07. Au bord de la rupture

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Angel

J’achète quelques donuts à la boulangerie et pénètre dans le petit local que nous occupons au-dessus et où j’ai installé le siège de mon agence de détectives. Je ressors d’un rendez-vous avec Juliet dans le motel où nous nous sommes déjà retrouvés trois fois et j’ai pris la décision d’informer son mari que son épouse est bien adultère, sans préciser que c’est avec moi qu’elle couche. Enfin “couchait” car je l’ai informée que je n’étais pas à l’aise avec la situation. Un petit mensonge par omission, mais je me sens obligé de la dénoncer car là, non seulement je le rends cocu, mais en plus je prends son argent pour le prouver. Il y a quelque chose de très malsain dans cette histoire et il faut que ça cesse. La seule chose que j’ai vraiment pour moi, ce sont des principes et si je ne les respecte plus, il ne va bientôt plus rien me rester.

Je monte les petits escaliers et pousse la porte de l’agence où je retrouve Morgan, fidèle au poste, et je dépose les donuts sur son bureau avec un sourire.

— Tadam ! Voici des petites sucreries pour la meilleure des assistantes ! dis-je avec un sourire faussement enjoué.

— Merci, mais tu n’es pas obligé, rit-elle en rougissant. Ça sent si mauvais que ça pour que tu me complimentes à outrance de bon matin ?

— Non, non, m’empressé-je de répondre. C’est juste que l’on va pouvoir conclure l’affaire de la Banquière. J’ai les preuves de son adultère et on va pouvoir prévenir son mari. Et ne te moque pas, c’est presque l’heure du déjeuner, ce n’est pas si tôt que ça, même si tu ne me vois jamais beaucoup plus tôt.

— Et donc, manger des donuts avant le repas, tu trouves ça judicieux, toi ? rit-elle en mordant dans l’une des pâtisseries.

— Il y a un mauvais moment pour manger des donuts ? Et puis, il faut bien qu’il y ait des avantages à notre location. En tout cas, on pourra faire de la pub grâce à cette nouvelle affaire résolue. On est les meilleurs des détectives !

— Hum… Je ne veux pas te plomber le moral, Angel, mais… cette affaire renfloue les caisses plus qu’elle ne nous donne d’argent. On repasse dans le positif, mais pas de beaucoup. Ça craint pour mon poste et pour l’agence, non ?

J’hésite à lui répondre honnêtement ou à jouer la comédie, à faire semblant que tout va bien mais je me décide à être franc avec elle.

— C’est clair que là, ça va juste payer mes dépenses engagées et avec le bénéfice, je vais pouvoir payer ton salaire pour ce mois-ci et la moitié du suivant, mais guère plus. Il va falloir qu’on rebondisse et qu’on trouve de nouveaux clients rapidement si on ne veut pas mettre la clé sous la porte. Tu sais que je vais tout faire pour que tu ne te retrouves pas sans rien ?

— Oui, je sais bien, soupire Morgan en s’adossant à son fauteuil. Donc… annonce dans le journal ? Sur le net ? Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?

— Il faudrait qu’on mette une annonce dans des trucs lus par des bourgeois, des riches. Il n’y a qu’eux qui peuvent se payer les services d’une agence comme la nôtre. Et les tromperies et adultères sont nombreux, ce qui nous amène des clients. Tu crois qu’on pourrait essayer de mettre un truc dans un magazine de showbiz ?

— Je ne suis pas sûre que les bourges lisent ce genre de magazines. En revanche… murmure-t-elle en se redressant pour récupérer son carnet d’adresse. Tu te souviens du type qui bossait pour un présentateur télé ? Je ne sais plus le nom, je… Bref, mon frère pourrait peut-être lui demander ses contacts, il le connaît. Des flyers dans les boîtes publicitaires ? Ou…

J’admire son esprit vif et réactif et surtout, sa volonté de continuer à s’engager pour sauver la boîte. J’ai l’impression qu’elle ne fait pas ça que pour garder son boulot mais aussi et surtout parce que notre mission lui semble importante et digne d’être sauvée. Je me rapproche d’elle et m’installe sur le fauteuil en face de son bureau avant de prendre ses mains dans les miennes.

— Franchement, je ne sais pas ce que je ferais sans toi, Morgan. Tu es formidable et je ne pourrais rêver d’une meilleure assistante ! Pourquoi restes-tu si fidèle malgré tous nos déboires et nos difficultés financières ?

— Pourquoi ? Je… Parce que… bafouille-t-elle en détournant le regard un instant. Parce que je crois en toi, c’est tout. Je suis sûre que ça peut marcher, il faut juste qu’on te laisse ta chance…

— Ça me touche que tu croies en moi parce que moi, des fois, j’ai un peu de mal, j’avoue. Je ne comprends pas pourquoi aucun nouveau client n’est venu nous voir, j’ai quasiment résolu toutes les affaires qui m’étaient confiées. Je me demande si on ne devrait pas changer de business et se mettre à faire du portage de repas, c’est le seul truc qui a l’air de marcher en ce moment.

— Tu es doué pour filer les gens, tu devrais peut-être virer paparazzo. Je suis sûre que ça roulerait pour toi. Mais… c’est tout de suite beaucoup moins respectable.

— Ah oui, mais ce n’est pas pour moi, ça. J’ai horreur de ce milieu de stars où une image volée peut se revendre à un prix exorbitant.

Je suis interrompu dans mes propos par la porte qui s’ouvre en grand de manière assez violente et la furie qui débarque vient quasiment m’agresser avant même que je n’ouvre la bouche.

— Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Jenny nous regarde tous les deux un instant avant de répondre. Elle pose les yeux sur nos mains qui sont toujours liées avec une fureur que je lui ai rarement vue, ce qui pousse Morgan à tout de suite les lâcher et s’éloigner de moi. La visite de la blonde est vraiment surprenante car depuis que je lui ai annoncé que je souhaitais mettre un terme à notre relation, elle ne m’avait plus recontacté. La voir ici, et dans une colère aussi forte, est donc particulièrement surprenant.

— Je comprends mieux, en fait, pourquoi tu m’as larguée comme une vieille chaussette. Le cliché du mec qui se tape sa secrétaire, magnifique, Angel ! Je pensais que tu valais mieux que ça.

— N’importe quoi, il n’y a rien entre Morgan et moi. Tu t’imagines quoi, là ? Et pourquoi tu débarques ici ? Tu as un truc à me dire ? Sinon, tu n’as rien à faire ici. Je t’ai expliqué pourquoi je voulais mettre fin à notre relation et on ne va pas en rediscuter ici devant mon assistante, si ?

— Ben non, voyons, ça la foutrait mal devant ta nouvelle meuf ! Putain, j’arrive pas à croire que je n’aie rien vu venir. Évidemment que tu te la tapes, vu le temps que tu passes ici ! Mais quelle conne. Et moi qui venais pour te dire que tu me manques et que je veux qu’on reprenne à zéro, qu’on fasse les choses différemment !

— Je t’ai dit qu’il n’y a rien avec Morgan. J’ai rencontré une autre femme, oui, mais je t’ai quittée avant de concrétiser quoi que ce soit avec elle. J’ai des principes, quand même. Et quant à reprendre à zéro, tu crois vraiment que c’est possible ? Que tu vas me pardonner mes nombreuses absences, mes heures de planque loin de toi ? Tu l’as dit toi-même, jamais je ne vais me caser. Ma vie n’est pas compatible avec une vie de couple, si j’en crois ce que tu m’as reproché avant que je ne mette fin à notre relation !

— Mais parce que tu n’essaies pas, tout simplement ! Tu n’as fait aucun effort pour que notre relation fonctionne, alors, forcément, moi aussi j’ai mis de la distance. Pourquoi est-ce que je m’impliquerais alors que tu ne le fais pas, hein ?

— Je fais le maximum de ce que je peux faire, Jenny. Si c’est juste pour me faire des reproches et me crier dessus, tu peux repartir tout de suite, je n’ai pas besoin de cette violence dans ma vie.

Je m’approche d’elle et pose ma main sur son épaule pour essayer de la calmer un petit peu, mais elle me repousse violemment avant de me contourner et de s’approcher de Morgan, l’air menaçant.

— Tu sais, la roue tourne toujours. Quand on fout la merde dans un couple, on finit par se prendre le retour de bâton et ça fait mal. T’as voulu choper mon mec, il va arriver un moment où tu le regretteras.

— Je n’ai jamais voulu choper votre mec, Jenny. Et je ne l’ai jamais fait. Vous êtes ridicule, là, répond-elle froidement. Quand on a un mec bien comme Angel dans sa vie, on fait tout pour le garder et, si on n’y arrive pas, il faut savoir se remettre en question. Donc là, je vous préviens, encore une menace à mon encontre et je vais porter plainte.

— Jenny, dis-je en venant me placer entre les deux femmes, il vaut mieux que tu partes, là. Sinon, tu vas faire ou dire quelque chose que tu finiras par regretter.

— Je n’ai plus rien à dire, si ce n’est que vous êtes deux beaux enfoirés, tous les deux, s’énerve-t-elle en me bousculant pour rejoindre la sortie.

Elle claque la porte derrière elle et je me dis qu’elle a trop regardé de magazines où les stars se mettent en scène et en font, des scènes, justement. Je me demande pourquoi elle fait ce show devant Morgan et si cette colère affichée sert à quelque chose. Comme si j’allais me remettre avec elle suite à cet accès de violence…

— Désolé, Morgan, je ne m’attendais pas à ce qu’elle débarque ici, comme ça. Désolé pour toutes les méchancetés qu’elle a sorties.

— Ne t’excuse pas, tu n’y es pour rien, mais… tu devrais mieux choisir tes petites amies, si tu veux mon avis, rit-elle. Enfin, disons qu’elle ne me paraît pas très équilibrée…

— J’avoue que ça ne donne pas une bonne image de mes goûts en termes de femmes, c’est clair, acquiescé-je. Mais il ne faut pas lui en vouloir, quand j’ai tout stoppé entre nous, c’était un vrai choc pour elle.

— Eh bien, il faudra être plus doux avec la prochaine, alors. Bref, on se remet au boulot ? On a une agence à faire tourner, il me semble, sourit-elle en me tendant la boîte de donuts. Tu devrais prendre une dose de sucre, ça ne fait jamais de mal.

— Oui, tu as raison. Et va pour ton contact auprès du gars qui travaillait pour le présentateur télé. Au point où on en est, toute aide est bonne à prendre.

— Je suis sûre qu’il a de bons contacts dans le showbiz, si tu es prêt à bosser pour de la starlette… Qui sait, il doit y en avoir, des histoires à mettre au clair.

— Mets tout l’argent qui reste en dehors de ton salaire là-dedans. Et prions pour qu’il y ait des résultats rapidement, sinon, il va falloir qu’on se reconvertisse. Et pas sûr que je puisse faire conseiller conjugal !

Je vais m’asseoir derrière mon bureau et me mets à taper mon rapport pour le mari de la Banquière. Un vrai numéro d’équilibriste à réaliser pour tout raconter sans rien dévoiler. Mais bon, c’est la seule chose qu’il me reste à faire sur le plan professionnel, je peux prendre toutes les heures nécessaires pour rédiger. Et espérer que bientôt un nouveau client franchira la porte pour nous demander de l’aide. Sinon, ce sera la fin de mes rêves de détective.

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