je donne

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M.27.01.2021

Demain, j'irai donner mon sang.

Je me pointerai dans la clinique et tout le monde me sourira parce qu'on se doutera que je serai là par générosité. Je me saoulerai dans l'éclat des néons, je m'affalerai sur une civière immaculée. Une infirmière me tiendra la main, prendra ma tension en remplissant son formulaire. Et chaque question me tombera sur le coin de la joue comme une chatouille. Non, mon sang n'est pas malade. Tout à fait pur, mon sang. J'aurais voulu me vider d'un sang corrompu, je me serais tranché la gorge plutôt. Jamais non plus je n'aurais poussé le vice jusqu'à vouloir éclabousser des inconnus avec un cadeau empoisonné. Il faut de la cruauté pour ça, et j'ai trop de générosité ; ça se voit à mes joues. Quand tout sera fixé, je fermerai les yeux le temps qu'on me perce la peau. L'aiguille s'engainera dans le bleu du bras. Je regarderai la poche s'emplir, bercée doucement par le balancier. Puis soudain je me tournerai vers l'infirmière et je lui dirai c'est trop peu. Elle ira chercher sa collègue, qui me plantera l'autre bras. Et si ça n'est pas encore assez, je demanderai qu'elles convoquent une assemblée d'infirmières, et chacune me piquera, et en échange, pour chacune, un baiser sur la joue. Les veines se tarissent vite, je pincerai ces petites pingres jusqu'à ne me sentir pulser qu'en des pointes. Une damoiselle tout de blanc me frottera le pied, y fichera un tube à tête de flèche. De même on s'adonnera à mes mains, épaules, cuisses et mollets. Qu'on me siphonne, bon sang ! J'en appellerai à toutes les filles de l'hôpital : ménagères, cuistos, patientes et doctoresses, qu'elles m'apportent un lot de seringues et je me pomperai moi-même ! Qu'elles m'ouvrent sur la longueur du poignet, j'épongerai avec mes draps et j'essorerai dans des seaux ! Dépouillées de leur réserve par le piquant de mes cris, elles m'éperonneront la pulmonaire, darderont l'aorte et défonceront la carotide. Les artères gicleront à vau-l'eau ; je commanditerai l'empaquetage des sacs pleins, qu'on ira glacer en chambre froide. La déontologie des soignantes les empêche de poursuivre le drain chez les personnes inconscientes. Alors, je forcerai un air jovial et disponible, et pour les assurer franchement de ce que je serai tout à fait conscient, je leur raconterai. Je leur dirai cent histoires à se rouler les yeux par terre, des mots fous qui les garderont clouées. Je prendrai cet attitude pénétrante qui vous force à fixer. Enfin, quand je me serai épanché jusqu'à la dernière goutte, quand j'aurai embrassé l'absoluité du don de soi, je décocherai un sourire comme font les martyrs sur les vieux tableaux. J'aurai abandonné ce tas de chairs honteuses pour aller courir dans les têtes d'autres. Six litres frétillants, un nectar du meilleur cru, une saveur à désoiffer les vampires. Aux dames ne restera qu'à nettoyer une loque lardée de piqûres, marionnette inerte aux fils crachotants, la langue lovée contre la joue.

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