32. Une étreinte ne fait pas l'autre

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Rafaela

Je m’allonge sur mon lit en sous-vêtements et regarde le plafond. J’adore autant que je déteste ces tournées d’avant-premières. J’aime prendre la température dans la salle, entendre les rires, les reniflements, les exclamations du public pendant la diffusion du film. Mais tout ce qu’il y a autour m’épuise. Trop de gens, tout le temps. Trop de fans envahissants, trop de chichis autour d’un film. Pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas les choses simplement ? Pourquoi faut-il un genre de tapis rouge, un buffet et des photos à outrance ? Et pourquoi faut-il tant parler ? Bon, j’avoue que le sujet m’inspire davantage que pour beaucoup de mes autres films, mais ça reste quand même bien trop pour moi. Tous ces journalistes capables du meilleur comme du pire…

J’entends Ben et Angel discuter dans le salon de la suite où nous logeons en plein cœur de Londres et leurs rires résonnent dans la pièce. Je crois qu’ils s’entendent bien, tous les deux, et surtout quand il s’agit de me remettre à ma place. Est-ce que ça m’énerve ? Un peu. Mais ça me fait surtout du bien. Ils sont bien loin de Quinn qui dit Amen à tout et n’importe quoi venant de moi pour ne pas prendre le risque que je change d’agent. Mes précédentes assistantes en faisaient de même avant de craquer sous la pression, ou que je les vire. C’est quand même un peu plus agréable de ne pas être entourée de carpettes prêtes à tout pour rester dans mon giron.

Je regarde l’heure sur mon téléphone et soupire en me relevant. Je vais finir par être en retard, et je suis sûre que les deux gars sont déjà prêts, beaux comme des Dieux dans leurs costumes. J’enfile donc ma combinaison bleu nuit, à la fois classe et sexy grâce à son col cache-cœur et son dos nu. J’adore le rendu, surtout une fois perchée sur des hauts talons compensés. Je vérifie mon maquillage et me tire la langue avant de récupérer mon châle et de sortir de ma chambre.

— De quoi vous parlez ? Moi aussi, j’ai envie de rire.

— De la tête de Quinn quand il va recevoir le message de Ben qui lui explique que tu ne vas pas rentrer car tu t’es trouvé un petit anglais ! s’esclaffe Angel.

— Oh, soyez cools avec lui, ris-je. Le pauvre, vu le fric que je lui rapporte, il va faire une syncope. Tu peux m’aider et serrer davantage le nœud dans mon cou, s’il te plaît ? J’ai l’impression que mes roploplos vont sortir de leur cachette, là.

— Ah non, il faut les garder bien au chaud ! Pas de ça pour les anglais quand même ! se marre Angel qui s’exécute.

J’essaie, en vain, de contrôler mon corps qui réagit en sentant ses mains frôler ma peau lorsqu’il dénoue les bandes de tissus qui partent de ma taille et viennent se nouer sur ma nuque, mais un frisson me traverse de la tête aux pieds.

— Merci du coup de main, balbutié-je en m’éloignant pour aller me servir un verre d’eau. Je suis prête, dans combien de temps arrive la voiture ?

— Elle ne devrait plus tarder. Impatiente de voir la réaction des Rosbeefs ?

— Oui, un peu, j’avoue. Plus que de devoir blablater après le film, en tout cas. C’est bon, tout est clean sur ma tenue ? Rien de problématique ? lui demandé-je en tournant lentement sur moi-même.

— Tout est parfait, me répond-il après un moment de silence, son regard trahissant l’effet que je provoque sur lui.

— Je risque d’avoir besoin de toi si je veux aller aux toilettes, ris-je. Jolies, les combis, mais pas pratiques. Assistant jusque dans les WC, désolée !

— Les gens vont croire que vous y êtes pour faire des bêtises, indique Ben, amusé, alors qu’Angel rougit à nouveau comme il le fait de plus en plus quand nous sommes ensemble.

— Tu sais bien que je refuse toute avance qui doit se terminer dans des chiottes, Ben. Quant aux gens, ils pensent ce qu’ils veulent, non ? lui demandé-je en me dirigeant vers le téléphone de la suite qui sonne.

Le réceptionniste m’informe que notre voiture est arrivée et nous mettons fin à cette conversation légère en descendant par l’ascenseur. Je profite du trajet pour regarder un peu les avis qui sortent les uns après les autres sur le film et suis satisfaite de l’accueil positif qu’il reçoit. C’est plutôt agréable et valorisant, la plupart du temps. Evidemment, il faut toujours des réfractaires, mais bon, la plupart des articles et avis sur les sites spécialisés sont vraiment élogieux.

Comme pour chaque avant-première, je me retrouve au beau milieu de fans qui n’ont pas pu entrer dans le cinéma. Je prends le temps de signer des autographes, Ben à mes côtés, tout en avançant vers l’entrée, et pose pour les photos. D’excellente humeur, même si je suis aussi un peu stressée, je joue un peu avec les photographes et prends la pose un moment avant de m’engouffrer dans le cinéma. Nouvelle projection du film, quelques rires, des réactions à droite, à gauche, des larmes, des applaudissements… C’est une mécanique bien huilée, ces événements. James, Allan et moi montons sur scène avec le réalisateur et prenons le temps d’échanger avec les fans qui posent des questions. Et puis encore des photos, des autographes, et la petite soirée où il faut encore parler et sourire.

Je fatigue, les petits fours ne sont pas très bons, j’évite le champagne pour ne pas finir ivre étant donné que je ne tiens pas vraiment l’alcool. Et je finis par lancer le signal à mes camarades pour rentrer à l’hôtel. Nous nous retrouvons dans les coulisses du cinéma en attendant la voiture dans un silence qui doit sans doute autant les satisfaire que moi, vu la soirée plutôt bruyante.

— Il n’y a que moi ou vous avez eu du mal avec les petits fours, vous aussi ? leur demandé-je en ouvrant la porte et en m’arrêtant immédiatement en route.

Ben a des réflexes de folie et il se retrouve devant moi en un quart de seconde. Il n’y a pas tant de personnes que ça, mais le calme est brisé par mon prénom lancé à tort et à travers, par des demandes de photos, d’autographes… Je m’exécute docilement malgré la fatigue, tente de satisfaire la petite dizaine de personnes présentes malgré mon overdose de contacts pour la soirée…

Ben est toujours hyper rassurant dans ce genre de situations. Il a l’habitude, il faut dire, mais ça n’en reste pas moins agréable de le savoir sur le qui-vive et prêt à réagir si besoin. Pourtant, il y a toujours ce petit laps de temps, ce temps de réaction, qui fait que je me retrouve emprisonnée dans les bras d’un homme, l’une de ses mains sur mes fesses, l’autre sur ma nuque, qui m’attire contre lui, et sa tête bien trop près de la mienne. Je détourne mon visage et tente de m’extraire de sa poigne, et Ben est déjà là, son bras entre le type et moi. Sans ménagement, il repousse le gars qui a essayé de m’embrasser et m’aide à m’en éloigner. Le mal est fait cependant, il n’est pas terrible mais ce n’est pas rien non plus. Ça aurait pu être pire, mais c’est déjà trop. Je m’écarte des fans et bute contre Angel qui était resté au loin. Je sursaute en sentant son corps contre le mien en me demandant si c’est le fan qui est revenu à l’assaut, mais son regard connu et compréhensif me rassure. Je me presse jusqu’à la voiture à la seconde où Ben nous rejoint, et m’y engouffre les mains tremblantes et le corps tendu par le coup de stress.

Retour silencieux en voiture. Je crois qu’une fois encore j’essaie de dédramatiser les choses dans ma tête. Ce n’est rien… Juste une agression physique, quoi… Mais beaucoup disent que ce n’est pas grand-chose. A la limite, je l’ai presque cherché avec ce grand décolleté, ces talons hauts, ce maquillage, ces sourires. Conneries, mais c’est le genre de choses qui paraissent dans la presse. Après tout, on excuse les violeurs et agresseurs bien trop souvent, c’est toujours la faute des femmes.

Un coup d’œil devant l’hôtel lorsque la voiture s’y arrête et je sors sans attendre qu’Angel ou Ben m’ouvre la porte. Je m’engouffre à l’intérieur et me dis que je ne suis pas bien intelligente de faire ça. C’est vrai, qui sait qui se trouve dans le hall ? Les gars ont de bons réflexes malgré tout, puisqu’ils se postent à mes côtés rapidement.

— Bonne nuit à tous les deux, soupiré-je quand nous entrons dans la suite. On se voit demain matin.

— Tu es sûre que ça va aller ? me demande Angel en me retenant par le bras avec précaution, comme s’il touchait un objet très fragile.

— Oui, oui, j’ai l’habitude, tu sais. Ce n’est pas la première fois et ça ne sera sans doute pas la dernière.

Je ne mens qu’à moitié, ça va. J’avoue que chaque agression me marque un peu plus. Je les vis plutôt mal, mais ça ira mieux, comme toujours. La nuit va être difficile mais ça va passer.

— Je vais voir avec Ben pour renforcer la sécurité ici à l’hôtel. Comme ça, tu pourras dormir sur tes deux oreilles. Et si besoin, n’hésite pas à me bipper.

— Je ne risque rien, ici… Ça va aller, merci, Angel.

Je lui souris et vais m’enfermer dans ma chambre. Une bonne douche ne me fera pas de mal et j’y traîne bien plus longtemps que je ne le devrais pour la planète. Pas très sérieux mais réconfortant. Quand je me glisse sous les draps, je me sens plus apaisée, mais les images me reviennent en tête. Je ne comprendrai jamais comment les gens peuvent se permettre ce genre de choses. J’ai la sensation que certains hommes prennent les femmes pour des bouts de viande, des objets dont ils peuvent disposer comme bon leur semble. J’aimerais pouvoir dire qu’en ayant l’habitude de subir ces attaques, on passe outre plus facilement, mais ce n’est pas vraiment le cas. Le sommeil me fuit, je tourne et retourne dans mon lit aux draps pourtant si doux qui me faisaient envie, et je finis par me relever, enfiler un peignoir et sortir dans le salon silencieux. Je récupère une bouteille d’eau dans le réfrigérateur, sors sur la petite terrasse et grimace en voyant que la pluie s’invite à la fête. Magnifique, merci Londres pour cet accueil.

Un coup d’œil en direction de la porte d’Angel me fait comprendre que je n’ai aucune envie de rester seule cette nuit. Ce n’est pas très correct, pas vraiment éthique, mais j’ai besoin d’une présence à mes côtés. Je devrais peut-être aller toquer à la porte de la chambre de Ben, avec qui il n’y a pas d’ambiguïté ou d’attirance, mais c’est celle de mon assistant que j’entrouvre lorsqu’il m’en donne l’autorisation.

— Est-ce que… Est-ce que je peux clairement abuser et dormir avec toi ? En tout bien, tout honneur bien sûr, mais… enfin… tu vois, quoi. Non, tu ne vois pas, bafouillé-je bêtement avant de soupirer. OK, je suis peut-être un peu plus chamboulée que je n’ose l’avouer, dirons-nous…

— Euh oui, entre… Installe-toi dans mon lit, je vais prendre le canapé. Tu veux que j’aille te chercher un truc à boire ? me demande-t-il en me prenant par les mains.

Non, je veux juste que cet horrible sentiment de solitude et d’impuissance me quitte. Mais je ne vais pas lui répondre ça, si ?

— Non, non, je n’ai pas besoin que tu ailles me chercher quoi que ce soit. Et tu ne vas pas dormir sur le canapé de ta propre chambre. Le lit est grand et… Enfin, à moins que ça ne te gêne de le partager avec moi, bien sûr. Je peux retourner dans ma chambre, si tu préfères.

— Non, non, reste. Si ça peut te faire du bien et que c’est vraiment ce que tu veux, je t’accueille avec plaisir. Je comprends que ce soit compliqué pour toi. Et comme tu dis, le lit est grand, mais je veux bien te faire un petit câlin si ça t’aide à t’endormir.

C’est tout ce dont j’ai besoin, là. Le rôle d’assistant est vraiment particulier, non ? Quoique je n’ai jamais demandé de câlins à mes assistantes précédentes. Veronica m’en a fait un, une fois, après ce genre d’événement, mais je n’avais rien demandé. Est-ce que c’est de l’assistant dont j’ai besoin, là ? Pas sûre…

Je lui souris et le suis jusqu’au lit où je m’allonge en silence, à bonne distance. Est-ce bien sérieux de réclamer un câlin ? Certainement pas… Mais est-ce que je suis une personne sérieuse ? Pas sûr… Nous restons un moment comme ça, tous les deux sur le dos à regarder le plafond, et après mûre réflexion, je fais taire mon cerveau et me rapproche de lui presque timidement.

— Si le câlin tient toujours, je ne dis pas non…

Il ne me répond pas mais lève le bras pour me laisser me glisser contre lui. Je pose ma tête contre son épaule et sens son étreinte se resserrer autour de moi. C’est beaucoup moins agressif, bien moins possessif que ce que j’ai vécu tout à l’heure, et ça me fait du bien, tout simplement.

— Merci, je crois que j’avais besoin de ça.

— Bonne nuit, Rafaela. Je suis là pour toi, tu le sais bien.

— Bonne nuit, Angel.

Je vois ça, oui. Ça fait du bien d’avoir quelqu’un de confiance à ses côtés, même s’il merdouille sur certains points en tant qu’assistant… Quoique, j’ai tendance à toujours trop en demander. La preuve, je lui pique un bout de son lit et l’utilise comme doudou, ce soir. Mais c’est bien agréable d’être ainsi lovée contre lui et je ne crois pas qu’il déteste ça, non plus. Mauvaise idée, mais bon moment…

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