Journal de Charlie

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18 Octobre 2015,

Ça y est. C'est fait.
J'en reviens pas de lui avoir balancé tout ça. Quel foutu connard.
Je suis qu'un foutu connard. Je n'arrive même plus à me regarder dans un miroir.
J'ai honte. J'ai vraiment honte. La franchise aurait été tellement mieux pour elle. Pour moi aussi. Elle aurait compris, au moins. Là je sais qu'elle est perdue, et ça me ronge.

Mais je vais avoir un enfant, bordel ! Un enfant. Et je suis marié. Qu'est-ce que je pouvais dire d'autre ? Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? Comme je n'ai eu de cesse de le lui dire, nous ne formions pas un couple, n'étions que des amis. De bons amis. Très bons amis. Mais rien de plus.

Pourtant j'en crevais d'envie. Oui, c'est vrai. Lorsque nous nous retrouvions tous les deux, combien de fois n'ai-je pas eu l'envie de m'emparer de ses lèvres ? Combien de fois n'ai-je pas eu l'envie de me blottir dans ses bras et ne plus jamais en bouger ? Combien de fois n'ai-je pas eu l'envie de la regarder des heures durant, dans un parfait silence ? Sa présence suffisait.

Ça craint, non ? Bien sûr que ça craint !

Qu'étais-je censé faire ? Certainement pas ce que j'ai fait en tout cas... J'ai agi comme un connard, parce que je suis un connard. Un connard qui est marié, bientôt père, mais trompe cette famille en pensée, et blesse sa meilleure amie.
Faire du mal à autrui m'a toujours vraiment répugné, je me pensais incapable de méchancetés. Et qu'est-ce que je fais ? Je la traite, elle, de salope. De mauvaise personne. ELLE. Une mauvaise personne ! Non mais l'hôpital se fout de la charité.

Je suis vraiment trop con.

Depuis quelques jours on me demande ce qu'il y a, pourquoi je suis aussi taciturne. Mais que puis-je dire ?
Il n'y a rien à dire. Je suis un connard. C'est la seule conclusion qui me vient à l'esprit à l'heure actuelle.
Le pire c'est qu'Ophélie n'a absolument pas réagi. Elle m'a dit « Bonne continuation. » et emballé, c'est pesé. Elle aurait pu gueuler, ou me renvoyer mes méchancetés gratuites en plein visage. Mais non, elle n'a rien fait. Et ça me choque. Je l'aurais blessée à ce point ?


26 Octobre 2015,


Ça fait longtemps que je n'ai strictement rien écrit. Je n'en ai pas beaucoup le temps, il faut dire, je cours partout comme un dingue...


Mais j'avais besoin d'écrire un peu. C'est la galère de partout en ce moment. Surtout depuis qu'on s'est retrouvés dans le même studio d'enregistrement, Ophélie et moi, à la radio.

Le choc.

Quand je l'ai vue, j'ai cru que mon monde, encore vacillant, s'effondrait tout autour de moi. On s'est regardés une bonne minute au moins, sans ciller, sans bouger.
J'ai baissé la tête, enfoui mon nez dans mon écharpe et l'ai ignorée. Parce que je ne pouvais rien faire d'autre.

J'avais envie de fuir. De devenir invisible, de disparaître. Le pire c'est qu'elle ne m'a pas lâché une seule fois du regard, comme si elle savait que ça me mettait mal à l'aise. Je l'ai bien mérité, tu me diras. Je méritais même pire encore.

Je n'ai jamais été aussi déstabilisé de toute ma vie pour un enregistrement. J'ai essayé de la jouer pro, mais elle me regardait.
Et c'est là qu'elle a commencé à m'envoyer plusieurs piques. Je ne savais pas quoi lui répondre. Avais-je seulement le droit de lui répondre ? Avant, c'était un jeu, je ne le prenais pas mal. On se charriait : c'était nous. Mais là, le jeu est devenu réalité et je savais qu'elle pensait chacune de ses paroles. J'ai fait de mon mieux pour désamorcer, changer de sujet, jouer sur les silences. Je crois que les autres n'y ont vu que du feu. Mais pour elle et moi c'était on ne peut plus clair.

J'ai eu envie de pleurer à un moment. Réellement. Je dépensais toute mon énergie à l'ignorer et j'ai cru que j'allais craquer. Elle s'en est aperçu, je pense, parce qu'elle a arrêté.
En y repensant, j'ai du mal à comprendre pourquoi elle a arrêté. Elle aurait pu aller encore plus loin, plus fort, me faire péter un câble, m'anéantir. Mais non, elle a tout simplement arrêté.

Je pense que c'est pire, d'ailleurs ; j'ai l'impression d'être doublement un salaud. C'est comme si elle me disait « Moi j'ai su trouver ta limite, et je ne l'ai pas franchie. Toi, tu m'as piétinée et craché dessus. » C'est ce que je ressens, en tout cas.

J'ai voulu lui parler, à la fin. Je l'ai interpellée. Elle s'est figée. J'ai vu tous les muscles de son corps se tendre. Mais elle ne m'a pas adressé un seul regard avant de partir. Disparue, me laissant avec cette terrible boule au creux de l'estomac.
J'en ai la nausée.


2 Novembre 2015,

Ma femme a fait une fausse couche.
Je ne pensais pas pouvoir tomber plus bas, mais on peut apparemment toujours creuser plus profond.

Elle est sortie de l'hôpital hier matin et je ne peux rien faire d'autre que rester près d'elle pour la soutenir. Je suis impuissant dans une telle situation, ça me ronge.
Elle essaye de faire bonne figure mais je sens qu'elle ne va pas bien. Elle s'est même excusée, mais ce n'est pourtant en aucun cas de sa faute.

Ça arrive. C'est terrible mais ça arrive.

J'ai eu le réflexe stupide de prendre mon téléphone pour appeler Ophélie. Elle sait désamorcer les crises. Elle ne dit pas nécessairement grand-chose, mais elle est là et c'est suffisant. Et puis je me suis souvenu, comme un con, que je l'avais traitée comme une merde pour couper les ponts.
C'est fou, le corps a des mécanismes que l'esprit n'enraye pas aussi vite qu'on le voudrait parfois. Bon sang, comme j'ai besoin d'elle à cet instant précis. D'une de ses paroles, de l'un de ses sourires. Même d'un conseil inutile. Qu'importe.

Au lieu de quoi je regarde ma femme dormir du coin de l'œil en griffonnant sur ce bout de papier.
Je ne sais plus où va ma vie, je ne sais plus où j'en suis, ni ce que je suis censé faire.
La seule chose dont je suis sûr, c'est que j'ai fait de belles grosses conneries...

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