Vice et vertu

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(Voilà un nouveau chapitre, j'ai travaillé dessus en essayant de tenir compte de vos précédents conseils. N'hésitez pas à faire des remarques quant au style d'écritures. J'espère qu'il vous plaira. Bonnes découvertes.)



Les charmes de Shenzi, les animaux et la chasse

De retour sur zone, j’emménage avec Camille dans une petite cabane à l’ouest du bocage. Par un déménagement rapide, je quitte mon humble tente pour une cabane circulaire, ornée d'un magnifique toit végétal et de multiples fenêtres ; autour, les marécages et la forêt. Camille vit là depuis son arrivée sur la ZAD. La cabane, un peu à l'écart, était alors disponible. Elle n'a pas tardé pas à en faire son foyer. Pendant notre courte épopée, elle a laissé ici les affaires qu'elle ne voulait pas porter, posée dessus, une feuille de papier : "Ceci n'est pas un freeshop, merci."

À notre retour, rien n'a bougé.

Au centre de l'unique pièce de ma nouvelle résidence, un gros poêle à bois qui doit bien avoir le double ou le triple de mon âge, très efficace en ces froides et humides nuits d'hiver, pour faire à manger également. Les quelques murs sont de palettes récupérées et de planches, ils sont ici couverts d'étagères suspendues offrant leurs livres et leurs épices. L'isolation, quant à elle, est principalement constituées de paille... Inconscients ?

La peur de l'incendie est commune ici. Trop d'habitations sont déjà parties en fumée, pas toutes par accident. S'occuper du feu et en prévenir les risques devient alors une activité à part entière.

Bon, ceci étant écrit, le principal défaut de mon nouvel abris est tout autre : le toit est si bas que je ne peux que me plier en deux ou me maintenir à genoux pour habiter l'édifice. Frodon jalouserait notre contrée.

Pourtant l'illusion d'un havre de paix s’effondre vite, les charmes de Shenzi attirent tous les clébards de ZAD et de Navarre.

Un clébard en chien? Ça jappe et ça chouine de jour comme de nuit, infatigable, bien qu'il s'abstienne de manger, passionné qu'il est par sa quête. Et c’est bien malgré moi que je retrouve un premier prétendant collé aux fesses de la belle. L’enfant de chienne a poussé la porte pendant que nous dormions et c'est furtivement qu'il a séduit ma protégée, leurs ébats m'extirpant de mon sommeil :

  — Et merde, vous faites chier ! Shenzi dehors !

Poussant l'autre chien du pied,

  — N'oublie surtout pas d'emmener ta merde avec toi.

La première portée est engagée mais je garde naïvement l’espoir d’un coup à blanc.


Des coups, ils sont de feu ce matin-là, proches. Une corne de brume résonne dans la forêt. Alertée, Camille s’habille rapidement et part en reconnaissance pendant que j'émerge lentement.

Les conflits avec les chasseurs sont récurrents ; ils arpentaient les champs et les forêts du bocage bien avant l'arrivée des zadistes et sont quelque peu réfractaires à l'idée de changer leurs habitudes.

Les accroches prennent parfois de sombres tournures, les insultes et l'incompréhension des deux parties précèdent de drôles d'anecdotes : des plombs sont tirés sur les mur de la Chat-Teigne (souvenez-vous, le lieu d'accueil pour les nouveaux), un occupant est mis en joue et réplique par un tir tendu avec une fusée de détresse, un chien de zadiste meurt dans des conditions suspectes, un couteau de chasse aurait été posé sur une gorge...

Les cabanes ne sont pas des habitations déclarées et la loi n’oblige en rien les chasseurs à s’en éloigner. Se mettent alors en place différentes méthodes pour écarter le conflit. Parmi les tentatives de dialogues et de conciliation, d'autres ont une technique toute particulière pour éloigner le gibier et ses prédateurs.

Tous les dimanches une batoucada se rassemble dans le bocage pour ses répétitions. C’est là une batterie de percussions qui frappent sur des rythmes d'origine brésilienne et qui accompagne parfois nos manifestations citadines ; ils y mettent tant d’énergie et de volonté que le son de leur fanfare fait écho au lointain.

En d’autres places, en ces jours de chasse, les enceintes et les mélodies fleurissent aux fenêtres et dans les jardins, traquer au calme devient difficile.

Les habitants du bocage nantais sont régulièrement sensibilisés aux valeurs véganes (aucune consommation issue de l’exploitation animale), proche du mouvement anti-spéciste qui vise à épargner les espèces sensibles (et donc toute espèce animale) de la domination humaine.

Pourtant les occupants de ces terres s'accordent à peu près sur le fait que de petits élevages, qui se veulent respectueux des animaux, peuvent s'établir ici. La chasse à l'arc ou à l'arbalète est également tolérée, mais les amateurs sont rares.


Noël et ses fêtes

Noël arrive et nous avons prévu avec Shenzi et Camille de passer les fêtes dans nos familles respectives. Nous partons en auto-stop chacun de notre côté, Camille vers la Belgique, Shenzi et moi en région parisienne.

Mes parents sont divorcés et ne participent plus ni l’un ni l’autre aux célébrations familiales de fin d’année. J'y vais donc en seul représentant de ma ramification généalogique.

Je vais loger chez mon cousin pendant que la bête tiendra compagnie à mes grands-parents. Le vieux père est atteint d’Alzheimer et au-delà de la compassion familiale, c'est pour sa compagne une tragédie. Elle ne retrouve plus l’homme qu’elle a connu. Comment le pourrait-elle d'ailleurs? La maladie a fait de lui un autre homme.

Celui qui ne sait pas toujours qui je suis garde un amour inconditionnel pour les animaux. Shenzi va tranquillement se faire papouiller tandis que j'affronterai une peste mordilleuse prénommée Chips. Le furet de compagnie de mon cousin certainement venue à bout de la patience du cabot.

Ces retrouvailles m'offrent l'occasion de raconter aux miens les choix et les aventures vécus ces derniers mois :

  — Tu es encore jeune et tu n’as pas besoin de beaucoup de confort, mais tu ne vas quand même pas faire ça toute ta vie ?

Et vous ? Allez-vous continuer de vivre ainsi pour le restant de vos jours? Est-ce ainsi que se termine une vie? Mais la réflexion n’est pas maligne, trouvons autre chose.
  — Je ne sais pas combien de temps cela va durer et peu importe, je vis heureux et j’apprends ; je veux m’émerveiller du monde qui m'entoure, c’est mon projet. »

Pendant deux semaines je partage le quotidien du jeune ménage, mon cousin et sa compagne. Tous deux ont fait des études supérieures et tous deux ne trouvent pas d'emploi en lien avec leurs formations. Nous passons le temps à jouer sur les différents ordinateurs du foyer.

Très vite, mes démons me reprennent, j’ai besoin de trouver de quoi fumer. Eux ne fument pas et ne savent pas m’indiquer où trouver la matière. Je leur demande donc quels sont selon eux les quartiers réputés les plus chauds dans les alentours. Après quelques indications, j'en choisi un à plusieurs kilomètres et m’y rends à la nuit tombée. Très vite un vendeur m'interpelle et mon affaire est réglée aisément mais l'aller-retour occupe une bonne partie de ma soirée. Je répète l'opération à deux reprises au cours de mon séjour avant de m'apercevoir qu'il existe un autre point de vente à quelques centaines de mètres de l'endroit où je réside. Je vérifie ici l’adage qui dit qu’en France, il est plus facile de trouver du bon hachisch qu'un bon travail.

Après un séjour prolongé dans cette autre réalité, je retrouve Shenzi. La bougresse a enflé.
  — Grand-mère, comment as-tu fait pour déformer ce chien si vite ?
  — Mais rien du tout, elle a mangé les croquettes que tu m’avais laissées et quelques restes.

Autant se rendre à l’évidence, encore quelques semaines et je vais devoir jouer le chef de meute. Il est temps de retrouver ma maison de hobbit.

J'y trouve un habitant supplémentaire. Menuisier autodidacte, le nez coiffé en permanence d'épaisses lunettes, un joint collé à ses lèvres et à sa courte barbe. Lui aussi avait besoin de s'éloigner des collectivités, de prendre des vacances à l'écart.



Vol de voiture et médiation

Ce jour-là il fait beau dans le bocage. C’est une journée parfaite pour rendre visite aux tritons marbrés crêtés, la bande avec qui j’ai fait mes débuts ici. Je suis d’humeur joyeuse et j’arrive au bon moment, quelques bières ont été acheminées depuis le super-marché du coin, c'est l'heure d'un apéritif.

Mais très vite, certains potins m’inquiètent et m’agacent ; Camille-l’ancien a volé une voiture pas très loin d’ici et ce n’est malheureusement pas la première fois.

Ce coup-là, ça va mal, le propriétaire serait en route avec quelques amis pour récupérer son véhicule. Ce jour-même, un hélicoptère de la gendarmerie survole justement la zone et lorsque Camille-l'ancien apparaît au volant, il a repeint grossièrement l’utilitaire.

Plusieurs zadistes, provenant de différents collectifs, s’inquiètent du survol de cet hélicoptère ; depuis plusieurs jours, la rumeur court d’une intervention policière et la nuit, les rondes ont repris. Le véhicule de la gendarmerie fait des allers-retours au-dessus de la voiture volée et des cabanes.

Bien que la réquisition d’outils ou de nourriture auprès de grandes enseignes soit tolérée, voire encouragée, le vol de particuliers est quant à lui particulièrement mal perçu, même ici. Dans le cas présent, la combinaison du vol, du propriétaire en route et du survol suspect met le voisinage en ébullition. Devant la crainte d’une invasion policière imminente, des barricades apparaissent en divers points ; ailleurs d’autres entretiennent de vifs échanges avec Camille-l’ancien, adossé à l'un des motifs de cette effervescence. L'ancien tente de se justifier mais finit par s’énerver, remonte dans le véhicule et fait mine de vouloir forcer une barricade.

Le ton monte encore d'un cran, la peur d’un face-à-face avec la police n’aide pas. Une échauffourée éclate, la voiture est abîmée et Camille en profite pour s’éclipser avec le véhicule. L’hélicoptère s’échappe, j’en fais de même.
La voiture sera récupérée par son propriétaire dans un si mauvais état que la caisse commune de la ZAD versera l’argent nécessaire pour en acheter une autre… L’Ancien est d'abord prié d'assumer ces frais puis de quitter les lieux.

Il est dit que chacun peut trouver sa place sur la zone à défendre, mais il existe un certain nombre de règles tacites, de normes, qu'il vaut mieux respecter. Le vol entre habitants, la prise d'images sans consentement, les comportements de domination physique ou psychologique, la vente de drogues dures ne sont que des exemples de ce qui n'est pas le bienvenu en ces terres.

Lorsqu’un individu transgresse avec impudence ces barrières invisibles, des débats, s'organisent. On cache parfois les surnoms du ou des protagonistes, parfois pas. Les échanges, souvent passionnés, prennent place au travers de conversations informelles, du ZadNews, de la réunion des habitants (c’est l’instance où les occupants exposent et discutent la vie quotidienne sur la ZAD, elle a lieu chaque semaine), ou encore au cours de réunions exceptionnellement créées pour l’occasion. C’est là qu’on palabre pour définir le problème et évoquer les différentes possibilités pour l'écarter, mais il est souvent difficile de trouver un consensus.

Je ne pense d'ailleurs pas nécessaire de le chercher à tout prix. Je crois plus important de travailler à l’élaboration d'une forme de culture sociale commune sur ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, comment au travers de nos collectivités et leurs différences, trouver des points de résonance commun?

Depuis quelques mois, on s’essaye même à une autre forme de médiation. Une dizaine de zadistes sont choisis au hasard parmi une liste de volontaires chaque mois (chaque habitant peut y figurer), un numéro de téléphone est spécialement attribué à ce groupe temporairement formé. Chacun peut faire appel à lui lorsqu’il estime nécessaire une médiation entre plusieurs partis. Le groupe n’a pas vocation à prendre de décision, juste à tenter d’apporter un éclairage nouveau sur des tensions ou des conflits ayant cours sur zone. Lorsque des décisions doivent être prises, c’est en réunion des habitants qu’on cherche à les définir. Parfois, des individus sont perçus comme dangereux pour la stabilité du bocage, il est arrivé que certains soient escortés jusqu’à une gare, un village, ou partent d'eux-mêmes, conscients d'avoir franchi une barrière. D'autres fois encore, certains éconduits reviennent et peuvent se refaire une place, chargés de leurs erreurs passées que les rumeurs ont renforcées.

Datcha-tcha : n.f. Petite hutte où il fait bon vivre

Il devient difficile pour moi d’assumer la vie à quatre dans notre petite cabane. l’accouchement proche de Shenzi m’inquiète et je deviens bougon. La voir mettre bas au milieu de la pièce unique ne me réjouit nullement.
Les tritons me parlent alors de la Datcha-tcha, une petite cabane perdue dans la forêt de Rohanne. Personne ne l’occupe pour le moment et si c’est la tranquillité que je cherche, je vais être servi.
Le chemin vers la hutte est long et tortueux. L’hiver a gonflé les petits ruisseaux alentour, les marécages s’étendent et il faut prendre garde de ne pas s’enfoncer dans la boue. Shenzi est ravie de rouler son énorme ventre dedans.

J’arrive devant un petit pavillon de bois dans une minuscule clairière. À l’intérieur, deux lits superposés sont installés pour servir de couchage en cas d’urgence, quelques affiches militantes couvrent les murs. Un poêle, une table et une chaise en plastique se partagent les quelques mètres carrés restants.

Dans la forêt je m’éclaire à la bougie et pour l’eau potable, je dois traverser le long sentier à travers les bois et ses pièges, un bidon sur l’épaule et le sac plein de bouteilles en plastique.

Je me sers d’un ruisseau pour cuire les pâtes, faire le thé, la vaisselle ou ma toilette. Mes occupations principales consistent à couper du bois, écrire, dessiner, manger des biscuits et lire la saga Game of Thrones au coin du feu. Les pluies sont fréquentes et la cabane est entourée de mares ; les deux ruisseaux qui cadrent la clairière sont sortis de leurs lits et ont inondé les alentours. Jeter les poubelles devient une véritable excursion. Shenzi n’a de cesse de gonfler.


Le traitement des déchets

À Notre-Dame-des-Landes et sur la ZAD, la mairie de Vigneux-de-Bretagne est normalement responsable du ramassage des ordures. Seulement lorsque l’occupation commence à faire parler d’elle sur la scène nationale, la mairie décide qu’elle n’assurera plus le service sur la concession dédiée à l’aéroport. Certains habitants vont donc à plusieurs reprises déposer leurs sacs poubelles devant le bâtiment officiel. Un bras de fer qui force les fonctionnaires à revoir leur position. Quatre bennes à ordures sont placées au centre de la ZAD, un contrat tacite veut que les employés municipaux vident leurs contenus une fois par semaine, à condition que ces dernières ne débordent pas et que les couvercles soient convenablement fermés ; différentes pancartes rappellent aux usagers des bennes cet accord passé.

Le problème est que quatre bennes ne permettent pas de contenir la totalité des déchets produits sur la zone ; imaginez la déception de celui qui s’organise pour parcourir cinq kilomètres avec ses déchets pour s’apercevoir que les bennes sont pleines et qu’il peut repartir avec, imaginez ma déception. Du coup, chaque collectif s’organise à sa manière et possède son propre compost pour gérer ses déchets organiques, ici on se déplace pour déposer ses ordures dans les bennes d’administrations publiques ou de supermarchés, là on recycle tout, on fabrique des briques avec des bouteilles récoltées, on ne veut produire aucun déchet. D’autres encore les brûlent, développant tout un argumentaire autour de cette pratique, argumentaire qui se laisse entendre mais que je ne me risquerai pas à exposer.


Soins et découvertes

Certains habitants du bocage ont des assurances santé en bonne et due forme ; d’autres disposent de la couverture mutuelle universelle (C.M.U.), une aide médicale de l’État français reconnue aux personnes en grande précarité. Mais sur les terres fertiles occupées où fleurissent les potagers médicinaux, on s’essaye à la fabrication de baumes, on distille des huiles essentielles, on se forme aux premiers soins…

Pour nos animaux, nous pouvons compter sur le soutien de certains vétérinaires solidaires qui soignent à des tarifs cassés. Mis à part ses mamelles gonflées et son ventre agité, Shenzi, elle, est en pleine forme…
Mais, de mon côté et depuis quelques jours, des douleurs dentaires atroces m'accompagnent. Je n’en dors plus la nuit. Geignant à tout va sans craindre le voisinage, le paracétamol n’y fait plus, l’huile essentiel de clous de girofle m’anesthésie la bouche mais ne calme pas mes maux de tête.

Je n’ai plus aucune couverture santé depuis que je suis parti. J’aurais pu demander la C.M.U. mais j’ai toujours des problèmes à me tenir en règle avec l’administration. Je n’ai pas les moyens de me payer un dentiste et je ne confierai ma bouche à aucun zadiste. La nuit, quand la douleur est la plus intense, j’essaye toutes les positions, me tournant et me retournant sur ma couche, dans l’espoir d’atténuer la souffrance, insupportable. Dans cette chorégraphie nocturne, je finis par trouver deux activités qui me permettent de détourner mon attention, l’une consiste à me balancer d’avant en arrière en produisant des sons gutturaux à la manière d’un chaman indien, l’autre ne peut se pratiquer indéfiniment et je ne peux décemment pas la présenter ici.

Je vais quand même aller faire un tour du côté des urgences dentaires qu’ils m’arrachent une dent ou deux…


La mise bas de Shenzi

J’ai installé un petit lit de paille et de vieilles couvertures sous la table. Shenzi est blottie, haletante. Je m’efforce de faire un bon feu avec le bois humide qu’il me reste, nous sommes début février.
Quelque chose commence à sortir de son bas-ventre, c’est rose, c’est visqueux, c’est dégueulasse.

C’est la première fois que j’assiste à un événement pareil, mes cours de biologie ne m’ont pas préparé à accompagner la bête. D’abord, un, puis deux, trois, quatre. Il est tard dans la nuit quand Shenzi marque une pause, grignotant le placenta resté autour de ces petites boules de vie, je m’endors épuisé.
C’est aujourd’hui mon anniversaire, j’ai 25 ans. Ce qui mes droits aux minima sociaux, l’âge de retraite diraient certains punks.

Je vais devoir demander une adresse dans un centre social comme tout bon sans domicile fixe. J’en connais justement un dans une ville proche, rue Francisco Ferrer. Du nom de ce pédagogue libertaire dont je vous parlais plutôt. Accusé d’avoir participé à des émeutes en Espagne, il est condamné à la peine de mort en 1909. La légende raconte qu'avant d'être fusillé, ses dernières paroles furent « Viva la escuela moderna » (« Vive l’école moderne », sous-entendue libertaire).

Hasard de la vie ou pied de nez du destin. Un peu comme ce cadeau en cette matinée d’anniversaire, je ne trouve pas quatre boules de poils à mes pieds mais bien douze petits vampires aux yeux clos. Les petits bâtards n’ont laissé que la peau sur les os de leur pauvre maman. Shenzi est affaiblie, avec le froid et de l’humidité ambiante, je crains pour sa vie. Sur les conseils de mon entourage, je me résous à sacrifier une partie de la portée. J’essaye de prendre ceux d'entre eux qui semblent les plus faibles, les plus petits, gardant un nombre égal de femelles et de mâles, six au total. Mais je ne suis pas capable de mettre fin à leurs jours de mes mains. Épuisée, Shenzi ne donne pas l’impression de s’inquiéter de leur sort tandis que Camille s’éloigne avec les petits pour faire ce dont je suis incapable.

Quelques semaines plus tard, les survivants ont les yeux ouverts, ils pissent, chient et jappent avec joie dans tous les recoins de la cabane où ils parviennent à se faufiler, ils n’osent pas encore franchir la porte. Shenzi a repris du poids, elle trouve refuge sur un des lits pour échapper aux « quatre-pattes » assoiffés tandis que je lis tranquillement, un pétard en bouche. Entre les mots, deux inconnus frappent à la porte. Shenzi aboie avec virulence tandis que je sors à leur rencontre. Après quelques présentations, leurs nez froncés et les regards accusateurs qu’ils jettent dans mon dos me font vite comprendre que ce n’est pas là une simple visite de courtoisie.
L’une est professeur de Yoga, je ne parviens pas à me souvenir de ce que fait l’homme qui l’accompagne, juste que c’est un sacré bricoleur. Ils font partie d’un collectif de soutien à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, venus d’une métropole quelconque, c’est eux qui ont construit et baptisé la Datcha-tcha.

Tous les comités de soutien à travers la France, les associations (Naturalistes en Lutte, ACIPA, CEDPA, COPAIN 44…) et les zadistes se sont donné rendez-vous pour une grande manifestation « Contre le projet d’aéroport et son monde ».
Venus pour l’événement, ils me reprochent l’état de la cabane et l'absence de bois sec.
-Comprends-nous, on ne s’attendait pas à retrouver un chenil.
-Ma chienne a eu sa portée ici, je vis ici. Il n’y a plus de bois parce que j’ai eu froid et que ma réserve n’était pas suffisante. Ça sent mauvais et c’est sale parce qu’avec moi vivent six chiots et leur mère. Je comprends que vous vouliez profiter de la construction, je vais nettoyer et vous faire de la place, mais vous ne pouvez pas débarquer sans prévenir sur la ZAD et espérer trouver « votre » cabane inoccupée dans l’état dans lequel vous l’aviez laissée.

Finalement nous remédions aux différents problèmes ensemble. Pendant que nous sommes deux à polir la datcha, le dernier prépare le bois. Nous partageons un repas et choisissons chacun nos couches. Les chiots braillent.
  — Tu ne voudrais pas construire un abri et les mettre dehors quand même ?

Parole de clébard 7.0

Je croyais être enfin libre, tous sortis sans problème. Et heureusement d’ailleurs, parce qu’il est mignon le bipède mais mis à part faire du feu et me donner des couettes, il n’a pas fait grand-chose et ce n’était que le début d’un long calvaire. Depuis que les petits ont ouvert les yeux, ils courent partout, piaillent tout le temps, me pompent la moelle.

Leurs dents ont commencé à pousser et ces petits vampires m’irritent les tétines. J’ai tellement la dalle que je ne résiste plus à l’envie de piller les réserves et les poubelles du bipède. J'ai les nerfs à vifs et quand il s’absente, je ne laisse plus personne entrer, la Datcha-tcha c'est chez moi.

Et voilà qu’il laisse deux inconnus squatter sur notre territoire, comme si on n’était déjà pas assez nombreux. Où je me cache pour esquiver les petits monstres maintenant que tous les lits sont occupés ? Dès que les chiots seront en âge de se débrouiller, je les emmène faire un tour dans la forêt pour qu’ils apprennent à apprennent à se démerder et délimitent leurs propres territoires, du large les morveux.

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