Chapitre 20

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Faute d’autre place libre, Ambroise récupère un tabouret de la cuisine et s’installe entre Charlie et Phil. Je le vois se pencher vers son petit frère, lui confiant sûrement une blague de sa composition. C’est presque un don, chez lui : il est capable de faire rire quelqu’un, dans n’importe quelle situation. À l’instant, moi même, je ne peux pas m'empêcher de sourire alors même que je suis trop loin pour l’entendre. Ambroise a beau être plus âgé que les autres cousins, il a toujours réussi à bien s’entendre avec tout le monde. C’est notre grand-frère Albertin.

  • Nous sommes treize à table, ça ne va plus du tout ! s’exclame soudain Carol.

J’ai d’ailleurs fini par comprendre les relations qu’entretiennent la famille de Charlie et les Summer. Ou du moins, j’espère en avoir assez compris pour ne pas faire de gaffes la prochaine fois que j’ouvrirai la bouche…

  • Maman ! bredouille Charlie en levant les yeux au ciel, les joues un peu plus rouges que la seconde précédente.
  • Non, c’est de ma faute, Madame Armstrong, la coupe presque Ambroise. Je me suis invité. Pour me rattraper, je vais aller chercher le paquet que j’ai laissé dans la voiture. Si vous voulez bien m’excusez, ajoute-il en se levant.

Tous abasourdis par tant de galanterie, nous le suivons des yeux tandis qu’il s'éclipse de la salle à manger. Où est donc passé le Ambroise qui jouait avec nous à tirer sur les invités des fêtes avec des fléchettes en mousse ? En ce garçon bien coiffé, bien habillé, poli, je ne reconnais presque plus mon cousin, cet enfant sauvage qui terrifiait tant ses parents. Si on se base uniquement sur la scène qui vient de se dérouler, il a plutôt l’air d’être le gendre parfait. D’ailleurs, aux regards que se lancent Sandra et la mère de Charlie, je ne suis pas le seul à penser qu’il a fait bonne impression.

Il revient enfin, sans que le silence durant son absence n’ai été troublé par quoique ce soit - même les enfants se sont tus -, et dépose un boîte en carton blanc sur la table. Il y a comme une adoration respectueuse qui entoure la boîte. Sans même avoir une idée de ce qu’elle contient, chacun est fasciné.

Maddy tire subitement ma manche et je suis forcé de me détourner de ce carton d’une blancheur envoûtante. Que peut-il y avoir là-dedans ?

Je me penche vers elle.

  • Pourquoi il n’ouvre pas la boîte ?

Comme toujours, ma sœur ose poser les questions lorsque nous sommes trop fiers pour le faire.

Elle se lève brusquement, faisant racler les pieds de sa chaise contre le carrelage étincelant. Sans faire attention aux regards qui la scrutent, elle s’avance dans la pièce, soulevant sa jupe comme si c’était une traîne qui l’empêchait de marcher. Elle s’avance et là, je la vois, de la grandeur d’une reine avançant contre vents et marées. Peu importe ce qu’elle dira, ma mère ne pourra jamais lui enlever cela : Maddalena est née digne et le restera à jamais.

Elle s’approche d’Ambroise qui d’un sourire, avant qu’elle n’ai pu dire quelque chose, l’invite à ouvrir la boîte. Toute heureuse qu’une tâche si grande lui soit octroyée, elle avance la main et soulève le couvercle.

Dans un emballage argenté, comme trônant sur un couffin de soie, reposent trois livres à la tranche verte.

  • Ce n’est pas du gâteau ? murmure Elysée, déçue.

Désenchantée, elle entraîne son frère et Michael à l’étage.

Je me penche un peu plus en avant tandis que les autres échangent des regards perplexes. Le titre me fait sourire, un instant : Le vent dans la maison. Il me rappelle quelque chose, mais je ne saurais dire quoi. Cependant, lorsque je tombe sur le nom de l’auteur, je saute presque de ma chaise.

  • C’est pas vrai, c’est pas vrai, c’est pas vrai, me mets-je presque à hurler.

Il l’a fait ! Ambroise a toujours voulu devenir écrivain. Au plus loin que je me souvienne, quand la question de son avenir était posée sur le tapis, il répondait systématiquement qu’il voulait écrire. Et pas n’importe quoi. Il voulait écrire sur sa vie. Oh, bien sûr, il ne pouvait pas écrire entièrement sur sa vie : il l’a sûrement romancée. Mais pour quelqu’un qui le connaît autant que moi, je sais que derrière les prénoms changés se cachent des identités bien réelles.

Je m’approche et saisit le premier de la pile.

  • Quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe ici, bordel ? s’exclame Raffael, alors qu’il n’avait presque pas ouvert la bouche du repas.

Cependant, Ami ne lui laisse pas le temps d’en dire plus.

  • Il y a des petits ici, si tu pouvais éviter les gros mots.

Il le fixe de son regard le plus sérieux et Raffael se fige sur place.

Entre mes mains, le livre paraît lourd. 400 pages, environ. Sur la couverture, un dessin d’une jolie maison en pierres blanches, un peu dans le style de Tara, la maison d’Autant en emporte le vent, est barrée au centre du titre, comme si les lettres matérialisaient une brise s’introduisant par les fenêtres dans la vie des habitants. Ambroise de Larimar est-il écrit en lettres serif en haut.

  • Tu as utilisé ton vrai nom ? demande-je en connaissant déjà la réponse.

Il hoche la tête et m’encourage à l’ouvrir d’un geste de la main. Sur la page de garde, une dédicace, en petits caractères d’imprimerie italiques, est écrite : À mes frères, Phil et Leo qui ont toujours cru en moi, à ma Lena, princesse de toujours, et à Hella, celle qui a toujours gardé une place pour moi dans son cœur.

J’ai envie de pleurer. Il me considère comme son frère. Cela me touche tellement que je suis incapable de dire quelque chose. À mes frères, Phil et Leo. Cela sonne tellement réel.

  • Qu’est-ce que c’est ? demande ma sœur en s’appuyant contre moi pour lire.

Elle aussi a droit à sa mention. À ma Lena, princesse de toujours. S’il avait lu moi, Ambroise n’aurait pas pu trouver de meilleurs mots.

Je me baisse pour lui montrer l’exemplaire relié.

  • C’est le livre qu’a écrit Ambroise.

Elle s'émerveille en déchiffrant la dédicace. Princesse, étoile, reine, elle est tout à la fois et plus encore. Je suis seulement sidéré que certaines personnes soient incapables de s’en rendre compte.

La seule personne que je ne connais pas dans cette dédicace, c’est cette mystérieuse Hella. Celle qui a toujours gardé une place pour moi dans son cœur. Qui cela peut-il bien être ? Sûrement sa petite amie, même si je n’en ai jamais entendu parler. Je demanderais plus tard à Phil. Mais en attendant, je veux juste profiter. Profiter de sa présence, de son succès, de la joie qui baigne la pièce. Parce que je sais que dès que je claquerais la porte de la maison, tout aura disparu. Il n’y aura plus que l’angoisse de savoir si mes parents sont là, si ma mère est en train de tromper mon père à l’instant même. Je ne veux pas penser à ça. Je veux juste profiter.

Lassé de ne pas être inclus, Raffael a quitté la table très rapidement. Il squatte la chambre de Charlie pour la nuit. Elle, a rendez-vous dans une heure. C’est sans doute à l’endroit où elle s'éclipse chaque samedi soir, d’après Amadeo. Pour ne pas la laisser se débrouiller seule dans les rues à cette heure tardive, Ambroise lui propose de la déposer en même tant que Maddy, Phil et moi. Elle finit par accepter après avoir longtemps hésité.

Juste avant de partir, Ami me prend à part. Il a l’air légèrement inquiet.

  • Est-ce que tu peux… commence-t-il en se passant nerveusement une main dans les cheveux.

Il me regarde brusquement dans les yeux et prend une profonde inspiration.

  • Est-ce que tu pourrais voir où Charlie va ? Je ne veux pas la pister mais je voudrais juste savoir. Au cas où il se passe quelque chose un jour.
  • Bien sûr. Je t'enverrai un message.

Il me sourit, presque soulagé.

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