Chimpanzé

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Casablanca, Maroc

Lundi 6 Septembre.

 Elle sirotait une limonade sur la terrasse panoramique de l'hôtel. Un voile bleu marine dissimulait ses cheveux d'un noir de geai, seuls ses yeux marrons, discrètement maquillés, étaient visibles. En sa compagnie, un homme d'aspect malingre se gavait de biscuits aux amandes. Malgré les apparences, l'homme était un des maillons les plus puissants de la mafia locale. Sa physionomie l'avait sûrement aidé par le passé pour se faire sa place dans le milieu. Avec ses cheveux noirs bouclés et broussailleux et son visage continuellement fatigué, il n'avait rien de menaçant. Ses adversaires ne l'avaient pas vu grimper les échelons et ceux qui s'en étaient aperçus n'étaient plus là pour le dire.

 Depuis la terrasse, la vue sur les lumières de Casablanca en pleine nuit d'été était charmante. Les flots de la mer étincelaient à quelques rues de là. La tour de la Mosquée Hassan II apparaissait comme un phare à l'horizon. La discussion, d'abord bon enfant, vira progressivement sur les affaires, illégales, il va de soi. La tueuse à gage avait travaillé sa couverture en seulement quelques jours. Son client avait exigé la mort de l'escroc en une semaine, avant l'expédition d'une importante cargaison d'armes à feu à destination du Paraguay. Elle avait bien tenté d'argumenter que le délai était trop court pour un travail propre et sans bavure. Le client avait simplement répondu :

- Du moment qu'il parte pour un long voyage avant mercredi, estimez que ce sera suffisamment propre.

 Elle se faisait donc passer pour Sadia Hamadi, l'intrigante d'un autre mafieux en quête d'une place sur le marché de la drogue. La comédie dura un bon quart d'heure avant que l'homme ne lève un sourcil. Son regard se durcit, il pinca les lèvres. En un instant, elle comprit qu'elle était démasquée. Avant qu'elle ne puisse réagir, l'homme bondit de sa chaise comme monté sur ressort. Il enjamba le parapet sous les regards médusés des clients de l'hôtel. La dénommée Sadia ne perdit pas un instant et se lanca à la poursuite de sa cible. Arrachant la longue jupe qu'elle portait, elle révéla un pantalon noir moulant ses formes bien plus que l'usage ne le voulait. Au moins, elle pourrait courir. Elle emprunta le même chemin que son prédécesseur abandonnant à leurs interrogations et regards outrés la clientèle de l'hôtel. L'homme avait pris de l'avance, elle voyait son ombre se découper sur les faits des toits. Il était agile et rapide. Elle l'était d'autant plus. Tel un singe, elle courait, bondissait, s'agrippait aux gouttières pour se réceptionner sur un toit sous-jacent. Si elle avait négligé sa couverture, il n'en était rien de la géographie de la ville. Elle avait étudié à la fois le plan souterrain, terrien et aérien de Casablanca. On aurait pu croire qu'elle avait grandi dans ses rues, entre ses maisons et immeubles aux murs blancs. L'homme tenta de la semer dans la Médina. Les ruelles tortueuses du vieux marché étaient réputées inextricables. Elle accéléra la cadence dès qu'elle comprit la manoeuvre de l'homme, le collant suffisamment pour ne pas le perdre dans ce dédale digne du célèbre labyrinthe du minotaure. Elle gagna du terrain, beaucoup. Elle attendit qu'ils soient loin des rues passantes. L'homme tentait de rejoindre sa planque, là où ses complices pourraient lui venir en aide. Dans sa panique, il ne voyait pas que c'était exactement ce qu'elle espérait. Elle se jeta en avant, enserrant la taille de l'homme qui emportait par sa course tomba à la renverse. Sans perdre un instant, elle ceintura l'homme de ses jambes et se saisit du fils qu'elle avait dans sa poche. Prestement, elle redressa l'homme et lui passa le fil autour de la gorge de l'homme. Il tenta de crier aux secours, elle tira plus fermement. Le fils s'enfonca dans les chairs, trancha la carotide et la jugulaire comme un fil à beurre. Le flot de sang jaillit et aspergea le sable qui avait été soufflé par un vent marin dans la rue au cours de la journée. En une minute, elle sentit que l'homme s'affaissait en avant, la tension dans ses bras qui retenaient le corps augmenta. Elle tenu encore quelques minutes, puis sûre du décès du coureur, elle relâcha sa prise dans un soupir. Regardant autour d'elle, elle identifia une ruelle sombre et malodorante. Saisissant l'homme par les pieds, elle le traina et l'abandonna dans l'ombre. Alors qu'elle partait, les rats s'aventuraient déjà vers ce repas providentiel.

 Elle regagna sa chambre d'hôtel à l'autre bout de la ville avant la fin du film télévisé. Le gardien ne la vit pas rentrer tant son regard étaient hypnotisé par les derniers instants d'un polar à l'intrigue contestable. Elle eut le temps de se laver, se changer avant de descendre en robe de chambre une nouvelle fois se plaindre du bruit que faisait ses voisins. Elle avait pris soin d'interpeller le gardien à plusieurs reprises dans le début de soirée, puis elle avait enregistré sa voix pour commander des appels intempestifs pendant son absence. Personne ne soupçonnerait Sadia, personne ne la reverrait jamais non plus. Le mafieux serait retrouvé deux jours plus tard par un couple de touristes italiens. L'enquête durerait plusieurs mois, mais comment retrouver l'assassin de quelqu'un qui n'existait pas dans les registres et dont l'identification n'était pas certaine. Les journaux en avait fait leurs gros titres :

"Criminel recherché pour victime non identifiée."  

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