36. Vénus s’invite sur le Champ de Mars

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Rafaela


Il n’est même pas quatorze heures lorsque j’entre dans ma chambre et m’y enferme. J’ai préféré écourter notre sortie, pleine de lassitude. Je sais que d’un point de vue extérieur, quelques autographes et photos, ce n’est pas grand-chose, mais lorsqu’il s’agit de son quotidien, cela devient vraiment pesant. La rançon de la gloire, comme me disent mes parents. C’est sûr qu’eux n’ont pas conscience des choses comme moi je les vis. Qui aimerait être pris en photo et affiché sur Internet et dans les journaux people alors qu’elle est en train de s’acheter des tampons ou des capotes ? Qui souhaiterait que son panier de courses soit étudié et jugé par tout un chacun ? Qui voudrait qu’on balance partout sa tête après des nuits d’insomnie ? Et qui voudrait que, même dans la salle d’attente du dentiste, on lui demande un selfie ?

Ce n’est pas ce à quoi j’aspirais, moi, et parfois je regrette de ne pas m’être cantonnée au théâtre, juste pour ça. Moins d’exposition, moins d’apparitions publiques, juste le plaisir de jouer. J’ai pourtant conscience que jouer et rejouer les mêmes scènes, les mêmes répliques, les mêmes émotions dans un contexte identique, ne m’aurait pas épanouie autant que l’adrénaline d’un “Action !”. Déjà, quand il faut refaire plusieurs fois la scène sous des angles de caméra différents, ça me gonfle, alors autant dire que passer six mois sur le même texte m’aurait été impossible.

Je sais qu’Angel a voulu bien faire, et je le remercierai pour la balade incognito quand je serai de nouveau moi-même, mais pour le moment, tout ça m’a beaucoup trop tendue pour que je sois capable d’en sortir du positif. Je ne peux même pas manger tranquillement à moins de sortir dans un restaurant exclusivement fréquenté par des stars. Et encore, il m’est arrivée d’être accostée, quand moi je n’ai jamais osé aller déranger un George Clooney attablé avec sa femme ou un Will Smith avec sa famille. Et pourtant… j’aurais adoré pouvoir discuter avec eux autrement qu’en coup de vent dans un couloir du Tonight Show de Jimmy Fallon. Je pourrais d’ailleurs épouser l’un des deux les yeux fermés, soyons honnête, même si ça n’a aucun rapport.

Après avoir passé quelques minutes étalée sur mon lit refait au carré après notre départ, je me lève avec la ferme intention de faire redescendre la pression. Je me déshabille entièrement et sors de ma valise mon tapis de yoga que j’installe tranquillement. Est-ce que j’ai l’air tordue si j’aime pratiquer totalement nue ? J’ai l’impression de mieux parvenir à me recentrer sur moi-même, de ne faire qu’un entre mon esprit et mon corps, bien loin d’une toute autre sensation que celle de ma respiration, de mes cheveux sur ma peau… Bien loin de toute connotation sexuelle, cette pratique m’aide réellement à me sentir mieux, à apaiser mes pensées tourmentées, à accepter ce corps qui me définit auprès de la société cinématographique et des hommes en général. J’en ai, des complexes, que beaucoup ne comprendraient pas puisque je rentre dans des normes sociétales stupides, et le yoga m’aide à les apprivoiser, à les dompter et à me sentir mieux dans ma peau.

Après avoir allumé mon ordinateur portable et lancé une bande son des bruits de la mer, je m’assieds en tailleur sur mon tapis et pose mon souffle. J’enchaîne sur quelques exercices de respiration, de relaxation, avant de me mettre à quatre pattes pour étirer mon corps et détendre mes muscles. Je crois que je pourrais passer ma vie sur ce tapis. Chien tête en haut, en bas, planche, torsions, navasana et j’en passe, j’enchaîne pendant plus de quarante minutes les positions. C’est tellement apaisant que je finirais presque par m’endormir une fois allongée au sol, sur le dos.

Je finis par me relever délicatement et vais allumer le jacuzzi dans ma salle de bain. Autant bien terminer cette séance, et quoi de mieux que dans l’eau ? J’enfile mon peignoir, sors au salon pour récupérer une bouteille d’eau dans le réfrigérateur et constate que la suite est bien silencieuse. Je ne sais pas où sont les garçons, mais je leur ai donné leur après-midi, leur assurant que je ne comptais absolument pas sortir, et il semble qu’ils en profitent.

Il est vingt heures lorsque j’entends frapper à la porte de ma chambre. J’ai passé ma fin d’après-midi à lire, en tenue d’Eve, sur mon lit, et je crois avoir apprécié le silence comme rarement, même si j’ai eu quelques coups de mou. Cette tournée européenne aura eu son lot de complications. Ça aurait pu être pire, mais une partie de moi aurait aimé partager tout ça avec Bella. Ma sœur ne me juge jamais et m’écoute attentivement, elle essaie toujours de se mettre à ma place même si la sienne n’a pas été facile à occuper. C’est tout simplement un amour. Alors, quand la solitude est trop pesante, je me confie à elle. Parce que j’ai beau être toujours entourée de monde, je me sens seule depuis un moment. Ce sentiment s’est un peu dissipé avec la présence d’Angel à mes côtés. Je me demande d’ailleurs souvent pourquoi j’ai davantage de complicité avec lui qu’avec mes anciennes assistantes, alors que j’étais réfractaire à l’idée d’avoir un homme à ce poste.

Je me lève finalement et m’apprête à ouvrir la porte quand je réalise que je suis à poil. Un gloussement débile et je récupère rapidement un tee-shirt et une culotte que j’enfile avant d’aller ouvrir à Angel, qui me scrute comme s’il voulait savoir si je compte sauter de ma fenêtre pour aller m’écraser en bas.

— Vous pouvez aller dîner sans moi, je vais commander au room-service.

— Ça va ? Nous nous sommes inquiétés pour toi tout l'après-midi. Tu ne veux pas sortir un peu ? On est à Paris quand même… et on n'est toujours pas allé à la Tour Eiffel…

— Je vais bien, aucune raison de s’inquiéter. Mais je vais rester ici… Va profiter de la ville, c’est bon pour moi.

— Ah non, moi, je ne te quitte pas. Je vais retourner dans le lobby de l'hôtel si c'est comme ça. J'y ai pris mes petites habitudes vu le temps que j'y ai passé aujourd'hui. Tu me dis si tu changes d'avis, je trouve qu'un petit tour ne pourrait pas nous faire de mal.

— Le dernier ne m’a pas fait que du bien, alors je vais passer mon tour. Mais je te l’ai dit, fais ta vie aujourd’hui. Je n’ai pas envie d’être encore dérangée. Enfin, pas par toi, mais… reconnue dans la rue, quoi, soupiré-je.

— Je suis ton assistant et donc, je reste ici au cas où tu as besoin de moi, c'est comme ça, répond-il, résigné. Ben avait raison, je crois. Il avait dit que tu n'allais pas bouger, il te connait bien. Il a bien fait d'aller se promener, finalement… Bref, je ne vais pas t'embêter plus que ça, tu sais où me trouver si besoin. Et si tu changes d'avis, je suis prêt à retourner faire un tour. Personne ne nous a dérangés quand on était dans les belles rues de la ville.

Je soupire en jetant un œil au jogging déposé sur le fauteuil. Est-ce que j’ai envie de sortir ? La réponse est oui. Rester enfermées alors que je suis à Paris est une idée bidon, mais je n’ai pas non plus envie de me retrouver dérangée par des personnes qui me reconnaitraient. D’un autre côté, Angel n’a pas tort… et je ne dois pas non plus me priver pour les mauvaises raisons, si ?

— Tu m’énerves, bougonné-je en m’habillant. Mais pas de restau, je te préviens.

— Ah non, ça, j’ai bien compris. On s’achètera des crêpes, si tu veux. Je file prendre mon manteau et j’arrive avant que tu ne changes d’avis !

Il est tout excité et le sourire qui illumine son visage fait plaisir à voir. On dirait un enfant à qui on vient d’accepter d’aller à la fête foraine. Une partie de moi est sans doute aussi contente que lui, mais l’autre aimerait rester cachée dans sa chambre jusqu’à demain et le départ à l’aéroport. Je me mets malgré tout un coup de pied aux fesses et suis docilement mon assistant dans le couloir, puis dans l’ascenseur et nous nous retrouvons rapidement dans la ruelle à l’arrière de l’hôtel.

— Où tu m’emmènes alors, cette fois ?

— La Tour Eiffel, bien sûr ! Il y a cette grande étendue juste à côté, le Champ de Mars, j’ai pris des couvertures dans la chambre, on va pouvoir se faire un petit pique-nique. Et comme on n’est pas si loin, on peut y aller à pied.

C’est un peu romantique, tout ça, non ? Une petite visite de Paris by night à deux… Et Ben ? Je suis vraiment en train de me promener dans la rue sans mon garde du corps ? Bon… vu la carrure d’Angel, j’imagine que je ne risque pas grand-chose. Quoiqu’on ne sait jamais, ça ne veut rien dire ou presque. S’il est doux comme un agneau, je suis bien dans la panade.

Nous marchons tranquillement dans les ruelles et nous arrêtons prendre de quoi dîner avant de rejoindre le Champ de Mars, et je souris en constatant que mon assistant est tout émerveillé par la vue. J’en conviens, c’est magnifique, et toute cette verdure au plein cœur de la capitale est agréable, bien qu’occupée par pas mal de personnes qui profitent du temps clément de ce début Septembre.

Angel récupère les couvertures dans son sac et les étale sur l’herbe, et je jette un coup d’œil à ma montre en m’asseyant.

— Encore quinze minutes avant que la Tour Eiffel se mette à briller dans tous les sens.

— Oh, j’ai hâte ! répond-il en s’installant à mes côtés pour faire face au magnifique édifice qui nous surplombe. Je suis vraiment content que tu aies accepté de sortir, ça me fait très plaisir.

— Tu feras moins le malin si tu dois jouer le garde du corps, ris-je en sortant les plats du sac.

— Ne t’inquiète pas, personne ne va nous embêter, ici. Et si ça arrivait, je te garantis que je sais me défendre.

Il plie son bras en fermant son poing pour me montrer ses muscles, tout ça avec un air méchant, les lèvres en avant, les sourcils froncés, de façon si exagérée que j’éclate de rire en le voyant faire.

— OK, OK, tu me fais peur, là, arrête de faire cette tête ! Ne manque plus que la bave au coin de la bouche et on pourrait croire à un Rottweiler.

— Tu vois comme tu es ? Je prends ta défense et tu te moques ! Franchement, c’est difficile de travailler avec une diva comme toi, se moque-t-il en souriant.

— Crois-moi, tu à moins affaire à la Diva que chacune de mes précédentes assistantes, grimacé-je en prenant une photo de la vue. Je posterai ça sur mes réseaux quand nous serons rentrés. C’est… agréable. Merci de m’avoir sortie, Angel.

— Je suis content que tu aies accepté, je passe un super moment avec toi. Et il n'y a pas à dire, tu es vraiment plus jolie que Jean-Louis à la réception de l'hôtel. Au moins, toi, tu as des cheveux !

— Il est très charmant, Jean-Louis ! Et j’espère que tu ne t’arrêtes pas qu’à mon physique, parce que tout ça, ça s’en va avec le temps. Et c’est aussi très subjectif…

— Ne t’inquiète pas. Plus je découvre la femme derrière la splendide star et plus je suis attiré et séduit, commence-t-il avant de brusquement s'interrompre. Désolé, ce n’est pas comme ça qu'un assistant doit parler à sa patronne…

Effectivement, ce n’est sans doute pas le genre de choses que j’ai déjà entendues de la part de l’une de mes assistantes. Cependant, j’avoue que j’apprécie ça plus que de raison.

Je soupire et m’apprête à répondre, mais vingt-et-une heures pointe le bout de son nez et nos regards sont attirés par la Dame de fer qui s’illumine. C’est magnifique et plutôt hypnotisant. Est-ce que j’abuse clairement en me rapprochant d’Angel et en posant ma tête contre son épaule ? C’est sûr. Je fais n’importe quoi. Il y a quelques jours, je dormais dans ses bras et à présent, j’ai follement envie de me lover contre lui et d’oublier tout de ma vie sauf ce que je me refuse à accepter. Il faut croire qu’avoir un assistant n’est pas si terrible que ça. Ou que c’est simplement parce que c’est lui. Je me sens bien à ses côtés, j’ai confiance en lui et la sensation de pouvoir être moi-même. Silla et les autres ne m’ont sans doute jamais vue comme lui l’a fait, j’ai inconsciemment fait tomber quelques murs de protection, bien qu’il en reste plus que de raison.

J'ai l'impression qu'Angel est lui aussi troublé par l'instant que nous sommes en train de vivre. Il a passé son bras autour de ma taille pour me serrer contre lui et quand je détourne mon regard du spectacle scintillant, je constate que son attention est portée sur moi, pas sur le monument brillant. Son regard est intense et j'y lis un désir qu'il parvient difficilement à retenir. Le temps semble s'être arrêté et j'ai l'impression que nous sommes seuls au monde, en train de nous élever dans les airs. C'est un peu comme si l'univers s'était mis à tourner autour de nous, comme si la seule chose qui était réelle, c'était nous et que tout le reste n'existait plus. Quand il se penche et que ses lèvres viennent effleurer les miennes presque timidement, je m'abandonne au sentiment de bien-être qui m'envahit. J'ai l'impression d'avoir trouvé ma place, de savoir enfin qui je suis. Je passe mes bras autour de son cou et c'est moi qui prends l'initiative cette fois et qui reprends ce baiser qu'il a trop vite interrompu. Nous sommes bêtement un peu gauches et timides, mais ce baiser qui n’a rien d’un bisou de cinéma s’intensifie suffisamment pour que nos cerveaux s’éteignent et que tout ce qui compte se trouve ici, sur cette couverture, entre lui et moi. Angel m’enserre dans ses bras tandis que l'expression "french kiss" prend tout son sens ici, à Paris, dans cette étreinte plus qu’agréable que lui comme moi ne semblons pas vouloir interrompre.

Mauvaise idée, mais moment tellement agréable que je ne pense absolument pas aux conséquences de cette perte de contrôle. Tout ce qui compte, c’est son corps pressé contre le mien, nos lèvres qui se cherchent et se caressent, et le sentiment de bien-être qui m’a gagné. C’est quand même beaucoup plus intense qu’un baiser de cinéma, tout ça.

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