Sandra brasse

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Cycle familial #1

J.18.6.20

Il arrive parfois aux hommes de perdre des membres. Non pas ceux de leur famille, quoique l'occurrence se trouve parfois, mais bien ceux qui sont censés rester attachés à leur tronc pour toujours : ces fameux bras et jambes.

C'est bien malheureusement ce qui est arrivé à Sandra, qui un beau matin s'est réveillée avec un bras en moins. Et même pas de cadeau du ciel pour remplacer, je ne sais pas moi, avec une pince, un couteau suisse ou un bon vieux canon laser. A la place, simplement un moignon rond comme un ballon, et propre tout comme il faut, cousu sans bavure. Sandra s'en offusqua tout d'abord. Elle était droitière, et le destin aurait quand même pu avoir eu la décence de lui voler le gauche. Vous comprenez comme elle dut être fâchée par ce mauvais incident, et frustrée, puisqu'elle eut beau attendre, personne ne se pointa pour le lui rendre. Les prothèses coûtaient cher, et qui plus est semblaient bien moins efficaces qu'un véritable membre.

Sandra connaissait aussi les risques qu'il y avait à ne pas avoir tous ses bras. D'aucuns avanceraient qu'il s'agit d'une situation franchement handicapante. Aussi, elle décida qu'il lui en faudrait plus pour l'abattre. Et en effet, le lendemain matin, au réveil, elle avait retrouvé son bras droit. Il laissait légèrement transparaître la lumière de l'aube, du reste on le voyait pâle comme la mort. Sandra conclut qu'il avait dû être conservé dans un endroit sombre et frais, comme une cave, un réfrigérateur ou une chambre froide. Elle tenta de mener l'enquête en considérant tous les propriétaires de frigidaires comme suspects, mais elle s'épuisa en noms.

Elle se leva pour petit-déjeuner, et ne fut pas longue à repérer quelque anomalie : bien qu'elle serrât le couteau à beurre de toutes ses maigres forces, pas moyen de le soulever. Du gauche, aucun problème. Elle réitéra l'expérience avec divers objets. Les charognes ! Ils avaient rendu son bras droit totalement impuissant, de sorte qu'elle douta même qu'il était revenu. Peut-être n'était-ce qu'un résidu de deuil mal accompli, un regret de son temps de plénitude corporelle qui désirait s'exprimer une dernière fois. On parle de membre fantôme, celui-ci se serait seulement voulu visible par caprice, sans doute. Il fallait en être sûre : elle sortit dans la rue, et le regard des gens l'instruisit de ce qu'elle n'osait pas croire. Tout le monde la prenait pour une manchote. Que voulait donc ce bras imposteur qui s'était glissé sur son moignon ? Elle l'ausculta longuement, sans trouver rien en lui qui s'opposât à l'interrogatoire, pas un mouvement réflexe qui trahît la présence d'une force étrangère. Puisqu'il fallait le dénicher, autant employer les grands moyens : elle creusa de larges entailles le long de ses poignets, de sorte que s'écoule le sang de l'usurpateur brachial. Les artères crachouillaient sans relâche, par à-coups gais et chantants.

Soudain, le petit frère de Sandra, Basile, déboula dans l'appartement. Il ne vit rien de la marée sanglante où il pataugeait, seulement sœurette qui s'activait à sectionner le vide face à son moignon. Il tenta de parler mais elle le coupa : "J'essaie de me débarrasser d'une idée, tu veux ?". Il se tut respectueusement, jusqu'à ce que les derniers morceaux du faux bras se soient détachés. Elle passa l'éponge sur son joli bout d'épaule, de nouveau rutilant et nu. Enfin, elle lança à l'autre : "J'ai quelques mots à dire à tes amis du club de trafic d'organes." Et comme Basile, confondu, n'osait l'aider à se relever : "Allez, sors tes doigts, j'aurais bien besoin d'un coup de main."

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