’accord ?

Le ménager ? Je n’ai pas l’impression de le secouer tant que ça, le pauvre petit bouchon. Franchement, ça me démonte qu’il puisse vouloir lâcher l’affaire aussi facilement. Il n’a même pas essayé ! Bon sang, j’aurais mieux fait de monter me coucher plutôt que d’aller dans cette foutue piscine, quelle idée ! Comment mon cerveau a pu vriller à ce point ? Je ne ferai plus jamais de yoga à poil, ça me détend bien trop pour mon bien, apparemment.

— Peut-être qu’il n’est pas fait pour le job, si je dois déjà le ménager. Pourquoi il est resté, s’il avait tant envie que ça d’abandonner ?

— Je lui ai dit de ne pas te laisser tomber, que tu avais besoin de lui, et il a accepté de rester, soupire Quinn. Écoute, je n’y suis pour rien là-dedans, moi, mais discute avec lui, s’il te plaît. On ne peut pas le perdre à quelques jours de partir à Vancouver.

— Oui, et puis je vais lui préparer un petit gâteau, m’agenouiller et lui tailler une pipe, tant qu’on y est. Ou lui lécher les pieds. Magnifique, c’est moi la patronne et c’est à moi de faire des efforts.

Bon, la pipe, j’ai possiblement déjà fait et apprécié, sans doute pas autant que lui d’ailleurs. Mais j’ai été très claire avec lui, on a discuté, je pensais qu’il allait au moins essayer de passer à autre chose, et pas se plaindre à peine rentré et envisager de lâcher l’affaire.

— Le gâteau, ça pourrait être une bonne idée, se moque-t-il. Bon, je compte sur toi pour arranger les choses, hein ? A plus tard, ma petite Puce.

— J’y vais de ce pas. Dépêche-toi de partir, je sens que je suis énervée. Bonne fin de journée, Quinn. Bonjour à tes gosses.

J’attrape mon assiette quasiment terminée et me lève pour monter au premier étage. S’il compte jouer aux cons, je peux entrer dans la danse, moi aussi. Deux coups à la porte et j’entre sans m’annoncer, le trouvant installé à son bureau en train de profiter de la bonne cuisine d’Ellen. Angel semble surpris de me voir débarquer dans sa chambre, mais je ne me dégonfle pas et pose mon assiette à côté de la sienne avant d’aller récupérer une chaise sur son balcon pour venir m’installer au bureau.

— J’ai cru comprendre que tu comptais passer ta journée à être payé pour ne rien foutre ou pour aller pleurnicher auprès de Quinn, donc je viens à toi.

— Ne rien foutre ? J’étais en train de bosser, tu vois. Les images du voyage en Europe ne vont pas apparaître sur les réseaux sociaux magiquement.

— Voilà une chose que je ne pouvais pas deviner, vu que tu es parti tôt et que tu m’as simplement dit bonjour en rentrant. Je ne suis pas devin.

— Et pour Quinn, j’avais des trucs à voir avec lui, ça arrive, non ? Tu veux me surveiller constamment ?

— Te surveiller ? Bien évidemment ! Et puis profiter de toi, abuser de mon statut, toutes les conneries que tu peux penser à mon sujet. Juste pour te donner raison. Tu m’expliques pourquoi tu as sous-entendu que tu voulais démissionner ? On n’a pas dit qu’on essayait ou un truc dans le genre ? Tu te fous à ce point de moi que tu veux te barrer ?

— Ah, tu es déjà au courant, admet-il en reposant ses couverts. Je… je ne sais pas si je peux réussir à rester professionnel quand tu es là, Rafaela et je n’ai pas envie de mettre des bâtons dans ta carrière alors que tu as besoin de support, pas d’un assistant trop pris par son désir de toi.

— Et donc, plutôt que de venir m’en parler à moi, tu vas en parler à Quinn. Magnifique. Tu lui as dit qu’on avait passé la nuit ensemble aussi, tant qu’on y est ?

J’en doute, je suis certaine que mon agent m’aurait clairement fait une leçon de morale sur le harcèlement sexuel et les risques encourus à faire une telle chose. Il aurait pu rajouter les risques d’IST d’ailleurs, au passage, vu comme j’ai merdé jusqu’au bout.

— Je t’ai dit que ce qui s’était passé à Paris restait à Paris, tu peux me faire confiance là-dessus au moins. Et c’est lui qui m’a fait venir, je me suis dit qu’il pourrait peut-être trouver quelqu’un pour me remplacer… Peut-être que j’aurais dû venir te voir, oui…

— Tu sais quoi ? Si tu veux te barrer, vas-y. C’est peut-être mieux comme ça. Je… Tu fais chier, Angel, marmonné-je en me levant. Tu vas réussir à me faire regretter une super nuit et ça m’emmerde.

— Non, j’ai dit à Quinn que je restais et je crois que c’est ce qu’il y a de mieux à faire pour l’instant. Je ne veux surtout pas que tu regrettes cette nuit parce que… parce que c’était formidable, c’est tout.

— Bien. Une infirmière vient demain matin pour me faire une prise de sang, je te donnerai mes résultats dès que je les aurai. Si tu pouvais faire de même, ce serait cool. On n’a vraiment pas été sérieux sur ce coup-là.

— Elle viendra me piquer aussi ? Parce que moi, je suis clean, vu le peu d’activités que j’ai eues récemment… Mais j’espère que tu ne vas pas me reprocher cette folie aussi… Ce n’était pas… prémédité.

— Je ne te reproche rien, bon dieu, m’agacé-je avant de souffler. Je ne t’oblige à rien, mais ça me rassurerait quand même. Je suis clean aussi, j’en suis sûre, mais par correction pour toi, je le fais, c’est tout.

— Bien patronne. Sinon, des conseils pour la comm sur le voyage en Europe ? Pour l’instant, je n’ai fait que quelques stories, mais si tu as un message à faire passer qui ne me concerne pas, je suis à ton écoute.

— Non, rien de particulier. Tu sélectionnes une photo par avant-première et tu les remercies tous de ma part, ça suffira, j’imagine… C’est toi qui veux redorer mon blason, alors fais comme tu le sens. On se voit plus tard, si tu comptes descendre de ta cachette…

Il acquiesce et je récupère mon assiette avant de sortir de sa chambre. J’espère que ça va le faire, parce que je n’ai absolument aucune envie de changer d’assistant dans les semaines à venir. J’ai besoin de rester focus sur mon rôle, d’avoir quelqu’un sur qui compter et sur qui me reposer, pas d’être lâchée maintenant. Et, si je suis totalement honnête avec moi-même, j’ai vraiment envie qu’il partage le voyage avec moi, parce que j’apprécie sa présence. Bien plus que je ne le devrais d’ailleurs, et c’est sans doute pour ça que je n’aurais jamais dû craquer. Mais le mal est fait et il était vachement agréable.

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