Chapitre 11

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Wes : Alors, Ami, comment ça se passe chez toi ? Comment va ta jolie coloc ?

Ami : Je ne sais pas trop.

Ami : Elle n'est rentrée que ce matin et elle avait l’air complètement à plat.

Ami : Ses amies et son frère sont venus pour un truc qui semblait super important.

Ami : Une histoire de réseaux sociaux. Je n’ai pas tout capté.

Ami : D’ailleurs, ses copines avaient l’air complètement frappadingues.

Ami : Surtout Bonnie…

Wes : Eh Beatly ! C’est pas la Bonnie de ton cours de théâtre ?

Wes : Celle dont tu nous rabâches les oreilles depuis des mois et des mois...

Paul : Tu dis qu’elle avait passé la nuit dehors ?

Wes : Alors, c'est comme ça que ça se passe ? Tu m'ignores ?

Ami : Même son frère avait l’air de dire qu’il ne savait pas où elle allait.

Moi : Elle a sûrement ses raisons.

Wes : Mais oui, c’est ça, Lenny. Moi je suis sûr qu’il y a du louche là-dessous.

Wes : Quelques potins croustillants, Ami ?

Ami : Et bien…

Wes : Crache le morceau.

Ami : Elle est sortie avec Vincenzo.

Ami : Et ça s’est mal terminé.

Paul : Le Vincenzo de l’orchestre ? Celui qui a fait le solo au violoncelle du spectacle l’an dernier ?

Ami : J’en sais rien. Je n'y étais pas.

Ami : Je devais garder les jumeaux, ce jour-là.

Moi : À vrai dire, il ne doit pas y en avoir beaucoup des Vincenzo…

Wes : Oh, ferme-là ! Retourne t’occuper de ton groupe de zic.

Wes : Pourquoi vous ne prenez pas ce Vincenzo dans votre groupe ?

Wes : Il m’a l’air bon joueur...

Paul : Calme-toi, Wesley.

Wes : C’est bon, j’ai compris.

Wes : Je me casse, il y a mon oncle qui vient de se lever.

Moi : Moi aussi, je vous laisse.

Moi : À plus, les gars.

Je rabats mon ordinateur avant de m’étirer, les bras tendus vers l’arrière. Mon regard vagabonde dans ma chambre. Mes coupes et médailles de basketball trônent sur une étagère, datant de l’époque où j’en pratiquais encore en club, avant que je ne tienne tête à ma mère. Quelques cahiers sont éparpillés au sol. La plupart sont ceux des années précédentes que je n’ai jamais pris la peine de ranger. Mis à part ces quelques éléments éparses, ma chambre est dénuée de décoration. Un lit, un bureau et une armoire me suffisent amplement. J’ai beau être installé ici depuis ma naissance, je ne me sens pas réellement chez moi. Une boule commence à se former dans mon ventre quand je repense à la guitare que j’avais mise des années à acquérir avant qu’elle ne finisse brisée, sous les talons aiguilles de ma mère. Elle n’a jamais accepté que je préfère la musique à ses petits cours particuliers, au basket ou pire : parfois, aux filles. Pour elle, ce n’est qu’un passe-temps qui n’a aucune valeur que ce soit dans le monde du travail ou dans la «vraie vie» comme elle appelle ce qui lui sert de quotidien depuis son mariage avec mon père. Mais, je ne veux pas de son train-train ennuyeux à mourir. Ce que je voudrais, c’est cette liberté dans laquelle la musique me berce. Cette facilité avec laquelle les notes m’envahissent, l’impertinence d’une mélodie osée, la carte blanche, tout cet univers qui n’est pas encore découvert... C’est cette musique là que je voudrais explorer à chacun des instants de ma vie.

Un papier me détourne de mes pensées. Posé sur mon bureau, c’est ce minuscule coin de feuille qui m’empêche de fermer l’œil depuis des jours. Je relis les mots encore et encore, cherchant à percer le secret qu’ils renferment. Poussé par une brève impulsion, j’ouvre à nouveau mon ordinateur et me connecte sur Lileos.

Identifiant : pourtant_humain.

Mot de passe : m@dda1ena.

L’écran d’accueil s’ouvre. Mon regard se darde directement sur la petite cloche en haut à droite de l’écran. Mon cœur rate un battement lorsqu’il aperçoit le petit rond vert à côté signalant un message. D’un mouvement frénétique je glisse le pointeur de la souris dessus puis l’ouvre d’un appui bref. À cet instant, le monde autour a disparu, le temps s’est suspendu, comme une pendule brisée qui flotte sans attache dans l’espace.

Vous avez un message de sombre_aurore.

Avant ce moment précis, je ne pensais pas pouvoir ressentir autant d’impatience. Ma fébrilité est à son comble lorsque j’ouvre le message. À la fin de l’annonce postée pour découvrir l’identité de l’auteur du message, j’avais demandé à ce qu’il précise où il l’avait trouvé. Éviter les baratineurs semblait évident. Mais maintenant, je ne peux que sentir la peur croquer mes entrailles. Et si ce n’était pas cette personne ? Et si elle ne se manifestait jamais, me destinant à une éternité dans le noir ? Voilà dans quoi baigne mon esprit torturé depuis des heures et des heures.Dans

sombre_aurore : Dans un mur.

Trois mots. Une majuscule. Aucun verbe. Un point final. Et une vérité complète. C’est tout ce qu’il faut à mon cœur pour qu’il accepte de se remettre à battre. En vain, je cherche une suite, une phrase que j'aurais loupée, si pressé que j'étais. Mais il n’y a rien d’autre. Mes doigts survolent le clavier, prêts à rédiger une réponse mais je m’interromps. Qu’écrire ? Je me lève d’un bond pour faire les cent pas dans la pièce. Mes pensées se bousculent les unes contre les autres comme autant de boules colorées dans un billard. Ah, si seulement Maman n’avait pas cassé ma guitare ! J’ai les doigts qui me démangent furieusement. Je sais pourtant que j’ai encore une solution de repli mais je rechigne à l’utiliser. C’est son instrument, pas le mien. Je ne peux pas le monopoliser. Mais reste là, à attendre qu’une réponse me vienne à l’esprit est une torture insuportable. Alors, je saisis ma veste, l’enfile instinctivement, fourre mon téléphone dans ma poche, chausse mes baskets montantes et sort de ma chambre en veillant à ne pas claquer la porte pour ne pas réveiller ma petite sœur qui se repose. Les nuits de Maddy sont agitées. Aussi, elle profite du moindre instant calme pour rattraper son sommeil. Je descends les escaliers sur la pointe des pieds, espérant ne pas croiser ma mère pour ne pas avoir à donner une explication. La chance semble de mon côté à ce moment, si bien, que je ne croise personne avant d’être sorti de la maison.

La maison d’Ami est à deux pâtés de maison. Depuis le temps que l’on se connaît - nos pères étaient amis avant même que mes parents ne se rencontrent - il m’a remis un double des clefs de chez lui. Il n’est pas chez lui : le dimanche, c’est le jour de sa visite chez son père. Étrangement, la porte est déjà ouverte. Les sourcils levés de perplexité, je m’avance silencieusement dans l’entrée. Ami - et nous avons ça en commun, bien que ce soit pour des raisons opposées - préfère retirer ses chaussures avant de rentrer chez lui. Aussi, s’il est chez lui, ces chaussures se trouveront dans l’entrée, accolées aux porte-manteau. Et c’est exactement l’endroit où elles se trouvent. Ce qui signifie que la maison n’est pas vide comme je l’avais espéré. Non pas que je vienne là illégalement mais je rechigne toujours à demander un service en face à face. Je me dirige vers sa chambre, là où je sais qu’il la range. Je meurs d’envie de la tenir entre mes mains, de gratouiller ses cordes, de murmurer des poèmes en caressant son caisson de résonance. Je prends conscience qu’avoir ma propre guitare me manque énormément.

Des voix me parviennent depuis la chambre d’amis. Des voix de filles que je n’ai pourtant jamais entendues ici avant. J’espère que Wes n’est pas là et qu’il n’a pas amené une de ses petites copines étrangères qu’il aime présenter à tout le monde alors qu’elles ne parlent pas un mot de français. Je me souviens encore crûment d’une rencontre entre Rositsa, mannequin de vingt-trois ans, venue spécialement de Bulgarie la veille pour un shooting sur Paris, et Paul qui s’était très mal terminée. Ami n’est pas dans sa chambre. Sa porte est ouverte et jamais, au grand jamais, il ne laisse sa porte ouverte quand il est dans sa chambre. Allez savoir pourquoi… J’entre dans sa chambre, fouille sous son lit - là où il la avec son étui planque avec un paquet de fruits secs que lui a donné sa mère et dont raffole Paul, un ballon de basket et un autre de football à moitié dégonflé, une planche de skate usée, un triangle souvenir de l’époque où il s'intéressait à la musique brésilienne et deux ou trois autres babioles. Puisque je ne suis pas un voleur et que je ne veux pas laisser penser le contraire, j’attrape un bloc note qui traîne sur son bureau et rédige quelques mots.

Je t’emprunte Helene. L

Amadeo a baptisé sa guitare Helene pour une multitude de raisons. La première : Helene Ségara est LA chanteuse favorite de Sandra, sa mère. Lorsqu’on a étudié la poésie, au collège, il est tombé amoureux des poèmes de Pierre de Ronsard et plus tard, quand il a découvert le mythe d’Helene de Troie, il a su qu’il devrait appeler sa fille comme ça. Seulement, Ami n’est pas le type le plus patient que je connaisse. Aussi, il n’a pas pu résister à la tentation de nommer sa guitare ainsi. Je sors de sa chambre, l’étui calé sous le bras. Déjà, j’ai l’esprit embrumé par la musique que je vais pouvoir jouer, une fois que j’aurais trouvé un endroit sûr pour m’installer, un lieu où ma mère ne risque pas de débarquer. En repassant par le couloir, je suis tellement absorbé dans mes réflexions que je manque de trébucher sur des jambes étalées au milieu du corridor. Des jambes ?

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