je détrousse

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V.31.01.2020

Je me souviens des ragots qui courent sur les bancs du café-psycho du lycée. Il y a ce présupposé que nous organisons notre espace personnel en mimant – bien inconsciemment, car tout s'explique justement ici par ce que l'on n'en a pas vraiment l'impression à la base. - la structure inhérente de notre crâne. Pour se connaître, il faut inspecter la figure de sa chambre, de son sac de cours voire de sa trousse, comme si on ne les avait jamais vus avant, de manière à s'étonner des particularités, de ce qu'on ne trouverait pas ailleurs.

À cette époque, je n'avais pas bien plus d'amis qu'aujourd'hui, à savoir sensiblement aucun, et ainsi je n'avais pas souvent l'occasion de pénétrer la chambre d'autrui pour avoir quelqu'élément de comparaison. Je n'avais pas l'audace de fouiller dans les sacs non plus.

Restaient les trousses.

Aussi, presqu'à chaque cours, je me penchais respectueusement vers mon voisin de table et lui demandais de me prêter quelque crayon (car tout le monde a un crayon dans sa trousse). Au bout de quelques fois, las de fouiller au fond, il me la passait directement pour que j'y prenne le crayon moi-même. Je souriais alors un peu, pour le remercier, et me tournais pour avoir le loisir de faire l'inventaire du bonhomme à ma guise...

Un tel avait-il un compas ? Jamais je ne pourrais m'entendre avec lui, ces gens-là ne tournent pas rond, et ont tendance à piquer gratuitement. Une autre n'écrivait donc qu'en rose ? En voilà une qui veut réaffirmer une féminité ; elle ne se sent sans doute pas assez belle, pas assez désirée, et son père n'a pas dû lui montrer assez d'affection durant son enfance ; je ferais bien de la complimenter, pour accomplir mon devoir moral. J'irais vers elle et je lui dirais : "Ne t'en fais pas, tu es jolie, et sans doute il t'aime quand même."

Je ne l'ai jamais réellement fait, ceci dit, car j'avais peur qu'elle croie qu'elle me plaisait, alors qu'elle était un peu laide, et puis de toute façon j'étais amoureux de Sophie principalement, alors je ne pouvais pas me permettre de brouiller mes signes.

Car j'étais assis à côté de Sophie une heure par semaine. J'ai mis à peu près toute l'année à mettre la main sur sa trousse et sonder sa psyché. Je dus alors faire des efforts monstrueux pour cacher mon exaltation. Il s'agissait de comparer ses goûts aux miens pour prouver notre correspondance indiscutable. Je m'imaginais déjà allant vers elle entre deux salles, m'écriant : "Tu sais, nous avons le même taille-crayon avec éjecte-mine, et une règle assez similaire au niveau de la rondeur des coins, je pense vraiment que nous devrions passer plus de temps ensemble." Mais, oh, déception ! Rien, je ne pus rien trouver de ce qui me plaisais profondément dans la composition scolaire : il y avait là toutes les marques de superficialité, rien qui m'indique qu'elle ait quoi que ce soit dans la tête.

Il fallait réparer ça, bourrer son crâne de ce qu'il y faut avoir, quitte à tout tenter. Si je lui montrais comment on peut vraiment composer, elle ne pourrait pas nier que c'est la meilleure chose à faire... Alors, j'échangeai le contenu de sa trousse et de la mienne, m'emplissant de ses niaiseries que j'espérais rendre plus subtiles (les subtiliser dans tous les sens, ah !) au contact du tissu salvateur de ma trousse (la détrousser en somme, ah !).

Le tour ne lui a pas plu. Elle commençait à s'impatienter, je dus la lui rendre. Aussitôt, elle se mit à hurler avec sa voix de crécelle. Je compris qu'elle n'était pas faite pour moi. La professeuse se chargea de vider la trousse de Sophie dans la poubelle, qui garda l'odeur. Nous dûmes changer de salle et Sophie de trousse. J'eus droit à dix heures de retenue et des séances avec une psychologue, même si je savais désormais qu'il n'y avait rien à tirer de cette science.

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