Chapitre 17

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À quelques mètres de là, John prend sa douche. J’observe le plafond lisse qui me surplombe, sans fissure, sans imperfection. Seulement, blanc. Il n’a aucun point commun avec celui de mon ancienne chambre, où une traînée de peinture bleue, vestige d’un travail d’art plastique bleu, décorait mon ciel lait caillé.

L’eau s’arrête de couler de l’autre côté de la porte. Quelques minutes plus tard, mon frère sort de la salle de bain, une serviette autour des hanches. Il s’arrête, surpris, en me voyant étalée de tout mon long sur son lit.

  • Qu’est-ce que tu fais-là ? grogne-t-il en attrapant son pyjama sous son oreiller.

Je me relève sur un coude tandis qu’il enfile son vêtement. Il n’a pas l’air heureux de me voir. Je détourne le regard.

  • Je suis venue te voir.

Il ricane amèrement.

  • Ton nouvel ami t’a virée alors tu daignes enfin nous offrir un peu de ton temps ?

Je regarde mon frère sans le reconnaître. Ses traits sont déformés par la rancœur qui l’anime. Ai-je réellement abandonné mes frères ? Je crois, bien que cela m’arrache le cœur à l’idée que j’ai pu être aussi méprisable, qu’il a raison.

Il a tellement raison que je sens mon cœur se serrer. Une larme roule sur ma pommette, seule contre nos sentiments. Si John la voit, il n’y fait pas allusion.

  • Qu’est-ce que tu veux ? demande-t-il, légèrement agressif dans son ton.
  • Je voulais te souhaiter bonne nuit.
  • Fais-le et sort. Il faut que je dorme.

Je hoche la tête, me lève et dépose un baiser sur son front comme lorsqu’il était petit.

  • Dors bien.

Il acquiesce en me regardant avant d’ajouter, si bas que je crains l’avoir rêvé :

  • Toi aussi, Bumzy.

Je sors de sa chambre. Après avoir souhaité une bonne nuit à Michael, je m’échappe de la maison. J’aurais pu tenter de me dédouaner, chercher des excuses à mon comportement si différent d’ordinaire. Moi qui en ai tant voulu à mon père, puis à ma sœur de nous abandonner, voilà que je me comporte exactement pareil.

Je n’ai nulle part où dormir. J’ai laissé ma chambre à Lenny. La tête qu’il faisait lorsque je suis sortie semblait refléter une intense détresse. Je ne regrette pas d’avoir cédé mon lit mais maintenant, il va me falloir mendier un endroit pour dormir.

Je sors mon téléphone et l’allume. Il est encore ouvert sur Lileos. Pourtant_humain n’a pas répondu. Je n’arrive pas à savoir si je suis déçue ou non.

Je ferme l’application pour éviter à mon scénario de s’inventer de farfelues hypothèses.

Je regarde en réfléchissant mon journal d’appel. Je n’ai que quelques choix : Bonnie, Nathan ou Phil. En sachant que je n’ai rencontré Phil qu’aujourd’hui, je trouve étrange de l’appeler à vingt heures le soir même pour squatter chez lui. Je ne connais presque rien de lui mis à part son air de rêveur et ses cheveux étalés au hasard. Je ne sais ni où il habite, ni si ses parents accepteraient d’héberger une quasi-inconnue pendant une nuit. Non, résolument, je ne peux pas l’appeler.

Il me reste Bonnie et Nathan. Si mon souvenir est bon, ce dernier, en dehors des samedi soirs où il travaille pour Balthazar, est livreur de pizzas dans la ville voisine. À l’heure qu’il est, il est sans doute sur sa mobylette à sillonner les routes. Je l’élimine aussi.

Il reste Bonnie. Bien que la gardienne de son immeuble ai horreur des visiteurs de nuit, je me décide à l’appeler.

Après seulement quelques phrases pour expliquer la situation, mon amie accepte avec joie. Parfois, je me demande pourquoi j’hésite autant quand je vois l’or qui compose mon amie.

Sans surprise, nous n’avons pas beaucoup dormi. Avec Bonnie-la-bavarde comme camarade de chambre, il est souvent très compliqué de s’endormir avant une heure très tardive. Pour satisfaire sa curiosité inégalée, j’ai passé plus de la moitié de la nuit à lui raconter les derniers évenèments. La seule chose que j’ai passée sous silence, c’est l’échantillon de messages échangés avec Pourtant_humain - PH, pour simplifier. Elle n’avait pas oublié cette histoire d’annonce Lileos, mais j’ai préféré lui dire qu’il ne m’avait pas répondu - ce qui n’est pas totalement faux puisque mon dernier message est toujours en attente de réponse - plutôt que de lui parler de ce conte pour enfants autour duquel nous avons discuté. C’est mon petit jardin secret même s' il me fait mal de cacher quelque chose à mon amie.

Par trois fois, nous avons dû taire nos discussions enflammées pour satisfaire les coups de balais contre le plafond de Perpétue Barouf qui n’arrivait pas à regarder en paix son émission de téléréalité ukrainienne. Puis, chaque fois, nous les reprenions, plus enjouées qu’auparavant. C’est seulement lorsque le beau-père de Bonnie, ce fameux Didier dont elle nous a tant rabaché les oreilles la haine pour le fromage et la passion pour le volley-ball féminin, a ouvert la porte de la chambre, les yeux encore collés par le sommeil pour nous demander de « la fermer, les mioches, je commence à six heures demain !» que nous nous sommes enfin endormies, le sourire de nos bavardages aux lèvres.

Je me suis réveillée aux alentours de quatre heure du matin, alors que deux ouvriers du bâtiment discutaient au pied de l'immeuble. Bonnie dormait à poings fermés, ronflant même par moments. À pas de velours pour ne pas troubler ses rêves, je me suis approchée de la fenêtre que j'ai entrouverte. Le bruit des papotages des deux hommes en plein travail m'a fait réfléchir : est-ce que tout est-il toujours différent de ce que l'on imagine ? J'ai toujours pensé que ceux qui, pour travailler, devaient sortir de leur lit très tôt, qui avaient une profession aux tâches lourdes et aux horaires contraignants, étaient toujours tristes et renfrognés. Mais à voir ces deux hommes rire en travaillant, j'ai pensé que je m'étais peut-être trompée sur toute la ligne. Aucun n'avait l'air malheureux. Au contraire, ils opéraient des aller-retours autour du camion en discutant joyeusement. Doucement, j'ai refermé la fenêtre et je me suis recouchée.

La mère de Bonnie nous dépose au lycée. Les portières qui claquent me rappellent la veille. Soudain, alors que je m’apprête à franchir les portes du lycée à la suite de Bonnie, mon téléphone se met à vibrer.

pourtant_humain : Cette nuit, j’ai rêvé que ma sœur était morte.

pourtant_humain : C’était presque écœurant de voir l’oubli sur le visage des autres.

pourtant_humain : Alors que pour moi, la douleur était toujours là.

Je reste immobile face à mon écran. Un élève de première me percute et je me décale en m’excusant afin de ne plus gêner le passage.

Je n’arrive pas à réfléchir. Il y a cette détresse qui transperce les mots, la même que dans le message du mur, qui m’effraie.

Moi : On a souvent la sensation d’être seul à ressentir la douleur…

Moi : Ce n’est qu’une illusion :

Moi : Les autres sont doués pour cacher leurs sentiments.

Moi : Les autres aussi sont humains.

La vérité qui s’échappe de mes mots me frappe de plein fouet. Ils se retournent contre moi avec toute la force dont je suis capable. J’ai soudain du mal à calmer ma respiration qui s’affole. Je porte une main à ma poitrine. Mon cœur tambourine sous ma peau comme un forcené qui tente de s’échapper de sa cage. Je crispe ma main sur mon téléphone pour ne pas qu’il s’échappe.

  • Eh Charlie, ça va ?

Une main se pose sur mon épaule, me ramenant à la réalité. Je prends à nouveau conscience du monde qui m’entoure : les élèves qui s’engouffrent dans le bâtiment, les voitures qui pénètrent sur le parking, les murmures, les frottements, les claquements, tout me revient.

Je me tourne vers Phil, répondant enfin à sa question :

  • Oui, oui…

Sans chercher à s’immiscer dans mes sentiments comme l’aurait fait n’importe qui d’autre, il me tend son bras :

  • Mademoiselle Belly, permettez-moi de vous escorter jusqu’à la classe de français.

J’acquiesce en riant, occultant dans mon esprit le message envoyé à PH.

  • Avec plaisir !

Le reste de la semaine s’enchaîne sans autre souci. Les jours sont semblables les uns aux autres. Voyage en camionnette jusqu’au lycée, repas avec Phil ou Bonnie et Caro, retour à la maison, devoirs avec mes frères et repas avec Ami.

Lorsque vendredi arrive, je me sens détendue. Toutes mes impressions passées semblent s’être miraculeusement envolées. Je me suis réconciliée - comme toujours - avec John. Phil et moi passons de plus en plus de temps ensemble. Souvent, il lui arrive de passer à la maisonnette et nous jouons, des heures entières, à la crapette avec Ami.

Je n’ai jamais eu de réponse de PH. Après tout, je comprends et ne lui en veux pas : il y a certains sujets dont il est dur de parler lorsqu’on est pas prêt à se livrer.

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