28. La vie d'artiste

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Rafaela

La maison est bien vide et silencieuse depuis hier soir et le départ de ma famille. C’en était presque déprimant, hier, de me promener dans la salle sans que personne ne claque une porte ou ne pousse un cri, sans que ma mère se permette une réflexion. Chaque fois que mes proches repartent, je me prends en pleine face cette solitude qui me pèse de plus en plus. Ellen me connaît trop bien, parce que si elle a profité de la présence des miens pour prendre du repos, elle est passée en fin de journée et a dîné avec Angel et moi.

Je m’observe dans le miroir de ma salle de bain et constate que mon air fatigué a plus ou moins disparu. Pourtant, ces deux jours n’ont pas été de tout repos. Entre l’anniversaire des filles et Thomas qui, du haut de ses quatre ans, est bourré d’énergie et très demandeur, je n’ai pas vu le jour. Je n’ai répondu au message de Vic, mon amie actrice pour qui Silla bosse depuis quelques jours, qu’hier soir alors qu’elle me l’a envoyé samedi matin, une fois tout le monde parti. Et je suis tombée comme une masse samedi soir, après ma petite séance de Yoga améliorée et le jacuzzi en compagnie de mon assistant. Qu’est-ce qui m’est passé par la tête, d’ailleurs ? A quel moment ai-je pu penser que me retrouver là-dedans avec lui pourrait être une bonne idée ? Angel m’attire et je joue avec le feu à me retrouver en tête à tête avec lui. Il faut que j’arrête mes conneries, mais une personne lambda qui débarque dans ma vie et ne me prend pas pour une Diva cinglée, ça fait du bien…

Je me fais la grimace et file dans mon dressing pour enfiler une longue chemise que j’aime porter à la maison sans rien dessous. On dirait une robe, c’est cocooning et je crois qu’il n’y a rien de mieux que de ne pas avoir la sensation d’être entravée par un vêtement. Moi qui me coltine fréquemment des robes de soirée moulantes à souhait et des talons de douze, j’apprécie la vie pieds nus et les vêtements amples, en privé. Et surtout : la vie sans soutien-gorge. Je jure que chaque fois que j’en mets un, j’ai envie d’étrangler l’abruti qui a créé cette cage inconfortable pour nos poitrines, comme si nous n’avions pas le droit de respirer librement, et qu’eux ne pouvaient pas vivre leur vie comme ils l’entendent. Alors, oui, ça fait un joli décolleté, c’est sûr, mais bon sang, qu’est-ce que c’est gênant !

Ma petite pensée féministe achevée - oui, je me parle toute seule, parfois, mieux vaut ça que parler de soi à la troisième personne - je sors de ma chambre et descends à la cuisine où je trouve Ellen, affairée au grand nettoyage du réfrigérateur.

— Bonjour, Ellen. Tu sais que tu l’as déjà fait la semaine dernière ? Il faudrait penser à te ménager un peu, quand même.

— Ah mais je ne peux pas laisser les choses se salir, quand même !

— Non, mais ça n’a pas besoin de briller de mille feux non plus. Vous prenez bien vos vacances pendant ma semaine d'avant-premières en Europe ?

— Oui, oui, même si je ne sais pas ce qu’on va faire. Philipp veut qu’on aille voir ses cousins à Chicago, mais ça ne me dit pas du tout… Tout ce trajet pour voir des gens que je n’aime pas vraiment, ça me rend folle rien que d’y penser.

— Eh bien… je comprends, ris-je. Quitte à être en vacances, autant voir des gens qu’on apprécie. Si vous voulez faire la tournée de l’Europe avec moi, je vous emmène avec plaisir et, promis, je ne vous ferai pas travailler.

— Non, non, ce n’est plus de notre âge tout ça. Amuse-toi bien sans les vieux, ça sera mieux pour toi. Emmène ton assistant, ton Tyler si tu veux, mais nous, on va rester ici.

Mon Dieu, Tyler… Oh non, hors de question de l’avoir sur le dos pendant une semaine ! Je ne pense pas que je supporterais ça. Impossible.

— Je comprends bien, mais Paris, ça pourrait être très romantique, non ? Vous retrouveriez une seconde jeunesse avec Philipp, souris-je en me servant un café.

— C’est pour toi le romantisme, ma petite. Philipp, ce n’est pas le genre, malheureusement.

— Je vais lui botter le train, moi, à Philou. Le romantisme, c’est pour tout le monde, non ? Bon… je file, on en reparlera, mais sinon il y a mon chalet à Aspen, c’est beau aussi, en été, et vous y êtes les bienvenus.

Je file dans mon bureau, où se trouve déjà Angel, et j’ai à peine le temps de lui dire bonjour que Quinn sonne à la porte. Evidemment, il sonne par politesse, parce qu’il a une clé et entre comme s’il était chez lui ou presque, nous rejoignant autour de la table que Philipp a fleurie, comme toutes les semaines, d’un beau bouquet de fleurs diverses rouges. J’adore les fleurs et l’odeur qu’elles dégagent, embaumant la pièce qu’elles occupent d’une douceur particulière, même si je repousse le vase sur le côté pour que nous puissions nous voir tous les trois.

— Salut la compagnie !

Toujours souriant ou presque, mon agent serre la main de mon assistant avant de venir me coller deux bises sur les joues et de s’installer à son tour. J’ai vraiment l’impression d‘être une cheffe d’entreprise quand je me retrouve là, à demander des comptes à tout le monde.

— Je n’ai pas trop envie d’y passer la matinée, alors on attaque rapidement ? demandé-je sans vraiment attendre de réponse. J’ai lu le scénario que tu m’as envoyé la semaine dernière, tu leur diras que je ne suis pas intéressée. Je ne vois pas l’intérêt de jouer une femme de la quarantaine alors qu’il y a bon nombre d’actrices de cet âge qui sont formidables.

— Ouais, je m’en doutais… Mais bon, en bon agent, je t’envoie les propositions, c’est normal. Et puis, tu as vu le chèque qu’ils proposent. Je n’aurais pas dit non à une petite commission !

— Oui, ils savent faire ce qu’il faut pour appâter, mais ça ne change rien pour moi. J’aurais l’impression de voler le rôle à une personne plus à-même de le camper. Et puis, ça me gonfle cette façon de faire, tu le sais. Une femme de quarante-cinq ans, c’est une femme de quarante-cinq ans au physique de l’âge.

— C’est clair que toi, tu ne les fais pas, les quarante-cinq ans, intervient Angel dont le regard appréciateur me fait trop de bien pour être convenable.

— Ils ne m’auraient pas proposé le rôle, si je les faisais. Une femme se doit de faire moins que son âge dans un film, voyons… Les hommes se bonifient avec le temps, les femmes, elles, flétrissent comme de pauvres fleurs… Mais ils ne m’ont pas vue au lendemain d’une soirée trop arrosée.

Oui, c’est tellement plus simple de lui rappeler ma tronche au réveil, histoire qu’il arrête de me manger des yeux… Bien joué, Rafaela. Pour autant, il ne détourne pas le regard. Moi non plus, d’ailleurs.

— Bref, continué-je en reportant mon attention sur Quinn. Est-ce que tu as eu les dates officielles de mon prochain tournage ? J’aimerais pouvoir tout caler rapidement, j’en ai marre qu’ils fassent traîner les choses.

— Ce devrait être à la mi-septembre, dans une quinzaine de jours. J’aurai la confirmation rapidement, mais ça ne devrait pas beaucoup changer.

— Est-ce qu’ils se rendent compte que niveau organisation, c’est la merde ? Angel, il faut que tu nous trouves un appartement, une maison, un truc où vivre pendant au moins deux mois à Vancouver. Pas trop loin du studio, discret et sécurisé. Hors de question qu’il y ait du monde tous les matins devant la maison… Il faudrait voir avec Ben, d’ailleurs, il connaît bien Vancouver et il saura te dire si ça craint ou pas pour le côté “star qui veut être tranquille”, tu vois ? Trois chambres minimum, quatre ce serait mieux, parce que Quinn aime bien s’incruster, de temps en temps.

— Je note, patronne, mais la recherche d’appartements, ce n’est pas trop mon domaine…

— Je vais te donner les coordonnées d’une assistante pro de Vancouver, intervient Quinn en ouvrant déjà son petit calepin. Elle te filera un coup de main à distance, elle a des contacts, mais il ne faut pas traîner pour réserver.

— Parfait. Bon pour toi, Angel ? Je ne demande pas du luxe, juste un coin tranquille, et qu’on ne se marche pas sur les pieds, non plus, parce que Ben et toi, vous m’accompagnez.

— Ah oui, je suis invité ? demande mon assistant qui peine encore à comprendre tout ce que son travail implique.

— Mon pauvre, si tu savais ce qui t’attend à Vancouver, ricane Quinn en faisant glisser un post-it devant Angel. Tu vas être un acteur le soir, une femme de ménage, un cuistot… Et le pauvre type qui va souffrir des crises de colère et de larmes de notre Diva.

— Arrête, marmonné-je, tu vas le faire fuir avant le tournage et j’aimerais autant ne pas me taper un nouvel assistant juste avant de partir au charbon.

— Il faut juste qu’il se prépare à ça, ce n’est pas rien, le rôle d’assistant pendant un tournage.

Il n’a pas tort. J’avoue que je peux être imbuvable. La Diva se réveille en moi, dans ces conditions de stress et cette pression. Et puis, quand on campe un personnage, selon son caractère, son passé, ce qu’elle vit, il s’en passe, des choses, dans nos têtes d’acteurs.

— Donc, on part dans cinq jours à Paris et on risque de ne faire qu’un rapide passage ici avant d’aller à Vancouver, soupiré-je en regardant mon agenda. Angel, je te propose de bosser aujourd’hui et demain, et de prendre trois jours de repos avant d’enchaîner…

— Et on prend les trois jours de repos ici ou à Paris ? me demande-t-il en essayant de comprendre ce que je veux faire de mon agenda.

— Ici, Angel. Tes trois jours ne seront pas du repos pour moi, marmonné-je en déposant mon planning devant lui. Mais ce sera chargé pour toi ensuite, alors c’est le minimum…

— D’accord, je vois. Je vais retrouver un peu le goût de ma vie d’avant pendant ces trois jours avant de pouvoir passer les deux ou trois prochains mois sans te quitter. Ça va être étrange de partir d’ici, même si ça va être court.

— On ne dit pas non à des vacances, aussi courtes soient-elle, rit Quinn. Il faut reprendre des forces avant la suite.

— Oui, Quinn a raison, même s’il sous-entend que je suis chiante avec toi. Bref, autre chose à voir, cher agent ? Cette grosse pile, là, ce sont d’autres scénarios à lire ? Je suis demandée, dis-donc, souris-je en récupérant le premier pour le feuilleter.

— Eh oui, mais je ne crois pas qu’il y en ait qui te plaisent… Je te laisse voir, d’accord ? Comme d’habitude, tu m’envoies la liste de ceux où tu souhaites rencontrer le réalisateur et je me charge de tout le reste.

— Bien m’sieur. Tu peux déjà lâcher l’affaire avec celui-ci… Pourquoi est-ce qu’on ne me propose que des rôles dans des trucs légers ou de la sci-fi… Bref, j’espère que ça changera après la sortie d’Une mère particulière.

— Je suis sûr que ça changera après ce beau film. Un peu de patience, Rafie.

J’acquiesce en grimaçant. Je veux bien être patiente, mais mon temps à Hollywood est compté et j’aimerais profiter de ces dernières années pour être en haut de l’affiche de films qui vont compter autrement que par leur humour ou leurs effets spéciaux. Et ça, ce n’est pas encore gagné.

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