Chapitre 12

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Amadeo me tend une main, l’autre plaquée contre sa bouche comme pour me signifier de ne faire aucun bruit. Je suis son conseil sans poser de questions. (Les années passées ensemble ont bâti une confiance aveugle et inébranlable entre nous. Je n’ai pas besoin de remettre en question ses demandes extravageantes, tout comme il passe sous silence la relation compliquée que j’entretiens avec ma mère.) Il me souffle doucement de m'asseoir à côté de lui. Silencieusement, je me glisse contre le mur, posant Helene à côté de moi.

  • Qu’est-ce qu’il se passe ? chuchote-je en articulant exagérément afin qu’il me comprenne. Tu n’es pas censé être chez ton père ?

Ami se renfrogne et étire avec un grognement ses lèvres en une grimace.

  • Il a annulé, grommelle-t-il.

Sa réponse m’interpelle. Je m’apprête à lui demander de préciser - son père n'a jamais annulé auparavant- quand il me coupe.

  • Chut ! On va louper la meilleure partie si tu ne te tais pas maintenant...

Il penche sa tête en arrière, pour prendre appuie contre le mur, les yeux clos. Je l’observe quelques secondes en écoutant le silence qui s’installe. Puis, plus je tends l’oreille, plus j’entends autre chose que le calme de la maison. Une voix. De femme. Qui chante. Une voix de femme qui chante a capella et magnifiquement bien dans la salle de bain. Pendant moins de cinq minutes, le temps que dure la chanson, j’ai la sensation d’entendre un ange chanter. Puis, tout s’arrête en même temps que l’eau. Ami se lève, toujours sans bruit, et me fait signe de le suivre dans la cuisine. Une fois la porte fermée, je ne peux plus me retenir :

  • Bon sang ! Veux-tu m’expliquer ce qu’il se passe ici ?

Il me regarde fixement durant quelques secondes interminables. Son regard se porte ensuite sur la porte.

  • Pas ici. On en discutera plus tard.

Je hoche la tête sans raison - car je ne comprends à ce qu'il se passe - avant de quitter la maisonnette, Helene passée en bandoulière sur l’épaule. Je sors dans la rue, sans endroit réel où aller, si bien que je finis, pour la seconde fois aujourd’hui, à me retrouver là où je n’ai - presque - pas envie d’être.

La porte d’entrée n’est pas fermée, comme cela arrive fréquemment. Tante Jo, tête en l'air de première classe, a encore du oublier de la verouiller lorsqu’elle est sortie travailler à midi. Joanne et Tiphaine, deux des trois sœurs cadettes de ma mère, ont ouvert un salon d’esthétique avec deux amies à elle - Georgiana et Birgitta, des cousines dont les enfants vont au même lycée que nous-, il y a quelques années. Il est situé trois rues plus bas alors mes tantes s’arrangent pour rentrer manger chez elles le midi avec mes cousins.

  • Orlando ? Kendelle ? Il y a quelqu’un ?

À vrai dire, cela m’arrangerait d’avoir la maison de mes tantes pour moi tout seul rien qu’une heure, mais je n’ai pas cette chance aujourd’hui car Kendelle passe la tête par l'entrebâillement de la porte de sa chambre au moment où je m’apprête à me rendre dans le garage.

  • Salut Lenny !

Ma cousine s’avance avec un grand sourire, ondulant inutilement des hanches comme à son habitude.

  • J’allais justement sortir pour retrouver Cathy et Christal. Chris m’a dit que les Brayon s’entraînaient ce soir sur le terrain. Elle veut voir si elle ne peut pas renouer avec Tom, tu sais, le cadet Brayon. Ils sont sortis ensemble la semaine dernière et ça c’est bas très bien fini. Enfin, tu vois…

Je m’apprête à lui signaler que je «Non, je ne vois pas.» mais elle reprend sans me laisser en placer une.

  • Tu devrais nous accompagner ! Ça serait un moyen de renouer avec le basket, je suis sûr que le terrain te manque...

Ma mère l'a sûrement ralliée à sa grane cause : mettre un ballon dans les mains de Lenny Nathanson et le faire jouer (accessoirement, gagner) un match. Si je ne connaissais pas Kendelle - son prénom véritable est Nami, en réalité, mais, allez savoir pourquoi, elle se fait appeler Kendelle -, je pourrais croire qu’elle est simplement heureuse que je puisse venir avec elle. Mais seulement, nous avons presque été élevés ensemble, dans des maisons différentes, certes mais par des sœurs très proches, si bien que je sais déterminer les moments où elle est en train de manigancer quelque chose. Et à cet instant, elle semble penser à une affaire qui n’a rien à voir avec le fait de jouer aux baskets avec quelques gars du lycée.

  • Il y aura Susan, c’est une des meilleures amies de Tom et Jeff.

Cette Susan doit sûrement être célibataire et Kendelle, son costume d’entre-metteuse/marieuse à son compte enfilé, essaie de nous caser l’un avec l’autre. Tout s’explique.

  • Écoute, Kendy. J’avais prévu d’aller au garage, annonçais-je en désignant Helene et la porte qui semble me faire de l'œil depuis que je suis entré ici.

Un véritable air dépité s’affiche sur ses lèvres. Soit elle prend des cours de théâtre en cachette, soit Kendelle est réellement déçue. Ses yeux en amande sont perdus entre le mur et moi. Sans même me retourner, je sais qu’elle observe la photo d’elle affichée là. Elle a été prise à l’aéroport, la première fois qu’elle a rencontré Tante Tiph. Son avion avait décollé du Japon treize heures plus tôt. Avant de la remettre à sa nouvelle mère, l’hôtesse de l’air avait expliqué que la petite Nami Ado Haku Albertin avait sommeillé dans ses bras durant toute la durée du trajet. C’est la première photo d’elle qu’elle possède. Elle n’était âgée que de trois mois à l’époque. Je ne sais pas exactement ce qu'elle peut ressentir en sachant qu’elle n’a jamais connu son pays d’origine, ni qu’elle n’a aucun autre souvenir que ceux qu’elle s’est façonnée ici, avec nous, mais je n’aime pas la voir aussi nostalgique et affligée.

  • Écoute. Je joue quelques notes pendant une petite demi-heure tout seul dans le garage. Et ensuite, je vous rejoins tous au parc.

Kendelle me regarde en face et me sourit à nouveau franchement, dévoilant ses dents blanches. Je pose Helene sur le sol avant de tendre les bras pour la serrer avec douceur contre mon torse. Ma cousine est toute petite, sa tête se pose pile entre mes deux pectoraux. Je la relâche avant de m’enfermer dans le garage.

Durant vingt minutes, je gratte mes cordes, vocales et de bronze, jusqu’à ce qu'enfin, les mots s’alignent docilement, avec légèreté, précision et poésie, dans mon esprit, tels une partition à de chef d'orchestre. Je range rapidement l’instrument dans son étui avant de me précipiter dans le bureau. C’est là que Tante Tiph et Tante Jo rangent leur ordinateur. De bureau, il n’a que le nom. Un vieux canapé encombrant, qui a la capacité de se déplier en un lit au sommier inconfortable - si je m'avance ainsi, c'est que j'ai eu le malheur de le tester plusieurs nuits à la suite -, est appuyé sur la droite et encombre l'entrée ce qui m’oblige à me faufiler entre la porte et le mur. La chaise est bancale mais il me suffit de coincer une feuille de brouillon pliée en quatre sous le pied avant gauche pour que la stabilité revienne. J’allume l’appareil et me connecte au réseau social du lycée. Mes doigts virevoltent sur les touches, les frôlant de leur pulpe.

Moi : Et si ce mur devenait, pour nous, un pigeon voyageur ?

Au-dessus de la touche entrée, mon index hésite une micro-seconde avant de s’abattre dessus avec détermination. Le message est envoyé. Il ne me reste plus qu’à attendre.

Je sors du bureau, saisit mes affaires et sors en claquant la porte derrière moi.

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