ils meurent

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M.12.5.20

Disons simplement que la forêt et la ville ont cela en commun que les hommes n'y sont pas les bienvenus. Et pourtant, il y a des hommes qui vivent en forêt ; et bien sûr, il y en a aussi pour grouiller à la ville. Aux mêmes causes les mêmes effets, seule la manière diffère.

L'homme de la forêt, quand il veut mourir, n'a pas grand chose à faire. Suffit qu'il se laisse glisser entre les branchages moisissants d'une mangrove. Il ne faut pas même le vouloir, simplement cesser de lutter pour rester au dessus des rameaux. Il se retrouve alors tout à fait immobilisé, et fermement punaisé d'épines. Les pluies de boue ont bien tôt fini de couvrir tout ce rose détonnant. Au matin, les bûcherons passent, qui taillent méthodiquement les fourrés pour en faire du petit bois. Des fois, l'un d'entre eux aussi glisse dans un trou de branches, mais c'est par erreur, et dix bons gars ont tôt fait d'accourir à la suite des appels. Mais le mourant, lui, n'hurle pas, ne dit rien, il a compris qu'en forêt il n'avait pas sa place, aussi vaut-il mieux se réserver le sort des arbres. Les bûcherons le taillent en morceaux, sans se rendre compte de rien.

Prenons l'homme de la ville. Un jour qu'il ne prend plus garde de survivre, il se laisse tamponner par une auto. Pourtant le bougre trouve plus à propos de se laisser mourir, et il n'hurle pas. Si ç'avait vraiment été un accident, il aurait hurlé, on l'aurait brancardé jusqu'à l'hôpital et il aurait continué d'être un homme. Mais il ne dit rien, alors les témoins passent leur chemin, et lui, il rampe comme il peut jusqu'à un nid-de-poule. Les premières voitures ont un peu de scrupule à le récraser, mais au bout de quatre fois il n'y paraît plus : les roues l'ont réparti à nouveau, de sorte qu'il comble parfaitement son anfractuosité. Il est tout imbibé de jus de ville, qui le durcit, le grise et donne à son teint l'aspect gravelleux du goudron.

Ces deux hommes sont pris entre deux sangs qui ne sont pas les leurs : la sève qui coule doucement, la mialle qui dévale en un rien.

Seul l'homme de la campagne semble trouver son chez-lui : lorsqu'il veut mourir, il reste où il est. Parfois il meurt sur son lit, parfois dans un siège à bascule, où il chante à voix basse un charme de vieux sage. Quand vient le soir, il s'éteint devant le feu que lui a fait son fils avant d'aller se coucher, avec le petit bois du matin.

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