29. Le formidable travail de l’assistante

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Angel

Mon réveil sonne et je regarde l’heure sans comprendre vraiment où je suis. Je referme les yeux et me retourne en espérant que le bruit cesse, mais les bips stridents continuent, inlassablement. Pourquoi n’ai-je pas appuyé sur le bouton pour stopper cette sonnerie ? Ah oui, j’ai essayé, mais il était trop loin. Et comment ça se fait qu’il n’est pas à côté de mon lit, comme d’habitude ? Franchement, c’est à ne plus rien à y comprendre, tout ça. Il va falloir que je me plaigne à Rafaela et que je lui demande d’arrêter de tout changer. Ce n’est pas possible de continuer comme ça.

Évoquer ma patronne me ramène soudain à la réalité de l’endroit où je me trouve. Je ne suis pas dans ma jolie chambre dans sa maison, non ! Je suis au boulot. Enfin, à mon vrai boulot, dans mon agence de détective. Allongé sur le petit canapé qui sert parfois pour recevoir un client. Et c’est pour ça que le réveil qui vient enfin de se taire est si loin de moi. C’est également la raison pour laquelle j’ai des douleurs partout. Quelle idée d’avoir un canapé aussi peu confortable !

Je passe ma main dans mes cheveux et cherche à rassembler mes idées. Je suis officiellement en vacances de mon travail d’assistant et Rafaela m’a autorisé à rentrer chez moi pour en profiter quelques jours. Sauf que je n’ai plus de chez moi vu que je n’allais pas continuer à payer pour une chambre alors que je suis logé dans une maison luxueuse, quand même. J’ai pensé un moment à demander à Morgan de m’héberger deux ou trois jours, et je crois qu’elle aurait accepté avec l’espoir que je vienne partager son lit, mais je veux que notre relation reste professionnelle. Et puis, je ne me vois pas aller m’imposer chez elle et sa petite fille, perturber leur existence juste pour quelques jours. C’est pour ça que je me suis rabattu sur mon bureau.

Je me lève, vais appuyer sur le bouton “stop” du réveil qui a repris son activité préférée, celle de faire du bruit pour rien, et je vais me préparer un café sur les plaques électriques qui constituent mon coin cuisine le temps de mon séjour. Cela fait un peu camping, c’est sûr, mais je suis finalement content de prendre un peu de distance avec Rafaela. J’ai l’impression qu’elle a complètement aspiré ma vie et que j’en arrive à oublier mon métier principal, celui de détective. Et cela me pose question. Finalement, est-ce que c’est vraiment ça, mon avenir ? Faire des enquêtes et espérer gagner assez d’argent pour payer mon loyer ? La vie de star, ou en tout cas, la vie avec une star, ça a quand même des avantages certains.

Je soupire, incapable de vraiment réfléchir. Il faut que je me réveille un peu plus et j’ai besoin d’une bonne douche pour ça. Je récupère mes clés et descends à la boulangerie où il y a une salle de bain qu’utilisent les employés après leur service. Le propriétaire m’a donné l’accès et j’en profite pour faire mes ablutions du matin. Quand je remonte dans mon bureau, je constate que Morgan est déjà là, en train d’enlever son petit blouson.

— Eh bien, tu n’es pas en retard, dis donc ! Je n’ai pas encore fini de me préparer !

Il va en effet falloir que je m’habille et je ne sais pas où je vais faire ça, avec elle dans la pièce.

— Bonjour, patron ! Je vais descendre chercher des Donuts, alors, je ne voudrais surtout pas te déranger dans tes petites habitudes du matin. Loin de moi l’idée de chambouler ta petite vie de bobonne de Diva, se moque-t-elle, tout sourire.

— Prends-moi aussi un petit brownie, s’il te plaît, j’ai faim, ce matin. Et la bobonne reste ton chef, alors un peu de respect !

— Chef, oui chef, rit-elle en me faisant un salut militaire avant de sortir.

Je me dépêche d’enfiler une chemise et un pantalon et vais tailler un peu ma barbe devant le petit miroir qui se trouve dans nos toilettes. Morgan arrive avant même que je ne termine.

— Désolé, Morgan, j’aurais sûrement dû prendre une chambre d’hôtel plutôt que de venir squatter le bureau, mais j’ai gardé des habitudes de pauvre détective sans le sou.

C’est d’ailleurs un peu ce que je suis, en réalité. Tout l’argent que me verse Quinn pour mon travail d’assistant ou presque passe dans le loyer de ce bureau et le salaire de Morgan. Une fois le contrat avec Rafaela terminé, ça risque d’être à nouveau compliqué sur le plan financier.

— Tu aurais dû me demander et venir à la maison, surtout. Ou demander à ta patronne une chambre d’hôtel. Je suis sûre qu’elle te l’aurait prise sans poser de questions.

— Tu sais que j’aime mon indépendance et que je n’aime pas demander de l’aide. Et puis, chez toi, il y a ta fille, je n’avais pas envie de déranger vos petites habitudes.

— Les habitudes sont faites pour être bousculées, tu sais. Et demander de l’aide, c’est bien, aussi. Parfois, il faut savoir ravaler sa fierté.

— J’y penserai à l’avenir. De toute façon, je ne suis là que jusqu’à demain. Plus qu’une nuit et je m’envole pour Paris. La belle vie, tu vois ?

— Oui, je vois ça… Peut-être que tu aurais pu me missionner pour jouer l’assistante de Rafaela Lovehart…

— Non, toi tu fais le back office. Chacun son travail, voyons ! D’ailleurs, tu as avancé sur tous les courriers ? Tu en as trouvé qui pourraient correspondre à notre fou amoureux et menaçant ? J’ai hâte de voir où tu en es. Si tu peux aussi me faire un point sur les demandes en cours. Il faut qu’on voie si on prend un agent pour faire des filatures ou pas. On a du boulot, tu vois.

— Eh bien, j’ai pu trouver des lettres de notre amoureux transi complètement cinglé qui datent d’il y a deux ans. Oui, Quinn m’a déposé des cartons d’anciens courriers. Il a commencé après la parution des photos de Rafaela nue prises par son ex. Heureusement qu’elle garde les enveloppes avec les courriers, ça m’a permis de voir que les dates correspondent. Au début, il était plutôt soft. Je les ai toutes classées dans le porte-documents, là.

— Je ne savais pas que tu voyais Quinn dans mon dos et qu’en plus tu l’appelais par son prénom, dis-je, suspicieux.

Je me saisis du porte-documents et suis tout de suite surpris par le nombre de courriers qu’elle a mis de côté et classés par ordre chronologique, avec des petits post-it en fonction du côté amoureux ou menaçant de la lettre. Il y en a une trentaine en tout, je dirais, soit un à deux par mois. Ce gars est plus fou que je ne l’imaginais.

— Disons que j’ai eu besoin d’infos supplémentaires. Rafaela donne tous ses courriers plutôt suspicieux à Ellen ou Quinn, et du coup je vais direct à la source. Et donc, au départ, le fan envoyait les courriers. Ça a duré six mois environ. Après, moins d’envois, il les déposait directement. Sur son pare-brise, comme le dernier, à l’accueil d’un hôtel où elle loge, dans la boîte aux lettres du studio où elle bosse… Il la traque carrément. Je comprends qu’elle ne balance rien de perso sur ses réseaux sociaux.

Je prends un peu de temps pour lire les lettres tout en mangeant les pâtisseries qu’elle a ramenées. Le ton des courriers se fait de plus en plus menaçant et les lettres d’amour prennent un caractère de plus en plus obsessionnel et violent. Le type donne vraiment l’impression de s’enfoncer dans son délire et de se faire des films de plus en plus précis. C’est un vrai malade mental.

— Bon travail, dis donc. Tu n’as pas chômé. Et là, à la fin, c’est quoi ? Tu as fait un profil type du gars, c’est ça ? Tu as fait pas mal de recherches pour tout ça, je suis impressionné !

— J’ai des contacts, moi aussi, patron, me répond-elle, toute fière. Une amie psychologue. Et pas d’inquiétude, j’ai une totale confiance en elle, elle ne fera rien fuiter.

— Et tu peux m’en dire un peu plus ? Tu le vois comment ce type ? Toi qui as épluché toutes ses lettres et discuté avec ton amie psy, tu crois qu’il faut que je le cherche où ? Parce que je peux te dire qu’au quotidien, je n’ai vu personne l’approcher ou même mal la regarder. Il y a plein de fans qui lui tournent souvent autour, mais personne ne s’est assez approché pour avoir tous ces détails. C’est un vrai mystère, cette affaire.

— Je pense qu’on est sur un type capable de changer de boulot pour se rapprocher d’elle. L’idée c’est de se fondre dans le moule, tu vois ? Il doit jouer le gentil fan, se retrouver dans la foule, demander des autographes, aller sur les plateaux télé… Oh, les plateaux télé ! Il faudrait récupérer la liste des personnes qui étaient présentes au Jerry show ! Je suis sûre qu’il a dû s’y rendre.

— Ouais, il y avait bien deux cent cinquante personnes, tu sais… Mais bon, c’est une piste à suivre. Tu peux t’en charger ? On n’a toujours pas d’autre affaire en vue ?

— On passe de plusieurs dizaines de milliers de fans à deux cent cinquante, d’où tu te plains ? rit-elle. Je vais voir ça, oui. Et pour le reste… Non, pas vraiment. On a eu quelques appels, mais rien de concret. Peut-être une affaire de tromperie à prouver, mais la femme doit rassembler l’argent discrètement, donc ça ne sera pas avant un ou deux mois.

— Préviens Miguel. Si cette affaire se concrétise, ce sera pour lui. Moi, je pars en voyage avec Rafaela. Et tu sais qu’elle n’est vraiment pas autant Diva qu’on le dit ? En tout cas, cet éloignement devrait nous permettre de ne pas entendre parler du fan, cela m’étonnerait qu’il nous suive à Paris ou à Vancouver. D’ailleurs, ça me fait penser, et désolé de sauter du coq à l’âne, tu pourrais nous trouver un appartement à Vancouver ? Un truc avec quatre chambres, pour quelques mois, le temps du tournage de son prochain film ?

— Tu m’as prise pour une agente immobilière ou quoi ? Comment tu veux que je trouve ça, moi ? Je… je veux bien essayer, mais je ne te promets rien. Elle n’a pas de maison là-bas, sérieux ? soupire-t-elle.

— Non, mais Quinn m’a donné ce contact qui peut t’aider, indiqué-je en sortant un petit post-it de mon portefeuille. Tu sais que tu es la meilleure ? Tu verras, l’augmentation sur ton salaire à la fin du mois devrait te faire plaisir. Et tu pourras appeler Quinn pour lui dire comment tu as avancé sur l’enquête ? Moi, je piétine, je n’ai rien à lui dire…

— Me voilà l’assistante fantôme de Rafaela Lovehart, sans même pouvoir la rencontrer. C’est frustrant. J’appelle Quinn dans la journée, alors. Après vous avoir trouvé votre petit nid douillet à Vancouver. Je t’ai dit de laisser tomber pour l’augmentation.

— Et c’est qui le patron ? C’est toujours moi, non ? Alors, plutôt que de me faire de la marge en faisant la bobonne, je préfère que ça te revienne. Cela met les comptes à l’équilibre, je n’aime pas faire du bénéfice de toute façon. Et tu le mérites amplement vu le boulot que tu fais. Tu pourras offrir des petits extras à ta petite !

— Des bénéfices ? Je pensais plutôt à un salaire pour toi, moi. De quoi te racheter des fringues, par exemple, parce que j’ai vu une photo de toi en sortie avec Rafaela, elle ne doit pas trop apprécier ta garde robe, patron, rit-elle.

— Elle m’en a racheté depuis, va. Ne t’inquiète pas pour moi. Tu me files les coordonnées de la femme qui veut prouver que son mari est un connard qui la trompe ? Même si elle n’a pas encore l’argent, je vais profiter d’avoir du temps pour aller la voir. Comme ça, quand elle sera prête, même si je ne suis pas sur place, je pourrai tout lancer.

— Bien, chef sapé par une star ! Tout est sur ton bureau, déjà, avec mes premières recherches. La meilleure, tu te rappelles ?

— Eh oui, et si j’oublie, tu es là pour me le rappeler au quotidien ! A tout à l’heure !

Je récupère le dossier qu’elle a préparé et je sors, le sourire aux lèvres. Mon agence de détective ne pourrait fonctionner sans elle. Et même quand l’activité est limitée comme en ce moment, elle sait se rendre utile et m’apporter tout ce dont j’ai besoin. Je devrais prendre modèle sur elle quand je me mets au service de Rafaela, c’est vraiment un bel exemple.

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