ils s'isolent

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M.12.5.20

Quand l'amiante a été interdit, les architectes se sont trouvés dans l'incapacité d'isoler les maisons aussi efficacement qu'auparavant, et à si bon marché. Plusieurs expériences ont été menées auprès des particuliers.

Chaque investisseur avait son poulain : les Télrange s'étaient rangés, comme à leur habitude, vers un renouvellement de la tradition, en retournant à la bonne vieille laine de verre. Ils rasèrent leurs champs d'amiante, liquidèrent les derniers épis dans les pays de l'Est, et remplacèrent le tout par d'immenses pâturages. Ils achetèrent à grand prix des brebis de verre de la plus fine race, qu'ils croisèrent avec des moutons de tain de premier choix. Ils emplirent ainsi leurs terres d'une espèce toute neuve, qui ne pouvait qu'illuminer encore plus la réputation de la famille. Ces moutons produisaient de la laine de miroir, et les usages de cette dernière seraient infinis, cela va sans dire : outre l'isolant, la laine réfléchissante allait pouvoir être employée par les maîtres couturiers pour parfaire des tenues d'un ravissement sans égal, par les ingénieurs de mobiliers pour révolutionner leurs collections, etc.

L'affaire s'avéra cependant être un fiasco. Les bergers engagés par les Télrange ne tinrent pas deux mois. Leur image leur revenait constamment déformée cent fois sur les flancs des créatures, le moindre rayon se réfléchissait jusqu'à détruire tout semblant de cohérence. Ils sont devenus fous au milieu de ces troupeaux, et le sont restés. Scandale psychosanitaire, on ne vendrait jamais cela. Dégoûtés, les Télrange rapatrièrent le bétail dans leur réserve naturelle, où il vit désormais en paix, effraie les intrus, fascine les artistes.

Profitant de l'échec de leur concurrent, la Fédération des Isolateurs-Novateurs Européens plancha sur une alternative. Elle fit appel aux experts isolateurs les plus chevronnés, qui conseillèrent de construire non pas des maisons soumises au froid extérieur, et qu'il faille chauffer, mais des maisons chaudes d'elles-mêmes, que les habitants tempéreraient à leur convenance. Pour atteindre cet objectif pour le moins osé, ils envoyèrent des émissaires aux quatre coins du monde en quête de ressources inexplorées.

L'un revint avec une drôle de vipère au poing. Une salamandre tartinière, telle était leur solution : un serpent qui accumulait de lui-même la chaleur tellurique, et pouvait ainsi la répandre tout autour de lui. En outre, ce reptile était capable de s'étaler sur des mètres et des mètres, selon la pression thermique, et il pouvait même se laisser pousser des pattes et des queues de castor pour offrir un point de fugue à la température en cas de surchauffe. Cette bestiole était une chaudière vivante, disponible en toutes formes. Là encore, une nouvelle gamme de meubles chauffants fut mise au point, lesquels iraient de paire avec un lotissement entier dont les murs étaient rembourrés de salamandres. Les têtes des bestioles seraient maintenues fermement, toutes sur le même panneau de contrôle d'où un agent d'entretien les gaverait quotidiennement.

Seul un logement-test a pu être construit, où le directeur de la Fondation et sa famille passèrent une merveilleuse année. Ils nourrissaient leurs huit salamandres eux-mêmes. Il fut inutile de mettre au point un dispositif de contrôle de la température, puisque les salamandres ressentaient lorsque les hôtes avaient trouvé le confort idéal. Ceux-ci les complimentaient, et en retour, elles émettaient une sorte de ronronnement, comme pour sceller leur accord.

Fou de ces serpents, le directeur en profita pour tenter de les rendre sensibles à la gastronomie et à l'hygiène, de sorte qu'on en puisse dresser les têtes à faire le ménage, la cuisine ou s'occuper des enfants. Il inscrivait cela dans un grand plan progressiste qui libérerait les femmes au foyer du joug des tâches ménagères.

Pour le moins, ce ne fut pas à l'avantage de son épouse. En rentrant chez lui, un soir, le directeur trouva sa femme et ses enfants dans l'estomac des animaux thermo-ménagers, dans un état de digestion déjà fort avancé. La maison avait brûlé, tant la chaleur que rejetaient ces dragons était devenue forte. Il va sans dire que le plan salamandre tartinière ne trouva aucun écho, et que la Fédération fut dissoute. Depuis, toutes les ardeurs architectoniques se bornent à refréner la moindre tentative d'innovation, au profit de matériaux téléphonés, qui ne feront jamais frissonner personne.

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