L'affaire Carpenter : L’ascension

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Je pose un pied dans le couloir et j'attends quelques secondes...

Rien, c'est bon signe. Tout va bien, c'est juste un couloir. Je peux même apercevoir la prochaine salle de l'autre côté. Elle est plongée dans la pénombre mais une vague lueur bleue s'échappe par l'ouverture.

Il faut tout de même que je reste prudent, qui sait ce qu'il peut encore arriver dans cet asile de fous. Tout en avançant, je me demande combien d'étages j'ai pu descendre tout à l'heure. Je décide de raser les murs. Cette fois, la porte ne se referme pas derrière moi et la lumière reste allumée, je commence à me détendre. Autre chose, je ne remarque aucune caméra dans le corridor : Thot ne me voit pas ! Je m'arrête peu après avoir parcouru la moitié du chemin. Je jette encore un coup d’œil pour être sûr. Non, pas de caméra ni de hauts parleurs. Je souris, il y a une faille dans son jeu ! Cela ne m'avance pas à grand-chose mais ça fait du bien de savoir qu'il puisse faire des erreurs.

J'ai l'impression que le couloir penche vers l'avant. Paniqué, je constate en effet que le sol s'incline dangereusement. Hors de question que je me fasse avoir cette fois !

- Stop !

Cela n'a aucun effet, ça penche de plus en plus. Pourquoi ça ne marche pas ? Le sol est en métal ici, je commence à glisser.

- Stop ! Stop ! Tu vas m'obéir saloperie de couloir ? Stoooooop !

Je tombe à la renverse et glisse contre le sol lisse, je n'ai même pas le temps de bloquer ma chute que j'arrive au bout.

- Vous n'en avez pas assez de tomber inspecteur ? Il arrivera un moment où vous ne pourrez plus vous relever. 

Je tombe donc de nouveau. Sauf que cette fois, je peux clairement voir où je vais atterrir. Nulle part ! Le néant me tend les bras et ce n'est certainement pas une bonne nouvelle. Mais je chute, il n'y a rien qui puisse me sauver la mise ce coup-ci et je ne vois pas comment je pourrais m'en sortir avec un bon mot.

- Tant pis, dis-je, résigné.

Je ferme les yeux. Vais-je y voir défiler ma vie entière ? Vais-je avoir le temps de souffrir ? Mon seul regret est de mourir comme ça. Seul, au fond d'un trou, assassiné par un psychopathe. J'ai le temps de penser à tout ça, à ma carrière. Je ne sens même plus l'air siffler à mes oreilles, je flotte dans cet ultime instant, suspendu entre la vie et la mort... Ça dure quand même vachement longtemps. J'ouvre les yeux. Je n'y vois toujours rien mais je ne me sens plus tomber non plus. Je peux même bouger les bras sans problème. Qu'est-ce qui se passe encore ? Je décide d'utiliser ma seule source de lumière disponible, mon revolver. Je le sors de son étui et, de la main gauche, appui sur la gâchette. Je reste sans voix.

Devant moi, je peux voir avec une extrême lenteur le coup partir. Une petite étincelle de lumière illumine peu à peu l'espace autour de moi. Je regarde, fasciné, l'étincelle grandir pour devenir un cône de flamme aveuglant sortant par le bout du canon. La fumée qui s'échappe au ralenti du barillet. Je suis médusé, je lève la tête. Je peux voir le couloir, d'où je suis tombé, continuer sa descente. J'ai même le temps de scruter un grain de poussière figé dans l'espace juste devant mes yeux. Comment est-ce possible ? Le temps est comme ralenti à l'extrême. Je peux presque voir l'air qui s'échappe de ma bouche alors que j'expire.

Qu'est-ce que j'ai pu dire ou faire pour obtenir ce résultat ?

"Tant pis" ! "Tant"... le temps ! C'est ça ! Mais dans ce cas ça veut dire..

- Retour.

- Bien joué, inspecteur.  

Instantanément, je me retrouve de nouveau devant le couloir, dans la pièce précédente. Ma vision est trouble, je titube comme si j'étais ivre. J'entends de nouveau la voix monocorde de Thot.

- Impressionnant ! Je ne m'attendais pas à ce que vous progressiez aussi vite !

- Que... Qu'est-ce qui vient de se passer ?

Je me sens fatigué tout d'un coup. Ce que je viens de vivre n'était absolument pas normal, pas du tout !

- C'est pourtant simple : vous êtes revenu en arrière. Chacun d'entre nous possède ce don. Celui de changer le cours des choses par nos paroles, nos écrits. Le temps du savoir avait succédé au temps des actes. Cette connaissance a permis à la race humaine de s'élever au-dessus de tous les être de la Terre. Seuls quelques élus et nous-mêmes avaient conscience du potentiel des mots. Et puis, d'autres se sont mis à l'utiliser dans leur propre intérêt. Des guerres éclatèrent un peu partout à la surface du globe parce qu’ils en avaient décidé ainsi. L'économie tournait selon leur bon vouloir, les inégalités se creusèrent de plus en plus. Mais plus que leur enrichissement, ils cherchaient le consentement des masses et cela passa par un abrutissement généralisé. Nous n'avions plus le choix. Malgré notre serment ancestral, nous avons permis au monde de recommencer sur de nouvelles bases. Puis nous nous sommes de nouveau retirés en gardant en permanence un œil ouvert.     

- La Table Rase ? Non, c'est impossible !

- Aussi impossible que de remonter le temps inspecteur Fincher ? Je vous ai ouvert les yeux, à vous de décider si vous désirez les refermer ou bien contempler la connaissance.

J’éprouve un effroyable doute. il a raison, je l'ai fait, même si j'ai encore du mal à y croire. Le pouvoir des mots, la Table Rase, Thot et sa soi-disante organisation mystérieuse. Tout s'embrouille dans mon crâne. Je suis perdu.

- Vous êtes revenu en arrière Edouard, prouvez-moi que vous avez su tirer un enseignement du passé.

Je regarde le couloir devant moi. Je crois que j'ai compris. Je cours droit devant moi en direction de la prochaine salle. Je traverse sans m'arrêter. Cette fois, j'arrive au bout. Mon épaule me fait encore souffrir, il faut vite que je règle ça. Je remarque une table et une chaise au centre de la pièce. Une vieille console DATA est posée dessus. Les premiers modèles, ceux qui avaient encore besoin d'un clavier. La machine est allumée et l'écran grésille en diffusant une belle couleur bleue. Mais mon intérêt se porte surtout sur l'injecteur posé sur le bord de la table. Un antidouleur d'urgence. Je m'en empare et l'inspecte minutieusement. Rien d'anormal, le liquide anesthésiant ne semble pas avoir été remplacé.

- Au point où j'en suis...

Je m'injecte le produit dans le bras droit, juste au niveau de l'articulation. J'observe la substance violette quitter le tube pour se répandre dans mon organisme. Immédiatement, je sens une chaleur apaisante circuler dans tout mon bras. J'appuie ma main droite sur la table et la maintiens en appuyant de toutes mes forces avec mon autre main. Je recule ensuite mon épaule au maximum jusqu'à sentir l'os réintégrer sa place d'origine. La douleur diminue petit à petit. Je peux souffler quelques instants.


À SUIVRE  

  

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