il écoute

2 minutes de lecture

M.12.5.20

L'heure est venue pour lui de croire que la pénombre est suffisamment dense pour toucher quoi que ce soit de subtil et d'important.

L'heure est venue où plus personne n'écoute dans la maisonnée. Tous se cloîtrent avec leurs petites intentions. Ils ne pensent qu'à leurs petits projets, qu'à ce qu'il faut construire chaque jour, apprendre ceci, mettre au clair cela. Le reste n'existe plus. Ils n'ont aucune envie de vivre cette nuit. Ils veulent seulement ne pas la subir et se réveiller demain au matin la gueule toute fraîche, parée pour produire, pour réaliser. Les couples s'enlacent pour mieux cloisonner leur solitude fantasmatique, les enfants sont assommés par les heures de soleil.

Seul reste celui que le sommeil jamais ne cueille. Il reste assis à la salle commune où tous mangent, communient, communiquent, tout le jour. Et tout le jour déjà il y était assis, et il écoutait les bruits du monde qui vibre. Désormais qu'il fait sombre, tous croient qu'il n'y a plus rien à entendre. C'est faux. Une autre vie commence seulement, celle où l'on se met à écouter ce qui n'a pas la parole, si l'on tend l'oreille. D'un couloir obscur sort un respir cadencé, un ronflement ténu de climatiseur enrhumé. En tendant les doigts, vous pourriez sentir son souffle invisible, l'embrasser et le perdre aussitôt. Le réfrigérateur zonzonne à sa guise, et de ses commentaires bizarres sème la zizanie dans l'harmonie. Un lampion, l'un des derniers qui pendouillent, clignote à peine : son bulbe s'échauffe par vagues, rougit seulement, de honte de ses premiers échecs, puis dans un élan de courage scintille trois fois plus que le reste, le temps d'à nouveau perdre son souffle. Au lointain l'on trouve un triste cimetière d'étoiles dans les lumières d'une ville, tandis que le chat fraude quelques croquettes chipées au sac, et repart chasser les rongeurs oniriques sur le confort du canapé.

Encore un peu, oubliez tout cela, et poindra le son étrange que peu comprennent. Le cri de l'électricité, sans doute, le crissement de la lumière. Le fil d'ultrasons qui bannit le silence, quoi qu'on fasse, c'est le dernier rempart du tumulte. La plupart l'évitent et se racontent leurs petites histoires personnelles pour s'en détourner. L'auditeur, lui, sait se taire parfois, et confronter le mur du son. Jamais il ne le dépasse.

Alors, vite, il faut se trouver un prétexte, et finir comme les autres. Sinon, c'est la folie, c'est se taper encore et encore le front contre une paroi qui ne peut pas céder. Il essaie de vouloir dormir ; pas si simple. Le repos l'effraie, il y a tous ces fantômes qui traînent et qui veulent leur tranche d'attention. Maudit d'avoir gardé son oreille d'enfant, l'auditeur fabrique des monstres avec la vie mécanique de la nuit. Ils se convoquent d'eux-mêmes, depuis le timbre de la voix du couloir jusqu'au fracas imprévisible du chat en passant par les caprices intermittents des ampoules, tout prend forme, corps et visage, tout l'insulte ou le flatte, et, tout empli de ces nouvelles figures, il joue. Il a à peine écouté que déjà il n'entend plus que des échos, qu'il reboucle à loisir dans sa cervelle noueuse. Que de lâchetés pour s'éviter la folie. C'est à croire qu'il n'y a que les fous qui soient braves. Que les cons pour comprendre. Que les sourds pour entendre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Damian Mis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0