08. Le ras-le-bol de l'assistante

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Rafaela

Deux jours complets de relâche, autant dire que j’ai l’impression de revivre. Je suis restée enfermée chez moi, avec pour seuls visiteurs ma gouvernante, Ellen, et son mari, sans compter Silla que j’ai vue en visio hier. Pour le reste, aucune tête faussement amicale, aucune visite autorisée, aucun faux-semblant. J’ai passé mon temps à dormir, glander devant la télévision, lire, me baigner… profiter. Et c’est passé bien trop vite, d’ailleurs. Si bien que Silla, qui est arrivée ce matin aussi reposée que moi, en a déjà pris pour son grade et que me retrouver dans mon bureau avec elle après deux jours de calme et de solitude m’a rapidement fait vriller. Une peste. Un vraie furie, c’est du n’importe quoi. Je dois frôler le burn-out.

— Tu veux bien m’expliquer comment je vais pouvoir me retrouver au Gala de charité vendredi prochain tout en étant en live avec Opra ? Qu’est-ce que tu as foutu, franchement ?

Quinn soupire à mes côtés et je me retiens de lui envoyer mon majeur. Je sais, l’ami, je ne suis pas cool, mais là, elle a merdé et pas qu’un peu.

— Alors, je fais comment ? demandé-je à Silla en tapant du plat de la main sur la table pour qu’elle relève des yeux humides dans ma direction.

— Ce n’est pas de ma faute si Opra a voulu changer son interview…

— Mais c’est ton rôle de lui dire que je suis déjà prise, merde ! Je vais devoir choisir entre dire non à Opra et ne pas aller à ce Gala et lâcher l’association ! Comment je fais, moi ? Tu es si incapable que ça pour ne pas voir qu’il y a déjà une case colorée sur un foutu agenda ?

— Mais l’assistant d’Opra ne m’a pas laissé le choix ! s’emporte-t-elle. Vous croyez quoi ? Qu’il n’y a que vous qui avez des impératifs ? Ce n’est quand même pas à moi de faire les choix à votre place !

— Sauf que c’est à toi de m’informer quand il y a un couac, merde ! Et pas cinq jours avant le jour J ! Tu aurais dû m’en parler le jour même, bon dieu ! m’agacé-je en me levant. Tu me fous carrément dans la merde, là. Si je vais chez Opra, je passe pour une égoïste qui ne pense qu’à sa carrière. Si je refuse Opra, je risque de ne plus avoir l’opportunité d’y aller. Et je ne veux pas passer à côté du Gala ! Donc, tu as une baguette magique pour me diviser en deux ? Parce que là, je ne sais pas quoi faire !

— Non, je n’ai pas de baguette magique. Et franchement, j’en ai marre de devoir tout faire ici et de me faire traiter comme une souillon. Vous savez où vous pouvez vous le mettre votre Gala ? J’en ai rien à faire, ce sera sans moi de toute façon. Monsieur Evans, je vous présente ma démission. C’est impossible de travailler avec une Diva comme ça. Je n’en peux plus !

Elle s’enfuit, en pleurs, hors de la pièce sous nos regards médusés. Je soupire en me réinstallant à côté de Quinn qui me lance un regard agacé.

— Oh, ça va, hein ! Elle est trop fragile pour ce boulot, j’y peux rien, moi. Je ne lui demande pas la mer à boire, juste de ne pas coller deux événements au même moment.

— Tu veux que j’appelle Opra ? soupire Quinn. Et pour la petite, je fais quoi ? J’essaie de la convaincre de rester ou je t’en trouve une autre ?

— Oui, vois avec Opra. Tu lui parles de l’association, histoire de l’attendrir… Et laisse tomber l’idée d’une assistante, j’en ai ma claque de devoir expliquer encore et encore le boulot demandé. On va se débrouiller à deux.

— Je ne peux pas tout faire, ma Jolie. Tu sais que j’ai aussi d’autres artistes à coacher et manager ? Tu es la plus belle et la plus intéressante, c’est sûr, mais j’ai d’autres contrats à honorer. Tu crois que tu peux vraiment te débrouiller toute seule ?

— Il va bien falloir, marmonné-je en récupérant la pile de courrier des fans. C’est épuisant de voir autant d’incompétence.

— Tu sais qu’elle n’a pas tout à fait tort ? Tu es trop dure avec elles. Les pauvres, tout ce qu’elles se prennent à tes côtés…

— Je suis toujours tolérante au début, mais elles mettent trois plombes à comprendre toutes les ficelles du job, ça m’épuise, moi. J’ai autre chose à foutre que de leur tenir la main. Si je voulais aider des gamines à apprendre à marcher, je ferais des gosses.

— Silla n’est pas méchante et elle essaie vraiment. Tu sais qu’elle adore tout ce que tu fais au cinéma ? C’est pour ça qu’elle a souhaité travailler à tes côtés. Tu vois, elle n’a pas un mauvais fond.

— Je ne dis pas qu’elle a un mauvais fond, je dis juste qu’elle fait des bourdes plus grosses qu’elle et qu’on a autre chose à faire que de les rattraper, non ? Mais allons-y, je vois que tu me parais très attaché à prendre sa défense. Tu veux que je la garde pour la faire encore pleurer ?

— Non, je crois que là, malgré tout ce que je pourrais faire, elle en a eu assez. Je vais aller lui offrir un petit chèque pour sceller son départ et espérer qu’elle ne fasse pas de scandale. Après l’affaire de l’insulte au gars qui t’a agressée, on a une image à redorer quand même.

— Ben voyons, c’est moi qui me fais agresser et moi qui dois être une gentille fille, marmonné-je en lui tendant un courrier. Tiens, encore un taré.

Il y a de plus en plus de lettres de ce genre, en ce moment. Je ne sais pas ce que j’ai fait, mais entre les jaloux qui veulent m’en faire voir de toutes les couleurs et les transis d’amour qui rêvent de me déshabiller, je suis bien lotie. Je n’aurais jamais dû accepter cette scène de nu dans mon dernier film… Mauvaise idée.

— Encore ? s’inquiète mon manager. Il faudrait faire quelque chose, la police dit que c’est pas grave, tout ça. Il y a quand même des malades dans notre société…

— Eh bien, si la police dit que ce n’est pas grave, c’est que ça ne l’est pas. Je n’ai aucune envie que des flics viennent fouiller ici ou dans ma vie, que ça fuite et qu’on aille dire que je joue encore les Divas.

— Tu as sûrement raison, dit-il, résigné. Bon, pour en revenir à ton assistante, tu ne veux pas que cette fois, je me charge moi-même du recrutement et te trouve une perle qui t’aidera vraiment ?

— Tu crois que c’est trouvable ça ? Parce que j’ai vraiment un doute, quand je vois toutes celles qui sont passées par ici. J’ai l’impression qu’être compétent dans ce domaine est juste impossible.

— Il faut peut-être qu’on prenne un autre profil. Là, elles venaient toutes d’agences qui recrutent parmi les fans. Il faut qu’on élargisse un peu les recherches. Tu me fais confiance, non ? Je vais te trouver quelqu’un de bien.

— Tu as intérêt, parce que je ne compte pas en changer davantage. J’en ai marre, c’est la dernière tentative. Si ça ne marche pas, je me débrouillerai toute seule, soupiré-je alors qu’Ellen débarque dans mon bureau pour déposer un plateau de café. Merci. Heureusement que je vous ai, tous les deux…

— Oui, mais ne tire pas trop sur la corde avec nous quand même. Ce n’est pas parce qu’on te connait d’avant tout ton succès qu’on ne peut pas finir par se fâcher !

— Ellen se fâche souvent, ris-je en la voyant me lancer un regard noir. Oui, je sais, tu n’es pas contente de voir Silla partir. Mais elle n’avait pas les épaules, et tu l’avais vu aussi.

Elle hausse les épaules et jette un œil à Quinn. Ah, ces deux-là… Quand ils s’y mettent en même temps, on dirait mes parents. En plus concernés par mon comportement de Diva que par ma notoriété et mes cachets. Un comble, tout de même.

— Tu prends le café avec nous, Ellen ? Promis, je ne crie pas. De toute façon, Quinn doit appeler Opra, et vite.

— T’inquiète pas pour Opra. Elle va peut-être même venir au Gala aussi. J’en fais mon affaire.

— J’arrive, Rafaelita. Mais si tu cries, je te jure que tu sauras comment je m’appelle.

— Des fois que j’oublierais quand j’entends ton mari t’appeler de l’autre bout de la maison, pouffé-je en servant trois tasses de café. Allez, santé… À ces bons moments en famille. Et on trinquera avec un alcool plus fort si Opra se pointe au Gala, Quinny !

Mon agent lève les yeux au ciel, un sourire en coin, et cogne sa tasse contre la mienne avant de faire de même avec celle d’Ellen. Heureusement qu’ils sont là, tous les deux. Et Philipp aussi. La maison n’est jamais totalement vide avec eux, et je ne me sens jamais abandonnée. Surtout que le mari d’Ellen est lui aussi un amour, même s’il ne mâche pas ses mots.

— Et donc, tu vas la choper où, ma nouvelle assistante, Quinn ?

— J’en fais mon affaire, ne t’inquiète pas. Pense à ton prochain rôle, tes prochaines scènes, et moi, je m’occupe du reste.

— J’essaie, mais avec les boulettes de Silla, difficile de se concentrer sur la comédie. Bref… Tu dînes avec moi, ce soir ? Ou tu vas rejoindre l’un de tes futurs bébés acteurs ?

— Comme tu préfères. Si tu veux, je reste. Ça te fera un peu de compagnie maintenant que Silla est partie.

Est-ce qu’être seule me pose problème ? Parfois, oui. Aujourd’hui, je ne sais pas. J’ai conscience que l’absence de Silla va me faire bizarre, ce soir, et une partie de moi regrette qu’elle lâche l’affaire. Elle avait du potentiel, la petite. Est-ce que c’est moi qui ai merdé en la poussant trop fort ? Elle a quand même tenu plus de six mois, c’est presque un record.

— Tu peux rester si tu n’as rien de prévu, mais je te promets que je ne déprimerai pas si je suis toute seule. De toute façon, je ne suis jamais vraiment seule. Ellen reste toujours jusqu’à pas d’heure.

— Bon, alors, je te laisse. Je vais raccompagner Silla et faire de la gestion des dommages collatéraux. Bonne fin de journée, Rafie.

— N’oublie pas Opra, quand même ! Bonne fin de journée à toi aussi, Quinny.

Il dépose un bisou sur ma joue et tapote l’épaule d’Ellen avant de quitter mon bureau, et je soupire en rassemblant les courriers des fans que j’ai lus en diagonale. Je cherche celui que j’ai montré à mon agent et fronce les sourcils sans le trouver. Au moins, Ellen ne le lira pas, celui-là. Je sais qu’elle les épluche, parfois en douce, pour rapporter tout ce qu’elle trouve anormal à Quinn… Une vraie mère poule qui me dorlote bien plus que je ne le mérite.

— Je peux préparer le dîner avec toi, Ellen ? J’ai envie d’un peu de normalité, aujourd’hui.

Et finalement, je n’ai pas tant envie que ça de me retrouver seule tout de suite dans ma belle et grande maison… Parfois, j’aimerais ne jamais avoir laissé mes parents vouloir gérer ma vie. J’aime jouer la comédie, vraiment, mais… tout ça, c’est bien trop.

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