04. La Banquière fait son shopping

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Angel

Je raccroche un peu désespéré alors que je devrais me réjouir de la bonne nouvelle. Monsieur Mac Firth s’est en effet réconcilié avec sa femme, il semblait heureux au téléphone et il va même me payer pour la semaine de filature que j’ai débutée alors qu’elle n’est pas terminée, c’est beau tout ça, non ?

— Morgan, tu as entendu l’information du jour ? demandé-je à mon assistante qui a son bureau juste de l’autre côté de la pièce.

— J’ai cru comprendre, oui. Moins de boulot, mais des sous quand même, c’est ça ?

— Oui, tu vas pouvoir classer le dossier Mac Firth. Plus besoin de suivre sa femme, il lui pardonne tout et il veut lui faire des bébés. Il a été rassuré par nos deux premiers jours où on n’a rien trouvé… Il paye pour la semaine complète, mais avec son départ, il ne me reste plus qu’un seul client. C’est pas terrible pour une agence de détectives, jamais on n’équilibrera notre budget…

— Je suis sûre que tu vas bien réussir à trouver de nouveaux clients, Angel, sourit-elle, se voulant sans doute rassurante. Et puis, Monsieur Mac Firth parlera peut-être de nous à des personnes qui pourraient avoir besoin de nos services.

— Espérons. En attendant, tu peux dire à Miguel que l’on ne fera pas appel à lui ce mois-ci. Je vais gérer tout seul le suivi de la Banquière. Ce n’est pas comme si j’allais être débordé dans les prochains jours. Et ça nous fera toujours ça d’économisé, soupiré-je.

On donne des petits surnoms à tous nos clients. La femme de Mac Firth, c’était la Bimbo au vu de sa façon de s’habiller, Madame Collins, c’est la Banquière car, selon son mari, elle est censée le tromper avec un banquier. Et ça nous permet d’être un peu plus discrets au cas où nos conversations seraient écoutées.

— OK… Je le préviens. J’espère qu’il ne comptait pas trop sur du boulot ici pour le mois, alors. Enfin, peu importe, ce sont les joies du travail en free lance, grimace-t-elle.

De toute façon, si je l’emploie maintenant, je mets la clé sous la porte dès la fin du mois, alors autant essayer de gagner un peu de temps. Je me lève et salue Morgan en lui disant qu’elle peut prendre son après-midi. Cela lui permettra de s’occuper de sa petite qui n’a que quatre ans. Pas facile pour cette presque quarantenaire de travailler à temps plein en étant mère célibataire. Je sors dans la fraîcheur de ce début septembre et m’engouffre dans ma voiture afin de me rendre chez la Banquière qui ne devrait pas tarder, selon son mari, à sortir faire ses courses.

Effectivement, quand j’arrive un peu à la bourre à cause des bouchons, elle est en train d’ouvrir la porte de son garage. Je me gare un peu plus loin et l’observe discrètement alors qu’elle met des sacs dans son coffre. Lorsqu’elle passe à côté de moi, je me penche pour qu’elle ne puisse pas me voir puis entame ma filature qui s’annonce passionnante. Target ou Wallmart ? Quel que soit le supermarché où elle va, je vais être payé à la regarder mettre des frites dans son caddie. Passionnant.

Afin de m’assurer qu’elle ne va pas draguer l’agent de sécurité ou le gars qui fait le ménage, je prends un chariot et pénètre à sa suite dans le magasin Heinens où elle a décidé d’aller. Un bon point pour elle, elle a choisi un des magasins où l’on trouve les meilleurs produits. Je fais mine de faire mes courses en même temps et me dis que je pourrais faire passer ça sur mes dépenses annexes, ce qui n’est pas plus mal, même si je ne vais pas abuser. La jolie blonde n’a pas de liste et semble déambuler un peu au hasard dans les allées. J’essaie de ne pas suivre le même chemin qu’elle et de ne faire que la croiser de temps à autre, mais tout à coup, alors qu’elle était dans la section “produits frais”, je la perds de vue. Illico, une alarme se déclenche dans ma tête et je parcours rapidement l’allée centrale afin de la retrouver. Et ce qui devait arriver arriva, je heurte un autre caddie en prenant un virage un peu court.

— Oh désolé, je n’avais pas vu que vous étiez là, commencé-je avant de réaliser que je suis en train de parler à la Banquière elle-même.

Quelle bourde. Angel la catastrophe, c’est moi. Le pro de la bévue, même au boulot, c’est toujours moi.

— Vous savez qu’on ne fait pas de courses de caddie dans un magasin ? rit-elle en me détaillant de la tête aux pieds.

— Oh vous savez, j’étais perdu dans mes pensées. Ça va ? Je ne vous ai pas fait mal ?

— Non, non, ça va aller, je devrais m’en remettre.

— Tant mieux. Je m’en serais voulu autrement. Je vous souhaite une bonne fin de journée.

J’espère pouvoir m’éclipser discrètement et commence déjà à réfléchir à la nécessité de faire venir Miguel finalement, mais elle m’arrête en posant sa main sur mon bras pour me retenir.

— C’est une façon incongrue de se rencontrer, mais ça n’en reste pas moins agréable. Je crois au destin, vous savez. Si vous m’êtes rentré dedans, c’est que je devais croiser votre route.

Ah ça, j’en doute. Je crois que si j’ai croisé sa route, c’est que je suis payé pour le faire. Sinon, je ne serais pas au supermarché un mercredi après-midi à quinze heures trente-cinq. Mais bon, maintenant que c’est arrivé, il faut que je réfléchisse rapidement à ce que je vais faire. Continuer le contact ? Ignorer sa demande ?

— C’est peut-être simplement le hasard… Je ne voulais pas vous importuner, soyez-en certaine.

— Est-ce que j’ai l’air importunée ? s’esclaffe-t-elle en se rapprochant. Je suis plutôt charmée, je dois dire…

Ah ben là, je suis surpris. Certes, j’enquête pour une suspicion d’adultère, mais je ne suis pas censé être celui avec qui elle faute ! Franchement, voilà que ma bourde me met encore plus dans la galère.

— Charmée ? Vraiment ? Merci du compliment. Enfin, si ça en est un. Vous êtes plutôt mignonne vous aussi.

Je me sens obligé de la complimenter en retour et me traite intérieurement de con car tout ça ne va pas arranger mes affaires.

— Merci. Peut-être… Mignonne, hein ? J’ai l’impression d’avoir dix ans, là, sourit-elle.

— Non, désolé, je… je suis un peu perturbé là, c’est tout. Vous êtes une belle femme, ajouté-je en me traitant intérieurement de plein de noms d’oiseaux face à mon manque de professionnalisme.

— C’est moi qui vous perturbe comme ça ? Je dois en être flattée ou me poser des questions ?

— Oui, qui voulez-vous que ce soit ? Ce n’est pas tous les jours qu’on tombe sur une femme aussi séduisante que vous.

Quitte à foutre ma couverture en l’air, autant y aller à fond et essayer de glaner des informations comme ça. Si elle craque pour moi, je pourrai faire un beau petit rapport à son mari avec toutes les preuves nécessaires.

— Ah, voilà un compliment comme il se doit. Merci. Et… je peux me permettre de vous demander votre prénom ?

— Moi, c’est Oliver, dis-je en donnant le prénom que j’utilise à chaque fois que je ne souhaite pas divulguer ma réelle identité. Ça vous dit d’aller prendre un verre au petit restau à côté du supermarché ? En tout bien, tout honneur, bien sûr.

— Eh bien, murmure-t-elle en jetant un œil à sa montre, j’imagine que ça doit pouvoir se faire, Oliver. En tout bien, tout honneur, bien sûr, oui.

— Allons-y alors. Terminons nos courses ensemble si vous le voulez bien.

C’est ce que nous faisons et j’en profite pour lui poser des questions. Elle me dit tout de suite qu’elle est mariée, ce qui me laisse penser qu’elle n’est pas du genre à mentir et qu’elle ne va rien tenter ou ne rien faire pour me retenir. Elle évoque juste brièvement qu’à la maison, tout n’est pas toujours rose, mais pour quel couple est-ce le cas ? Et c’est donc sans trop d’espoir de découvrir une information compromettante que je l’emmène au bar du restau. Nous nous installons sur des tabourets côte à côte et nous trinquons. Je reste sage avec une bière alors qu’elle se commande un shot de whisky.

L’ambiance est assez calme à cette heure-ci et malgré mes quelques perches lancées, elle ne les saisit pas et se contente de me répondre poliment. Je ne sais pas si elle joue à la femme compliquée à séduire ou si elle n’est pas intéressée pour aller au-delà de ce simple moment sympathique.

— Non mais regarde-moi ça, Oliver, soupire-t-elle en posant sa main sur mon avant-bras. Tu vois, comment peut-on rivaliser au quotidien, à la maison, avec une femme comme elle qui passe à la télé ? Je veux dire… Comment peut-on vouloir que notre homme nous fasse l’amour après avoir regardé l’un de ses films ?

Je lève les yeux vers les écrans et constate que c’est l’actrice que Jenny adore qui est en train d’être interviewée. Il n’y a pas le son mais les sous-titres apparaissent automatiquement et elle est en train de raconter quel plaisir elle prend à profiter de sa célébrité pour réaliser ses rêves de voyage et de bien-être. Elle a l’air d’une frivolité pas possible, cette femme, et je soupire.

— Je peux t’assurer que nous, les hommes, on peut peut-être fantasmer sur des femmes comme elle, mais on n’a pas du tout envie de les avoir dans notre lit. Elle est trop parfaite pour être vraie, tu sais ? Et vas-y pour les complexes si tu as des poignées d’amour ou un bouton sur le nez. Moi, je suis beaucoup plus attiré par les femmes plus réelles et moins frivoles. Les femmes un peu comme toi, tu vois ?

— Tu as déjà rencontré une femme comme elle ? Elles ont une aura pas possible, elles attirent le regard… Enfin, on s’en fout, rit-elle. Peut-être qu’elles ne sont pas du tout comme ça en privé, après tout. Tout ça, c’est pour les caméras, non ?

— Oui, c’est sûr. Tu penses que tu réagirais comment devant les caméras, toi ? Ton sourire rendrait super bien, je suis sûr.

— Tu crois ? glousse-t-elle. Je ne suis pas faite pour les caméras, moi, j’aime trop avoir une vie privée. Quand tu es à sa place, toute ta vie est étalée sur la place publique. Tu imagines ? Tu rencontres un beau garçon en faisant tes courses et des paparazzi vous prennent en photo au bar. Comment tu peux imaginer pouvoir avoir une vie privée dans ce genre de situation ? Je ne pourrais jamais te proposer de me retrouver demain après-midi dans un motel, impossible.

Bingo ! Voilà l’invitation tant attendue ! Je sens que cette affaire va être vite conclue aussi. Et le pire, c’est que ça me tente, que j’ai juste envie de profiter un peu. Sans me préoccuper de Jenny. C’est pas bon signe pour mon couple, ça…

— Parce que tu aurais envie de me proposer ça ? Ton mari serait d’accord et te laisse libre de profiter ?

— Mon charmant mari se tape sa comptable depuis plus de deux ans, pourquoi je n’aurais pas le droit de m’amuser, moi ? Et puis, franchement, une comptable, tu te rends compte ? Bref, on s’en fout de lui. Si moi, j’en ai envie, qu’est-ce que ça peut faire ? Je suis une adulte, j’assume mes choix. Demain, quatorze heures ?

— D’accord. Tu as une adresse en tête ? Tu as déjà fait ça, peut-être ?

— Le motel au coin de la cinquième rue, ça te dit quelque chose ? Disons que… j’y ai possiblement certaines habitudes, sourit-elle en jetant un œil à sa montre. Il va falloir que je file, maintenant, il est déjà tard.

— A demain, j’ai hâte de pouvoir passer cet après-midi en ta compagnie.

Elle se lève et vient me faire une accolade, comme si nous étions deux amis, sauf que ce qu’elle me glisse à l’oreille n’a rien de simplement amical.

— Moi aussi, j’ai hâte. J’espère que le rouge te plaît, parce que j’ai un petit ensemble de lingerie que tu devrais apprécier m’enlever. A moins que tu préfères que je ne porte rien sous mes vêtements… A demain alors.

— J’adore le rouge ! lui lancé-je alors qu’elle me fait un salut de la main.

Dans quel pétrin je me suis mis… J’ai les moyens de déjà conclure l’affaire, rien ne m’empêche d’appeler le mari immédiatement et lui faire part de la conversation que je viens d’avoir avec son épouse. Mais j’hésite vraiment à m’exécuter. Et pas simplement parce que si je fais durer l’enquête, je vais être payé plus longtemps. Si je ne veux pas me mentir, j’ai envie d’aller passer cet après-midi dans ce motel, cette simple pensée m’excite. Il va vraiment falloir que je discute avec Jenny. Et vite. Je ne suis pas du genre à tromper ma compagne et à être infidèle, moi. Tout le contraire de la Banquière et son mari.

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