Chapitre 19

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  • Tu ne devineras jamais qui vient de se pointer à la maison.

Je me passe une main sur le front en changeant mon téléphone d’oreille.

  • Ami, dis le moi si tu veux mais, par pitié, parle moins fort, s’il te plaît. Il y a trois petits bonhommes affolés qui font des allers-retours dans mon cerveau en tapant leurs sabots sur le plancher comme des bourrins. Sans oublier le concert de percussion en arrière-plan.

Je me lève de mon lit pour arpenter la chambre. Le silence s’installe à l’autre bout du fil.

  • Ami ? Allô ? Tu es encore là ?

Peut-être que ça a coupé… Je m’apprête à raccrocher pour le rappeler dans l’immédiat mais il ne m’en laisse pas le temps.

  • Oui, je suis là.

Puis, précipitamment, il questionne :

  • Comment ça se passe chez toi ? Tu vas bien ?
  • Papa est parti hier soir. Il est allé dormir chez un ami. Et Maddy n’a rien voulu avaler aujourd’hui.

J’élude volontairement sa seconde question.

  • Tu as dit que quelqu’un était venu chez toi. Tu parlais de qui ?
  • Mon frère. Raffael s’invite à la maisonnette parce qu’il a rompu avec sa copine qui n’est autre que la sœur de Charlie. Tu y crois toi ?

J’hésite. Je me souviens de la photo sur le mur de Charlie. Je l’avais immédiatement reconnu, avec sa tête de frimeur.

  • Oui, j’y crois.
  • Hein ?
  • L’autre soir, quand elle m’a prêté son lit, il y avait une photo sur le mur.
  • Oh.

Il ne dit rien pendant un instant. Peut-être m’en veut-il de ne pas le lui avoir dit sur le moment.

  • Dîner de famille. Ce soir. Tu veux venir ?

Son invitation me surprend.

  • Tu viens de dire que c’était un dîner de famille. Je ne vais pas m’incruster.
  • Bien sûr que si. Il y aurait Charlie et sa famille, Phil, mon frère, et tu peux même emmener Maddy pour lui changer les idées.
  • Hum… je viendrais.

Après de longues minutes employées à préparer Maddy et à la convaincre que sortir lui ferait du bien, nous arrivons enfin devant la maison des Summer. La porte est entrouverte et nous entrons sans frapper. Cela fait tellement de temps qu'Ami et moi sommes amis que je ne suis même plus étonné de le voir en chemise. Les Summer ont toujours eu des coutumes étranges : chez eux, le dîner se prend en tenue de gala et le petit déjeuner en pyjama. Je n'exagère presque pas.

La voix de Sandra traverse les murs depuis la cuisine. Elle doit être en train de chanter, comme chaque fois qu'elle cuisine. Cependant, alors que je dépose mon manteau et celui de Maddy sur le porte-manteau, une autre voix se joint à elle, une voix inconnue :

  • ‘Cause all of me
    Loves all of you
  • Love your curves and all your edges
    All your perfect imperfections
  • Give you all to me
    I’ll give my all to you
  • You’re my end and my beginning
    Even when I lose i’m winning
  • Maddy ! crient les deux petits angelots qui servent de frères et sœurs à mon meilleur ami, interrompant ce mini-concert improvisé.

Ils descendent les escaliers en courant, suivis de près par un autre petit garçon. Les trois enfants s'approchent de nous, tirent sur ma manche pour que j'autorise Maddy à aller jouer avec eux, puis s'éparpillent ensuite à l'étage en piaillant, emportant ma soeur avec eux.

Je me retrouve soudain seul dans ce grand hall. Les chants dans le cuisine se font de plus en plus forts. Je reconnaitrais presque la chanson mais la hotte et le crépitement des légumes sur la poêle masquent la mélodie.

La porte de derrière s'ouvre soudain. Lucie-Valerie apparaît sur le seuil.

  • Ah, Lenny, salut.

Un bref salut, nos échanges ne sont jamais plus longs. Elle s'efface et me laisse passer. J'ai dû arriver un peu trop en avance. Autant aller voir Ami à la maisonnette plutôt que rester planté, droit comme un i, dans le vestibule.

Alors que la nuit tombe lentement sur le reste du jardin, le sentier est éclairé faiblement par des spots cachés. Quand j'étais plus jeune, ce trajet porte à porte me faisait transpirer de peur. Maintenant, tant que je ne regarde pas trop fixement l'obscurité, j'arrive à croire que les fantômes n'existent pas.

Cette fois-ci, je préfère toquer. Depuis qu'une fille occupe ces lieux, je n'ose plus y circuler aussi librement qu'auparavant.

  • Entrez, qui que vous soyez ! crie la voix d'Amadeo.

Dans une autre vie, il aurait pu être un pirate.

  • Ah, c'est toi. Comment ça va ? demande-t-il, l'air soucieux.
  • Maddy est partie jouer avec Jilian et Elysée. Il y avait un petit garçon avec eux. C'est…
  • Le frère de Charlie. Michael.

Intérieurement, je le remercie de ne pas insister.

  • Tu es sûr que je ne m’impose pas… demande-je une dernière fois.

S’il y a bien une chose que je déteste, c’est m’incruster chez quelqu’un et ne pas m’en rendre compte.

  • C’est si tu continues de demander que je vais finir par te virer à coups de pieds ! me menace Ami en pointant son index vers moi. Il va y avoir pas mal de monde, tu vas pouvoir te cacher dans la foule, petit timide…
  • Mais…
  • Tut tut tut ! me coupe-t-il. Pas de “mais” ici.

Je lève les yeux au ciel. Le téléphone d’Ami vibre une fois. D’un regard distrait, il le consulte.

  • Phil sera un peu en retard.

Moi qui espérait pouvoir me replier auprès de mon cousin…

Charlie surgit du couloir, trois brins de cheveux dans la main. Une tresse est déjà faite ; je suis impressionné de la voir ainsi, le visage dégagé. Cela lui donne l'air plus… plus… plus je ne sais pas quoi. Mais, cela la change.

Ami et Charlie échangent quelques mots à voix basse. Je n’en comprends que quelques bribes. Cela semble concerner l’arrivée impromptue de Raffael - d’ailleurs, où est-il fourré, celui-là ? - et le repas de ce soir. Visiblement, je ne suis pas le seul à m’inquiéter de faire tache au milieu du dîner de famille.

Ami enfile enfin sa veste - le temps commence à se rafraîchir - et nous sortons de la maisonnette.

  • Charlie ne vient pas ? questionne-je.
  • Si, si. Mais plus tard. Pour l’instant, elle a quelques comptes à régler avec mon frère.

Je hoche la tête.

J’avais innocemment pensé, lorsqu’Ami m’avait transmis le message de Phil, que mon cousin se pointait à la fin de l’apéro. Ou au plat principal, au plus tard. Mais c’était sas compter son incroyable imprévisibilité. Lorsque l’on entame le fromage, il n’a toujours pas paru. À croire qu’il ne viendra jamais.

Nous sommes onze à table. Cela fait des semaines que je ne me suis pas assis à une table aussi grande. Et la dernière fois, c’était déjà dans cette maison.

Comme si mes prières avaient été entendues - comment ? par qui ? bonnes questions - la porte d’entrée s’ouvrit.

  • Phil, c’est toi ?

Son saladier vide à la main, Sandra s’interrompt au milieu du vestibule.

Oui. Regardez la surprise que j' ai pour vous !

Il se décale et un jeune homme fait son entrée. Je peine à le reconnaître. Cette barbe qui lui mange le visage ne lui va pas vraiment.

Je me lève d’un bond et ma chaise racle contre le sol.

  • Ambroise !

Je crie presque mais je m’en fiche. Je n’ai pas vu mon cousin depuis des mois. Il sourit à la ronde en tenant Phil par l’épaule. Lui aussi a la banane. Ce n’est pas souvent que son frère revient de la fac. Je me glisse près d’eux.

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