LA BIBLIOTHEQUE

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Il était assis là, sur ces marches glacées. Il ne bougeait pas, paraissant ne pas respirer. Le regard vide, l’air renfrogné, semblable à une gargouille. Une forte averse lui brouillait la vue, mais il restait là, immobile. Ces derniers temps, il rêvait les rêves d’une autre. Depuis toujours, il se savait différent, cependant, l’expérience du moment le dérangeait, particulièrement. La bibliothèque était son refuge, même s’il n’y trouvait pas toujours les réponses à ses questions les plus invraisemblables, les livres lui permettaient de s’évader de sa réalité insensée. Personne ne pouvait le comprendre. S’il en parlait, on se moquerait de lui ou pire, on le ferait enfermer en « institut spécialisé ». Cette pensée le fit sourire.

Quelle réaction stéréotypée face à un phénomène que l’on ne peut cerner instantanément. Les gens sont paresseux, ils ne cherchent pas à savoir ce qui fait la différence. Il n'existe qu'un schéma, si l’on ne rentre pas dans une case précise, on est à exclure, voire à éradiquer.

Mais cette solitude finissait par peser, ainsi que le silence que tout ceci imposait.

Consulter un psy ? Il est comme tout le monde, il construit sa réflexion autour de ce qu’il connaît, de ce qu’il peut contrôler, aussi si je lui confiais ce que je vis en ce moment, il me prescrirait des traitements pour désaxés sociaux. Il pourrait mal interpréter mes doutes et me déclarerait schizophrène !

Liam savait bien qu’il n’était pas malade. Pourtant, depuis quelques années déjà, il se rendait compte qu’il n’était pas comme les autres et que ça ne s’arrêterait pas. La bibliothèque était fermée le lundi. Plus bas, sur la place face aux marches interminables du bâtiment, quelqu’un observait le jeune homme sous son parapluie rouge. Tout était gris. De loin, cette petite tache de couleur avait l’air d’un fruit. Il n’y prêtait cependant aucune attention, plongé dans sa réflexion, Liam semblait vivre dans une autre dimension. La pluie formait un halo autour de lui, accentuant cette idée d’être entre deux mondes. Siobhan finit par monter. S’asseyant à côté de lui elle tendit son bras, les abritant tous deux sous son petit dôme écarlate. Ils restèrent un moment immobiles.

— Tu veux rentrer dans la bibliothèque ? lui demanda-t-elle soudainement.

Liam sortit de sa réflexion, tourna la tête la regardant droit dans les yeux, l’air effaré, comme brusquement sorti d’un sommeil profond. Il ne su rien répondre. Siobhan se leva lui offrant sa main pour l'aider à se relever. L'étudiant la suivit. Ils gravirent les marches, puis s’abritèrent sous les arcades de la bibliothèque. Elle sortit une carte vitro-magnétique et la glissa dans le scanner fixé sur le mur. La grande porte métallique s’ouvrit sur une immense salle éclairée à la lumière du jour. Les murs du bâtiment n’étaient que baies vitrées et pavés de verres. Un escalier en colimaçon aux marches transparentes décorait le hall tel une sculpture de cristal, qui semblait soutenir, à elle seule, le sol en béton brute de l’étage supérieur. La façade de l'entrée de l'édifice était recouverte d’une plaque de métal couleur bronze, entièrement percée de lettres que la lumière traversait, donnant l’illusion d’une cascade de diamants. Ce bâtiment avait deux siècles. Vu de l'extérieur, une immense coupole de verre, soutenue par l’ossature métallique des murs vitrées, s’élevait au dessus de la salle du second étage. Liam aimait particulièrement cette architecture vivante, loin de celles de son époque, aseptisés, sans personnalité. Aujourd’hui, le temple du savoir n’ouvrait ses portes que pour lui. L’accueillant dans son antre empli du mystère de la connaissance. Liam se sentait privilégié d’éprouver ce moment d’intimité avec ce lieu si familier dans lequel il se réfugiait presque tous les jours. Siobhan l’observait avec le sourire, elle savait ce qu’il ressentait :

— Tu as l’impression d’y venir pour la première fois , lui dit-elle d’un ton si serein qu’il eut la sensation qu’elle lisait dans ses pensées.

Il fut surpris. Se connaissaient-ils ? C’était pourtant la première fois qu’il voyait la jeune femme. Depuis quand travaillai-t-elle à la bibliothèque ? Comment se faisait-il qu’il ne l’avait pas croisé avant ? Il plongea son regard dans les yeux noirs de son hôtesse. Il se sentit soudain enveloppé d’une douce chaleur, lui donnant le sentiment de tout comprendre.

— La bibliothèque est tout à toi , coupa-t-elle, comme si elle ne voulait pas être sondée, comme s’il ne fallait pas qu’il en sache plus : profites en, j’en ai pour un moment, je dois configurer les banques de données.

Sans dire un mot, ne voulant pas être sorti de ce rêve éveillé, Liam monta l’escalier. Siobhan le regardait gravir les marches de verre pour disparaître à l’étage. Partout ailleurs on utilisait les élévateurs anti-gravité, l’absence de cette technologie donnait tout son charme à l'édifice, plongeant le visiteur dans un autre temps.

Les heures s’écoulaient lentement, Liam s’était perdu dans ses recherches sur l’esprit et son immense potentiel. De l’ésotérisme aux sciences du cerveau, il avait besoin de réponses concrètes, qui lui permettraient de comprendre son état. Il se plongea dans la lecture du Traité de la schizophrénie, écrit par McArthur en 2723. Un généticien de renom, féru de psychiatrie, qui avait travaillé sur un cas de « remodelage génétique de la personnalité ». Il croyait qu’en modifiant certaines séquences du génome humain on pouvait ôter au psychopathe son instinct de tueur. Son essai intitulé, La génétique du temps, démontrait la possibilité de prévoir le devenir d’un individu en décryptant son code génétique et démystifiait totalement le concept de divination et de médiumnité, qui selon lui n’était qu’une des nombreuses capacités du cerveau à analyser une situation en paramétrant toutes les donnés perçues de manière adéquate, aboutissant à un résultat précis : une variante plausible de la réalité. Bien entendu beaucoup de ses détracteurs était absolument contre l’idée de réduire la vie à une simple équation, prônant le paramètre hasardeux et la dite chance, notions très aléatoires mais si attrayante par son idée d’inclure la magie dans l’existence. La magie selon McArthur était un état d’esprit et non un phénomène, une manière d’interpréter les événements de la vie :

« Il n’y aurait pas de progrès si le scientifique ne savait pas rêver d’un monde meilleur et c’est en cela que réside la magie, mais le scientifique doit rester sceptique autrement il ne pourrait aller jusqu’au fond des choses et expliquer leur fonctionnement ».

Plongé dans sa lecture, les livres étalés sur toute la table, Liam ne vit pas le temps passer. Siobhan se tenait debout face à lui, l’observant d’un air étrange. Ce jeune homme passionné était pour elle comme une bouffée de fraîcheur. Il leva la tête, elle lui tendit sous les yeux un livre relié de cuir rouge, la couverture n’avait pas de titre. Intrigué, Liam l’ouvrit : le livre était vierge. Il leva les yeux vers son amie, le regard empli de questions, ne sachant laquelle poser. Il ne dit rien, mais continua de la dévisager intrigué.

— Tu as assez lu, à toi d’écrire maintenant, c’est en écrivant que viennent les réponses.

Les mois défilèrent aussi vite qu’une feuille emporté par un ruisseau, Liam noircissait les pages blanche de son livre de cuir chaque fois qu’il trouvait le temps d’aller à la bibliothèque. Chaque lundi il attendait Siobhan qui lui ouvrait les portes de son « temple de la connaissance ». Liam commençait à trouver les réponses à certaines de ses questions les plus complexes et Siobhan observait l’évolution du jeune homme avec beaucoup de satisfaction.

Ce lundi 5 mai 2757, Liam attendait sur les marches de la bibliothèque, mais Siobhan ne vint pas. Ni ce lundi, ni le lundi suivant. Siobhan ne vint plus. Liam avait cessé d’écrire depuis qu’il avait rencontré Ophélia, elle ne le comprenait pas, mais l’amour avait emporté son esprit loin de ses réflexions empiriques. Le jeune homme continuait cependant de fréquenter la bibliothèque, le seul endroit où il se sentait vraiment serein, mais Siobhan n’y venait plus. Une porte s’était fermée entre deux mondes. Liam avait choisi de vivre comme les autres au détriment de son évolution personnelle.

*

Siobhan travaillait à la bibliothèque. Ce jour là, elle devait classer les archives du 31° siècle. Elle pensait à ce jeune homme qu’elle avait tenté d’aider à développer son potentiel, mais les murs du temps s’étaient refermés.

En 3035, seul un petit groupe d’humains résiste encore à l’uniformisation des esprits. L’accès à la culture semble illimité. Pourtant, les archives regorgent de données et de livres interdits au public : le gouvernement mondial donne au peuple l’illusion de la liberté pour mieux endormir les consciences. Chaque jour, Siobhan subit une injection d’amnésite : tout est contrôlé dans ce monde intellectuellement monochrome. Elle est, cependant, une des rare Extensives à travailler pour l'administration. En pratiquant « l’Extension De Conscience », elle peut restaurer les donnés, effacées de son cerveau par l’inoculation du produit.

Depuis toujours la nature humaine est tellement réprimée par cette vie « sociétale » qui lui est imposée, que certains individus ont fini par développer des capacités au-delà de l’imaginable : la capacité de percevoir, de ressentir l’univers sans en devenir fou. C’est ce qu’on appelle « l’Extension De Conscience ». Certains on poussé cette EDC jusqu’à la capacité d’influer sur les réalités du continuum espace-temps. Comme Siobhan, qui tel un passe muraille, peut traverser les réalités temporelles, si tant est qu’elle arrive à trouver une connexion avec un individu ayant un potentiel EDC.

Liam a choisi l’uniformité. Il rêvait les rêves de l'Extensive, mais a choisit de vivre la vie d’une autre, la vie d’Ophélia, la vie d’une Uniforme.

Le futur de l’humanité est compromis, mais Siobhan n’abandonnera jamais.

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