Voyage vers la ZAD

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Chapitre 2

Voyage vers la ZAD

C’est au cours de cette première année de formation que je me rends pour la première fois à Notre-Dame-des-Landes. Je profite des vacances de Pâques, une dizaine de jours, pour prendre un bol d’air. Vacances sur la ZAD, cette destination rêvée, située dans le bocage nantais, ravira tout vacancier fauché et perturbé.
Mon père et sa compagne ont décidé de nous avancer jusque Montauban. Il pleut des trombes. Ma belle-mère ne semble pas ravie de devoir nous laisser là, je tente de la rassurer. Je n’en suis pas à mon coup d’essai et je me suis convenablement équipé : un bon coupe-vent, plusieurs sacs plastiques colorés dans lesquels j’ai soigneusement empaqueté mes affaires, de quoi manger pour moi et le chien, deux préservatifs, ma tente, ledit chien.
C’est notre premier road-trip en auto-stop ensemble et je m’attends à ce que ça complique le délire ; je ne sais pas comment les automobilistes vont réagir devant un chien et son compagnon démarchant sur le bords de route.
Nous prenons le chemin sous un ciel gris et n’avançons pas beaucoup, une dizaine de kilomètres parcourus dans l’après-midi peut-être, à pattes. Après plusieurs heures à tendre le pouce et avancer, le froid fait son office, la pluie s’infiltre doucement sous les vêtements. Shenzi ne semble pas trop perturbée, elle me suit docilement, sans attache.
La soirée avance et je préfère nous abriter sous la guérite d’un parking en bord de route, le moral en berne. Je suis pourtant surpris par deux hommes, assis là, faisant chauffer de l’eau. Ce sont deux Espagnols, les traits vieillis, autour de 40 ou 50 ans, tous deux pères de famille. Ils sont venus en France pour cueillir des fruits ou des légumes, peu leur importe, c’est le début des travaux saisonniers. Les deux hommes m’offrent le thé et m’aident à monter ma tente qu’on tend sous la guérite. Nous partageons un repas, échangeant sur nos vies, nos projets, l’argent… Cette soirée en leur compagnie me remonte le moral, d’autres semblent comprendre mon malaise, puis chacun rejoint son abri. Eux dorment dans leur voiture où ils ont entassé leurs affaires pour les mois à venir. Moi, j’ai ma petite tente, deux duvets secs et la bête pour compagnie.
Nous reprenons la route au petit jour alors que nos deux nouveaux amis dorment encore. Ce n’est qu’en début de soirée que nous arrivons à Bordeaux, plusieurs automobilistes nous ont fait avancer cette fois-ci, Shenzi blottie entre mes jambes. À peine déposés dans la ville, un policier me prend à partie, le chien doit être attaché. Nous n’apprécions pas spécialement mais il paraît qu’on ne plaisante pas avec la loi...
Il est déjà tard et, sauf cas de force majeure, je ne fais pas d’auto-stop la nuit. Nous errons à travers les rues, sans chercher quoi faire.
Nos pas nous mènent jusqu’aux berges, en bordure de Garonne. Là, un petit groupe d’individus joue de la musique, plusieurs chiens circulent autour d’eux, sans laisse. De quoi nous séduire la bête et moi. Je me joins au petit groupe, accompagné de ma déléguée aux relations publiques inter-espèces. Après avoir consacré le temps nécessaire aux présentations et à la rencontre, j’interroge nos convives sur un lieu où nous pourrions passer la nuit.


Apprendre à mesurer les risques

Un homme présent intervient, voilà déjà plusieurs minutes qu’il expose ses mésaventures passées, son séjour en prison. Il m’interroge sur mes propres projets et m’explique que lui ne s’emmerde pas à faire d’auto-stop, préférant frauder les trains, « Au moins tu sais à quelle heure tu arrives. » Ce n’est pas que l’idée ne soit pas charmante à l’oreille mais j’ai une adresse légale et quelques trucs auxquels je tiens ; si je prends le train, je devrais tôt ou tard en payer le prix.
J’avoue que le coquin m’impressionne un peu, il est plus grand que moi (ce qui n’est pas donné à tout le monde étant donné mon mètre quatre-vingt-douze) et on devine sous son t-shirt une musculature solide. Lui, a pour projet de dormir dans un parking sous-terrain qu’il connaît bien ; il y a des matelas cachés dans un coin, un point d’eau et une prise électrique où je pourrai recharger mon téléphone.
L’homme en question doit prendre un train le lendemain matin pour aller voir sa fille ; il m’assure que nous serons tranquilles et de toute façon, personne d’autre n’a d’option à nous proposer. J’accepte de le suivre mais tiens à expliciter la situation.
« Merci mec, pour ta proposition, je vais te suivre mais je dois d’abord te prévenir, je suis tout seul ici avec mon chien et je dois assurer notre sécurité à tous deux. Si tu tentes de nous faire du mal par quelque moyen que ce soit, je te le ferai payer (je sais, vous devez vous dire que c’est présomptueux mais ça a généralement l’avantage de faire réfléchir l’interlocuteur). Ne prends pas ça comme une menace, c’est juste que si c’est ce que tu envisageais, tu peux encore tenter de trouver une autre cible, je tiens à prévenir.
Ne dis pas ça, on partage une soirée tranquillement entre amis, tu ne risques rien avec moi. »

L’entourage acquiesce.

La soirée touche à sa fin et nous partons, l’homme, Shenzi et moi, vers le parking situé en centre-ville. Là, nous récupérons deux matelas qui ont déjà dû voir du monde ; ils sont dissimulés derrière un véhicule qui, vu la couche de poussière dont il est couvert, ne doit pas avoir bougé depuis un temps certain. Je branche mon téléphone sur la prise secteur toute proche, m’installe confortablement sur mon matelas crasseux et m’endors instantanément, serein.


Des paroles aux actes

Le son de la foudre me réveille. Les parois du sous-terrain font raisonner les grondements du ciel et la faible lumière grisâtre qui règne me laisse penser qu’il est encore tôt : l’homme de la veille a disparu, mon téléphone aussi.
J’enrage, je comptais sur ce téléphone pour prendre des photos, écouter quelques chansons revigorantes et donner des nouvelles régulières à ma famille. Le temps de sortir du brouillard d’un réveil trop brusque, des bribes de souvenirs me reviennent. Le type voulait prendre le train dans la matinée pour voir sa fille ; si j’ai une chance de le retrouver, c’est à la gare. Je remballe le reste de mes affaires et en prends la direction avec le vague espoir de récupérer ce dont j’ai besoin. Sur le chemin, je me reproche ma crédulité et continue de m’énerver. À l’arrivée, je fais le tour du hall de gare, Shenzi, la laisse au cou, me suit sans broncher tandis que l’espoir de retrouver mon portable s’amenuise petit à petit. L’homme n’est pas ici. Nous ressortons et, alors que je réfléchis aux suites à donner à cette affaire, je reconnais l’énergumène. Il discute tranquillement avec deux autres hommes près d’un terminal de bus. J’accélère mon pas dans sa direction, mon sac toujours sur le dos et la laisse du chien bien à la main. À une dizaine de mètres, je lâche Shenzi et lui intime l’ordre de ne pas bouger, l’homme qui me tourne le dos ne s’est aperçu de rien. J’avance encore et lance mon invective :
« Je t’avais prévenu, je t’ai fait confiance et tu t’es foutu de ma gueule. »
L’homme a à peine le temps de se retourner que je balance mon poing dans son visage. Il tombe à terre, surpris, les deux personnes avec qui il discutait lèvent les mains en l’air en signe de neutralité :
« Mais t’es complètement malade.
Tu n’as pas idée à quel point ! Rends-moi mes affaires . »
J’essaye nerveusement de décrocher la ventrale de mon sac à dos pour me décharger de ce poids. Le type toujours à terre, sort mon téléphone de sa poche et me le tend.
« Et maintenant casse-toi vite. »
Il se relève et s’exécute rapidement, sans doute quelque peu effrayé par l’intensité de la colère que je laisse entendre. Je récupère Shenzi, restée tremblante là où je l’avais laissée. La petite bête n’est pas habituée à me voir dans de tels états mais je suis bien content qu’elle ne se soit pas mêlée de cette histoire, je suis en mesure de m’occuper de genre de problème. Je la rassure et tente de faire retomber la pression. Quoi de mieux pour cela que d’appeler ma petite maman pour lui raconter mes déboires, bien que ce ne soit pas la meilleure chose à faire lorsqu’on veut rassurer ses parents. Elle m’apaise et me demande de faire attention à moi, soucieuse. Nous reprenons la route.
Ce jour-là nous progressons vite, en pied de nez à la mauvaise fortune, un couple de personnes âgées finit par nous déposer non loin de Notre-Dame-des-Landes, ils me disent de prendre soin de moi, il paraît que l’endroit n’est pas bien fréquenté.
C’est sous une pluie fine, alors que le soleil se couche lentement, que nous parcourons les derniers kilomètres qui nous séparent de notre objectif.


Enfin la ZAD

C’est à l’orée d’un bois que je vois un premier écriteau marqué ZAD, un sentier prend le départ au pied de la pancarte, nous nous y engageons.
Nous suivons un chemin de terre battue, incertains de nos efforts et inquiets de ne pas savoir vers quoi nous avançons alors que la nuit tombe dans cette épaisse forêt, Des voix finissent par troubler la quiétude de cet espace. Les rayons d’une lumière artificielle percent la végétation tandis qu’une musique qui ne m’est pas inconnue parvient jusque là. Tout cela s’échappe d’une cabane un peu plus loin, faite de bric et de broc. Je m’approche et frappe sur ce qui semble être la porte. Une voix m’invite à entrer. Le seuil de la bâtisse franchi, une odeur séduisante drague mes narines. Deux faibles ampoules éclairent la scène, une pièce circulaire dans laquelle plusieurs personnages évoluent. Certains sont assis autour d’un poêle à bois qui diffuse une douce chaleur, un autre lit un bouquin dans un vieux fauteuil rapiécé pendant qu’un autre encore s’affaire devant un réchaud et une casserole, un petit transistor émet un air de Manu Chao. On nous invite à prendre place. Je dépose mon barda et trouve une chaise tandis que Shenzi s’étend près du poêle. C’est le temps des présentations.
« Il y a un lieu pour les nouveaux arrivants normalement mais il est déjà tard et ce n’est pas tout près. Vous pouvez dormir dans le sleeping si tu veux, c’est la cabane juste derrière celle-ci. Il n’y a personne en ce moment, des matelas et des couvertures sont à ta disposition si tu en as besoin ; est-ce que tu as faim ? »

Ouais, et pas qu’un peu. Je tends mes dernières réserves de nourriture, soit une boîte de flageolets, à mon interlocuteur qui s’empresse d’en agrémenter sa préparation. J’apprends que l’électricité utilisée ici provient d’un panneau solaire installé sur le toit. Cette cabane est en fait la pièce commune du petit collectif dans lequel j’ai atterri ; la ZAD s’étend sur plusieurs kilomètres en long et en large, et cette communauté se compose d’une multitude de collectifs… Je pose tout un tas de questions auxquelles on ne me répond qu’avec plus ou moins de bonne volonté, quand on ne refuse pas tout simplement de donner suite à mes interrogations. On m’explique les valeurs de respect et de partage sur lesquelles s’appuie la communauté ; pour le reste, ce sera à moi de trouver les réponses que je cherche. Les échanges continuent et ne se ressemblent pas, la nuit suit son cours et mes yeux finissent par papillonner de fatigue.


Un hameau au fond des bois

Je prends congé de mes hôtes et m’empresse de découvrir la cabane dont on m’a parlé. En bois, elle a été construite sur pilotis, l’intérieur est un peu humide mais la pluie ne semble pas s’infiltrer. Comme promis, il y a des matelas et des couvertures un peu partout étalés à même le sol, ici aussi un gigantesque poêle à bois trône au centre de la pièce unique, éteint. Je m’installe et rejoins vite Morphée, un ami bien mérité qui n’aura pas besoin de recourir à ses fleurs de pavot soporifique ce soir.
Au matin, je découvre les lieux sous un jour nouveau. Tout autour de mon petit chalet, plusieurs cabanes sont disposées, certaines faites de terre paille, d’autres de bois et de divers matériaux. Il y a là un potager, un abri avec plusieurs vélos, complets ou en kit, une avancée pour abriter les outils, et partout de petites sculptures et décorations qui donnent un charme particulier à ce minuscule hameau. Personne d’autre ne semble éveillé pour le moment, je ne sais pas quelle heure il est. Je trouve dans le sleeping une vieille paire de bottes à ma taille, et vu la boue qui règne, personne ne m’en voudra de mettre mes pieds au sec. Après quelques hésitations, je me décide également à emprunter un vélo pour faire le tour de la zone avec Shenzi. La forêt n’est finalement pas si épaisse, tout semble encore endormi. Au fil de notre course, chaque virage ou franchissement d’obstacles est une découverte. Nous passons des fosses creusées à même le béton, des barricades peintes et des murailles bardées de slogans « La ZAD vivra », « Support your local terrorists », à l’orée d’un champ, un âne et des vaches paissent ou m’accordent des regards curieux. Des camions, voitures et caravanes sont garés le long des routes, des chemins et des prés, quelques structures élaborées ponctuent la voie, certaines semblent habitées… Mes yeux sont grands ouverts face au nouveau monde. J’ai déjà eu la chance par le passé de voyager sur trois continents et dans de nombreux pays, mais jamais je n’ai vu un truc semblable. Nous continuons de suivre ce qui semble être la route principale, jonchée de vie et de poésie, et c’est au hasard de ce chemin que nous finissons par atterrir à la « Chat-Teigne ».


La nouvelle infirmerie, un chantier collectif

C’est un lieu-dit formé de plusieurs cabanes en bois et aux toits de tôles, je comprendrai plus tard que c’est là le lieu d’accueil dont on m’a parlé la veille. Une bonne dizaine de personnes prennent le café dans le jour naissant, je salue l’assemblée et me joins au groupe, on me propose une tasse et du pain.
La plupart des gens que nous croisons ici sont originaires de Paris, ils font partie d’un collectif de soutien à la ZAD et ont profité de leurs congés pour participer à l’assemblage d’une cabane en kit, préalablement préparée dans un hangar parisien squatté. Certains sont étudiants, d’autres travaillent ou sont en situation de chômage. Cette semaine, un grand chantier collectif est organisé pour la réalisation de ce projet, un bon moyen de me jeter à l’eau et de faire connaissance en mettant la main à la pâte. Mais pour l’heure je ferai bien de ramener le vélo avant que quelqu’un ne s’aperçoive de sa disparition. Nous repartons donc en sens inverse, partout nous croisons des chiens, de toutes les tailles et de toutes les races s’il en est, accompagnés de leurs humains ou non. Je crois que même Shenzi, qui vient pourtant d’un refuge surpeuplé, n’en a jamais vu autant. Mais je ne lui laisse pas le temps de prolonger les présentations, je suis pressé de rejoindre le lieu du chantier collectif qu’on m’a indiqué.
Arrivés à notre nouveau refuge, tout le monde semble debout et la disparition du vélo n’est pas passée inaperçue.
« Alors toi, tu n’as pas perdu de temps pour comprendre comment ça fonctionne. » Plaisante un habitant.
Personne ne semble pour autant s’offusquer de mon comportement. J’aimerais laisser mes affaires dans le sleeping et pouvoir encore profiter de ce logis la nuit prochaine ; cela ne pose de problème à personne mais on m’avertit que si quelque chose disparaît c’est mon problème. Le deal me semble correct, le temps de prendre un second café et je repars.
Sur le chantier, une vingtaine de personnes s’activent déjà, il faut défricher le terrain qu’un propriétaire historique (entendre ici propriétaire anciennement légal) a cédé pour la construction. Les palettes, les vitres et les portes proviennent en grande partie de récupérations parisiennes, glanées dans la rue ou auprès d’entreprises conciliantes. Il y a même du matériel supplémentaire mis à disposition des différents collectifs qui ne se privent pas de venir y piocher. Plusieurs maîtres d’œuvres donnent des indications, ils ont déjà presque tous participé au premier montage de la structure en région parisienne. On m’explique que cette cabane aura un étage et servira d’infirmerie en cas de nouvelles attaques des forces de l’ordre. Ces forces occupaient encore, il y a seulement quelques jours, deux check points : au carrefour de la Saulce et aux Ardillères, divisant la Zad en deux et compliquant les allers-retours des habitants ; ils ont cessé les barrages routiers et se sont volatilisés le 12 avril. Le traumatisme qu’expriment les personnes présentes lors des opérations et des affrontements reste vif, beaucoup ne s’attendaient pas à un tel déchaînement de violence.


Le nouveau monde

On m’apprend qu’une grande chaîne humaine est organisée dans dix jours, les collectifs de soutien partout en France (prêt de deux cent comités recensés) ont été prévenus, une initiative de l’ACIPA pour dénoncer le projet d’aéroport ; on attend quantité de visiteurs.
À cet instant, je suis un peu comme vous : nombreux sont les détails qui m’échappent. Qu’est ce que la Chat-Teigne ? Les collectifs de soutien ? L’ACIPA ? Et tous ces petits détails incompréhensibles qui pourraient éclairer ce récit. C’est que nous redécouvrons ici la ZAD telle que je l’ai perçue à l’époque, petit puceau de la révolte que j’étais, nous prendrons le temps d’évoluer ensemble, avec le temps et les mots.
Nous parlions d’un chantier. Ici, un groupe s’est chargé de faire quelques courses pour ravitailler les ouvriers volontaires, une boîte est posée au centre de la table, elle sert à récolter la participation que chacun peut déposer, mais personne ne donne d’indication sur la valeur de la contribution attendue. Je n’ai déjà plus grand chose dans les poches, je dépose quelques pièces qui y traînaient (après avoir bien mangé et sifflé plusieurs bières). Autour de la table on débat et on se rencontre, les combats sont au centre des conversations, « Leur aéroport ne se fera pas, je suis prêt à crever ici s’il le faut » proclame à qui veut l’entendre un vieil homme à la barbe fournie, une machette à la ceinture. Sous le hangar où nous prenons notre repas, au-dessus d’une grande table où les victuailles sont à la disposition de tous et au milieu des ballots de paille, une grande banderole est hissée « Contre l’aéroport et son monde ».
Après quatre jours de chantier, il est déjà temps pour moi de prendre la route du retour, les cours reprennent sous peu. J’ai pu profiter de la même cabane pour dormir tous les soirs et entre autres rencontres, j’ai fait la connaissance de deux types qui s’apprêtent à prendre le départ pour l’Espagne, ils m’ont proposé de nous raccompagner Shenzi et moi jusque Bordeaux. Ils m’avertissent aussi ; le camion qu’ils utilisent n’est pas bien rapide, l’indicateur plafonne à 70 km/h. Une occasion à ne pas louper, nous aurons le temps de discuter, je remercie ma bonne étoile.
La veille du départ, je dépense mes derniers deniers dans une bouteille d’alcool et deux filets d’oranges ; un petit concert improvisé est organisé dans les bois. Un grand feu est allumé, une batterie installée. Plusieurs musiciens ont apporté leurs instruments à cordes et à vent. L’alcool est partagé entre les différents convives même si on apprend au cours de la soirée que ma réserve, cachée un peu plus loin, s’est fait la malle. Rien de grave, ceci fait parfois partie des aléas de la ZAD.
Le lendemain, j’ai rendez-vous avec les deux hommes pour partir. Shenzi a choisi ce moment pour aller se balader de son côté je ne sais où, je n’ai d’autres choix que d’attendre son retour. Je m’installe tranquillement dans un hamac suspendu entre deux arbres, j’espère qu’elle ne va pas me mettre en retard. La bourrique arrive enfin, comme une fleur ; elle semble maintenant disposée à me suivre.
Je salue une dernière fois mes hôtes, la boule au ventre de devoir les quitter si tôt. Lorsque j’arrive au point de rendez-vous, l’ambiance n’est pas des plus calmes. Camille-l’énervé est en furie, son traitement médical et une partie de son argent se sont volatilisés pendant la nuit. Le contenu de l’habitation en bois vole dans tout les sens, une chaise passe au travers de la fenêtre fermée, Shenzi a la tremblote et reste cachée derrière moi. Mon chauffeur est tranquillement assis sur la terrasse, il ne semble pas perturbé par la colère qui se déchaîne à quelques mètres de là. « On attend le troisième larron et on trace, tu veux un café en attendant ? » Je prends une tasse et m’assois à mon tour sur un petit tabouret posé là. Camille-souffre continue d’exprimer sa rage sur le mobilier intérieur ; on m’explique que le traitement qui a disparu est là pour l’accompagner à se sevrer de sa consommation d’héroïne ; en manque, il ne servirait à rien d’essayer de le raisonner. Lorsque notre équipe est enfin complète, nous embarquons tous trois dans un camion dont la caisse est aménagée comme un petit appartement, coin cuisine, un petit poêle à bois, une douche, un lit et différents rangements. Arriver à Bordeaux nous prendra deux jours, c’est au cours de ce voyage que je vis mon baptême de « récup’ », une pratique récurrente chez les zadistes que je vous explique plus loin.
J’aurais, ce mois d’avril, passé moins d’une semaine sur la ZAD, elle représente bien que ce que j’avais espéré, un interlude dans mon mouroir, mêlé de rencontres, de musiques, de poésie et de découvertes. Je pars malheureusement trop tôt pour voir le résultat des efforts fournis sur le chantier, l’infirmerie sera inaugurée sans nous.
La routine, elle, n’attend pas, le silence de cette partition de vie est passé, il faut à nouveau faire face et suivre les notes pour ne pas trébucher, les cours vont reprendre.

Parole de clébard 2.0

«Mais c’est que j’avais compris le traquenard ; moi, je ne voulais pas rentrer. On était si bien ici… il avait la patate et le poil brillant, plein d’énergie… J’ai compris quand ils communiquaient entre eux qu’il se tramait quelque chose de mauvais. Alors ce matin-là, quand j’ai vu qu’il remballait ses affaires et mes croquettes, j’en ai profité pour filer à l’anglaise, histoire de chasser le garenne dans la forêt et de faire capoter ses plans. Il n’oserait pas partir sans moi… enfin je crois. Il ne ferait quand même pas ça ? Je vais retourner y faire un tour pour m’en assurer. Aha ! Il est toujours là, il m’attendait ! La niche bruyante nous attend aussi, je m’installe entre ses jambes pour le voyage. Ne croyez pas que je m’avoue vaincue si facilement, on reviendra. »





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