Chapitre 18

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Samedi matin, assise sur mon lit, je m’applique à lire un livre conseillé par ma professeur de français quand la sonnerie de mon téléphone me fait sursauter. Je décroche, glissant simultanément un marque-page dans mon livre et mon pouce sur l’écran.

  • Charlie.... pleurniche une voix de l’autre côté de l’appareil.

Je ne reconnais pas la voix mais en regardant le nom qui s’affiche je comprends pourquoi : c’est Vicky, ma sœur. Elle m’a appelée si rarement que je ne garde aucun souvenir de sa voix au téléphone.

  • Salut. Comment vas-tu ?
  • Je vais très mal, je me meurs. Raphaël m’a quittée.

Je soupire. Un long reniflement poursuit sa plainte. Je me retiens de rire : son attitude pitoyable change de celle qu’elle adopte d’habitude, hautaine et froide avec quiconque. La situation ne prête pas à l’amusement aussi j’étouffe mon envie pour reprendre une voix sérieuse.

  • Qu’est-ce que je peux faire pour toi, Vicky ?
  • Je veux seulement parler.

J’hésite. En règle générale, le peu de discussions que j’ai pu avoir avec ma sœur se résumait à elle, ses problèmes, ses bonheurs, ses joies, et ses terreurs. Je n’ai pas envie de retomber dans ce cycle où je l’écoute parler, sans pouvoir en placer une.

Mais malgré tout, elle est ma sœur. Et je ne peux pas ne pas lui venir en aide.

J’aurais dû refuser. Je le savais et pourtant je ne l’ai pas fait. Ce n'est que maintenant que je saisis enfin mon erreur. Alors que je m’attendais innocemment à ce qu’elle raccroche après une vingtaine de minutes, c’était mal connaître ma sœur. Elle a bavassé des heures entières - trois pour être précise - sur un seul et unique sujet : les Petits et plus Gros Problèmes de Camilia Marielle Anne Belly, alias elle.

J’ai eu droit au récit de sa rupture, la totalité des reproches adressés à son intention par Raphaël, ses déboires avec l’installation de la nouvelle machine à laver - en fait, c’est un lave-vaisselle -, le malentendu entre elle et sa supérieure - où, bien entendu, Vick était en tort même si elle ne l’avouera pas même sous la torture - qui lui avait valu le retrait de sa promotion imaginaire et les mésaventures du chien de sa voisine qui s’amuse à courir en plein milieu de la nuit et à faire ses besoins dans le hall de l’immeuble. Je saute les petites piques involontaires - ou volontaires, on ne peut jamais savoir avec ma sœur - qu’elle m’a adressées : les « Je suis sûre que tu as cassé quelque chose avec tes deux mains gauches », les « De toute façon, tu es trop jeune pour comprendre, Chouchou », sans oublier tous les « Si vous étiez venue me voir, ça ne se serait pas terminé comme ça !». Pour enfin avoir la paix, je prétexte un rendez-vous et je raccroche abruptement sans lui laisser le temps de contester.

Enfin libérée, je pousse un cri défouloir et me laisse tomber sur le lit. Une seconde plus tard, Ami ouvre brusquement la porte, une mine inquiète étalée sur le visage. Il m’interroge du regard pour savoir si tout va bien.

  • Désolée de t’avoir dérangé.

Je me redresse sur un coude pour le regarder en face.

  • Ma sœur vient de rompre et elle était dans tous ses états.

Je lève les yeux au ciel comme si le fait qu’elle vienne de se séparer explique le cri que j’ai poussé. Lorsque je les ramène à son visage, Amadeo me regarde étrangement. C’est comme s’il y avait une sorte de… amour.

Brusquement, il ouvre la bouche avant de la refermer aussi rapidement dans un claquement de mâchoire.

Je le regarde faire. Cette semaine, j’ai appris à connaître un peu plus mon colocataire. Il lui faut souvent du temps pour formuler ce qu’il a sur le cœur mais il finit toujours par le dire.

Il s’apprête à tourner les talons et à repartir dans la cuisine mais, à la place, il avance d’un pas. Il se tient désormais au milieu de ma chambre, les deux pieds à équi-distance, les mains croisées derrière le dos et le menton parallèle au sol. C’est, ce que j’ai appelé, la pose Amadeo-concentré. Ou concentré d’Amadeo, au choix.

  • Tu sais, Charlie, je te considère un peu comme ma petite sœur.

Cette lueur d’amour que j’ai captée dans son regard se concrétise et à l’instant même où il dit ces mots, j’arrive à la définir précisément : de l’amour fraternel.

  • Tu sais, Amadeo, je te considère aussi comme mon petit frère.

Il sourit mais proteste :

  • Mais…
  • Je suis plus vieille que toi, donc je suis ta grande sœur.

Je lui mets un doigt sur la bouche.

  • Ce n’est pas discutable.

Il soupire, vaincu, avant de changer radicalement de sujet.

  • J’avais prévu de cuisiner un peu pour ce midi. Tu veux m’aider ?

Machinalement, mon regard se porte sur l’horloge. Le samedi, j’ai sans cesse l’impression que je vais être en retard. Nathan et ses perpétuels reproches ont dû déteindre sur moi. Il n’est que onze heures, j’ai largement le temps de me préparer.

Nous ne nous mettons à table que lorsque la petite aiguille se cale sur treize heures. Mais le repas en vaut la chandelle. C’est si bon que je ne peux m’empêcher de le féliciter.

  • Amadeo, tu devrais t’inscrire dans une école de cuisine ! Sérieusement, je pense que tu pourrais devenir un grand chef.

Il me regarde en souriant.

  • Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ?

Son sourire s’élargit.

  • Je me suis déjà inscrit. Il y a trois mois.

Je me jette à son cou.

  • Mais c’est super ! Félicitations, Ami !

Je le relâche enfin pour terminer mon dessert.

  • Merci. Et toi ? Où veux-tu aller l’année prochaine ?

Mon sourire disparaît lentement. Bien que ce ne soit pas un sujet tabou, mon choix de ne pas poursuivre mes études met souvent les autres mal à l’aise. Mais Amadeo paraît différent de tous les “autres” que j’ai pu croiser jusque là. C’est pour ça que je choisis de lui avouer la vérité plutôt que de débiter un mensonge comme quoi je “vais à l’université du coin”.

  • Je ne vais nulle part.

Sa fourchette suspendue à trois centimètres de ses lèvres, il s’immobilise. Je poursuis pour lui laisser le temps de trouver quelque chose à dire.

  • Je reste ici. Je vais trouver un job : Balthazar, qui tient un bar en centre-ville, est près à m’offrir un boulot dès les vacances.
  • C’est super. Je viendrais te voir. Mais seulement si tu sers du bon café !
  • Bien sûr ! Ce serait une injure à ton talent culinaire que de t’offrir une mauvaise boisson.

Nous débarrassons la table et je me propose pour la vaisselle. J’ai beau avoir accepté de l’avoir aidé à faire à manger, c’est lui qui a tout cuisiné. Il me la confie et sort de la maison pour aider sa mère à préparer un repas entre collègues qu’elle organise trois fois par an.

Je connecte mon téléphone à l’enceinte Bluetooth et lance ma playlist spéciale Queen B en aléatoire. Quelques notes éparses s’éparpillent dans la cuisine avant que la mélodie ne se dévoile. Je suis enveloppée par ces sons qui me bercent. Malgré moi, je me mets à fredonner.

Remember those walls I built

Well, baby, they're tumbling down

And they didn't even put up a fight

They didn't even make a sound

Un pas sur le côté, une assiette et un chiffon dans les mains, et me voilà en train de danser. Je vacille à travers la pièce, contournant la table d’un coup de hanche, déposant l’assiette dans un placard en tournant le poignet.

  • Joli déhanché.

Je m’arrête brusquement, avant de me retourner d’un bond.

  • Raph ? répondit-je, légèrement agressif. Qu’est-ce que tu fais-là ?

Le copain de ma sœur - pardon, ex-copain - se tient nonchalamment, les mains dans les poches, contre l’encadrement de la porte de la cuisine. Il a laissé pousser ses cheveux depuis la dernière fois que je l’ai vu. Ses yeux sont cachés par une mèche qui tombe juste devant et son nez est un peu plus bronzé. Est-ce qu’il est allé à la PLAGE alors que ma sœur le pleurait ? Mais après tout, ce ne sont pas mes affaires.

Il s’avance d’un pas et je recule. J’ai toujours eu un peu peur de lui et c’est plus un réflexe qu’un geste conscient. Beyoncé continue de s’égosiller en arrière-plan.

  • Je pourrais te retourner la question.

Éblouissement. Il vient de sortir le sourire à mille watts. Maintenant, je comprends pourquoi j’ai eu ce mouvement de repli : je déteste ce garçon. Bon, c’est peut-être un peu exagéré. Disons seulement que j’ai du mal à l’apprécier. Parfois, je suis même incapable de le supporter.

  • Bon sang, Raph. Réponds à ma question ou je te balance mon chiffon à la figure.

Il me fixe à travers cette muraille de cheveux qui lui barre le regard. Je tends le bras et déconnecte mon téléphone. La musique s’éteint brutalement et le silence envahit la maisonnée.

Avant qu’un son ne soit sorti de sa bouche ouverte, la porte d’entrée s’ouvre et Ami entre dans la cuisine. Il a les yeux baissés sur le paquet entre ses mains

  • Finalement, elle n’a pas besoin de cacahuètes. Sa collègue est allerg…

Il s’interrompt brutalement. Son regard est planté sur Raph qui paraît légèrement gêné.

  • Raffael ?

Mon ex-futur-beau-frère lui sourit, d’un mouvement un peu plus timide que tout à l’heure, comme s’il avait quelque chose à se reprocher.

  • Salut, frérot.

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