Chapitre 3

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Le réveil de John indique quatre heures lorsque je m'échappe de mon sommeil. Je sens le petit corps de Mich plaqué contre mon ventre et mes bras sont enroulés autour de Jo. Je me dégage doucement et le froid, soudain, m’envahit. Je me faufile hors de la chambre puis descends à pas de velours les escaliers. Je n’ai pas très bien dormi cette nuit. C’est pour ça que je suis allée dans la chambre des garçons. Les paroles de ma mère résonnaient en boucle dans mon esprit. Ce qu’elle nous a confessé m'a fait mal. Comme si nous n’étions, nous, ses enfants, qu’«une erreur de parcours», en reprenant les mots de John.

Je me prépare rapidement un petit-déjeuner. Je ne veux pas croiser Maman ce matin. Alors, une fois mes céréales avalées, je file sans bruit au grenier.

Le grenier, c’est la chambre de Vicky. Elle y a emménagé après le départ de Papa. Alors que tout le monde sombrait, Camillia, elle, a vécut sa crise d’adolescence. Elle s’est enfermée des jours entiers là-haut, refusant de voir qui que ce soit. Lorsqu’elle revient à la maison, elle s’y rend, sûrement pour échapper à notre présence.

Je n’y ai pas mis les pieds depuis deux ans environ : le jour où elle est partie, précisément. Je m’avance doucement, tant parce que les garçons dorment juste en dessous que parce que j’ai toujours considéré ce lieu comme sacré. Vicky et moi n’avons jamais été très proches. Aussi, je n’ai jamais été autorisée à pénétrer dans son sanctuaire.

Je commence par vider sa penderie. Elle est pleine, comme si elle vivait encore ici. Durant la demi-heure suivante, je déplie et replie pulls, robes, hauts, chaussures et tous autres habits qui encombrent ses placards. Puis je m’attaque aux bibelots qui trainent partout. Des coupes, des médailles, des pots à crayons en pâte à sel, des stylos mordillés ayant perdu leur capuchon, des cahiers avec une moitié de pages manquante, des contrôles qui s'entassent roulés en boule sous le lit, et beaucoup de poussière. Je décroche les photos du mur. Beaucoup la représente avec ses amies du lycée, Félicie et Jessica. D’autres la montrent avec Raphaël. Une seule est une photo de famille. C’était l’été dernier, quand elle est revenue passer deux semaines avec nous. Le dernier jour, devant la voiture de Raphaël, nous avions posé et la voisine, Madame Masselin, qui passait par là, avait pris la photo. Je me souviens que nous avions dû garder la pose pas loin de dix longues minutes car notre photographe amateur n’appuyait jamais sur le bon bouton. Finalement, c’est moi qui m’en suis chargée. Sur celle que je tiens entre les mains, je suis encore là. Elle est légèrement floue mais au moins, nous avons l’air d’une famille. Raphaël et Vicky se tiennent par la main, John et moi, nous tentions de porter Michael comme lorsqu’il était petit mais visiblement, il avait grandi depuis la dernière fois que nous avions essayé. Nous sommes tous en train de rire à la dernière blague que vient de sortir Mich. Je tombe instantanément amoureuse de ce cliché ; je le glisse dans ma poche avant de m'atteler à la suite.

Quand je descends dans la cuisine, John et Mich sont perdus devant les placards. Il faut dire que c’est toujours moi qui leur sort le petit-déjeuner. C’est peut-être une mauvaise habitude, mais j’aime bien le faire. Cela me donne le sentiment de m’occuper d’eux. Je souris et ouvre le placard de gauche, le seul sur lequel ils ne se sont pas encore penchés.

  • Vous avez préparé vos cartons ?

Maman nous a demandé de préparer chacun trois cartons avec l’indispensable pour nous. Le reste de nos affaires sera récupéreré plus tard dans la semaine. En revenant dans ma chambre, j’ai déposé la photo dans un de mes cartons. Je ne sais pas pourquoi mais je l’y ai mise.

  • Ouais, c’est bon, répond Mich.
  • On dit pas ouais, le reprend John.

C’est un réflexe. Parfois, Jo ne se rend même pas compte lorsqu'il nous corrige.

  • Pour moi aussi, c’est bon.

Je fais une ultime liste mentale des choses qu’on ne doit absolument pas oublier. J’ai descendu mes cartons et ceux de Vicky. Jo et Mich devront se charger des leurs. Toutes les brosses à dents sont dans les valises. Et on a de quoi tenir deux semaines sans rien laver…

Je dois faire une moue étrange car John interrompt le rangement de son bol dans le lave-vaisselle pour se planter devant moi.

  • Eh ! Bumzy, ça va aller.

Ce surnom date de l’époque où je m'essayais au beat-box dans ma chambre. Je m'entrainais à imiter toutes sortes de bruits devant ma glace en attendant que Vicky revienne de son cours de gym. Une fois, John m’a surprise pendant mon morceau préféré. Il est resté dans l’encadrement de la porte à me regarder jusqu'à ce qu’il rompe mon beat.

  • Super, Bumzy, avait-il dit ce jour-là en reprenant le bruit que je faisais, ma brosse à cheveux collée contre ma bouche.

Et le surnom est resté. J’ai arrêté le beat-box la même semaine mais lui ne se lasse toujours pas de m’appeler comme ça. Il n’y a que nous qui savons pourquoi. C’est notre secret. Même si Mich a longtemps insisté pour qu’on lui révèle la provenance de ce diminutif, aucun de nous n’a jamais flanché.

Je souris, d’un sourire tremblant, pour lui faire comprendre que je l’ai entendu et contre toute attente, il me sert contre lui. Bientôt, Mich nous rejoint et nous formons un gros tas, un peu comme de la guimauve en pleine canicule : collante, mais toujours agréable !

À l’heure de la pause déjeuner, j’hésite. J’ai mentionné il y a cinq minutes à Bonnie et Caroline que j’allais récupérer quelque chose dans mon casier. Sauf que je ne le fais pas. Leur mentir n’est pas quelque chose que j’ai l’habitude de faire avec elles. Au contraire, entre nous c’est plutôt : La vérité rien que la vérité !

Je reste plantée là, devant ce mur de pierres qui regorge sans doute de secrets. J’ai réussi à en percer un, mais combien attendent encore d’être découverts par une main chanceuse ? Je sors le petit bout de papier froissé de ma poche. En dessous du J’en ai marre, j’ai inscrit la citation que j’ai trouvée sur Internet. Je la fixe un long moment puis brusquement, avant de changer d’avis, je sors un stylo de ma poche et la raye brutalement. Je griffonne quelques mots qui s'imosent à mon esprit en dessous. Je n’ai pas envie de réconforter quelqu’un avec de l’humour quand moi je voudrais m’effondrer. Puis je l’enfonce dans l’encoche entre les deux pierres, le laissant seulement dépasser légèrement pour qu’on puisse l'apercevoir uniquement si on sait qu'il est là, et pour ne pas qu’il ne puisse pas s’envoler au moindre frôlement. Je jette un dernier regard au mur en pierres blanches du couloir de mon lycée puis je tourne les talons et rejoins Bonnie et Caroline à la cafétéria. À partir de maintenant, advienne que pourra.

Je devrais leur dire. À près tout, ce sont mes meilleures amies. On s’est toujours tout dit, sans exception. Sauf que là, ça ne sert à rien, si ça se trouve ça ne mènera à rien. Je ne vais pas leur donner de faux espoirs basés sur un coin de cahier roulé en boule !

Je reste si longtemps plongée dans mes souvenirs que c’est Caroline qui m’extirpe de ma léthargie.

  • Hey, Charlie ! Tu es encore avec nous ?
  • Hein ? Oui, oui, bien sûr. Vous disiez ?

Elles se regardent puis hochent la tête d’un commun accord. Elles se penchent au-dessus de la table, leurs coudes supportant leur tête.

  • Qu’est ce qu’il y a ? Il y a un problème ? demande Bonnie d’une voix douce.

En règle générale, c’est une boule d’énergie, mais lorsqu’on a besoin d’elle, elle sait toujours être là.

Je soupire. Dans mon esprit, un grand débat fait rage : je leur dit, je ne leur dit pas. Mon regard se pose sur elles : mes meilleures amies, «à la vie, à la mort», comme on disait au collège. Je leur prends la main pour les emmener plus loin des autres, de ces ados qui sont des hyènes. Avec eux, mes secrets n’en seront plus avant que j’ai le temps de dire “Pouf”! Je les tire en arrière et on sort du bâtiment. Visiblement, elles attendent que je commence à parler. Mes yeux fuient les leurs.

  • Maman a rencontré quelqu’un.

Je fais une pause. Je n’ose toujours pas les regarder en face.

  • On va s’installer chez elle.
  • Elle ? interroge Caroline, comme si elle était sûre que je m’étais trompée.
  • Oui, elle.

Bonnie ne dit rien mais elle me prend dans ses bras. Quand Papa est parti et que Maman a commencé à enchaîner les heures supplémentaires, John s’est confié à bébé Mich, Vicky s’est renfermé sur elle-même et moi, j’ai plongé dans les bras de Bonnie. Qu’est ce que je suis bien ici !

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