je fête

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L.03.02.2020

Il est assez aisé d'aimer les fêtes. Suffit de s'y plonger, et peu à peu la retenue s'effondre face aux gueules chaudes et aux membres déliés. On se laisse emporter dans le vortex de l'ambiance : trop de bruit, trop de mouvements ; ne reste qu'à s'oublier. Le corps redevenu paquet de chair retrouve son énergie originelle, bestiale, incontrôlée et s'adonne sans honte à la danse la plus chaotique. Et puisqu'il faut huiler cette terrible machine, on asperge les bouches et les muscles d'alcools corrosifs : les masques s'érodent, les penchants s'expriment et les plus timides enfin laissent paraître leur brasier interne. À force, la sueur se mélange à l'alcool, et tout autour devient spongieux et collant, juste assez pour ne pas rappeler la raison à son poste. Les fêtards ainsi flasquifiés perdent leurs derniers restes d'identité et s'abandonnent à n'être qu'une énergie commune, une grosse bête à cent pattes constamment menacée de désagrégation. Car il faut attendre que l'alcool ait suffisamment rongé les esprits et que la fatigue ralentisse la rotation pour enfin retrouver un semblant d'humanité.

Tous ces hommes se rendent soudain compte qu'ils ont cédé à l'appel de leur monstre poitrinal, et se sont laissés aller à étouffer leur personnalité, si bien socialement ficelée pourtant. Ils se réveillent à moitié fondus dans un inconnu, dans une position déraisonnablement désarticulée, baignés dans une soupe de salives, urines, transpirations, boissons et gamètes. La moiteur froide dégoûte, rebute, et la fierté rentre chez elle un peu souillée, pressée d'oublier l'incident au plus vite pour remonter sur son piédestal.

Aussi, il est assez aisé de haïr les fêtes. Suffi de n'y pas être plongé, d'en être sorti, voire de n'y jamais être entré. L'égo est alors assez fort pour décider de se conserver dans sa noblesse : il reconnaît la grandeur de la sobriété, honnit la bassesse des festivités, étouffe l'homme libre et vil qui jalouse ceux qui sont restés sauvages.

Ces considérations méprisantes sont bien souvent lieux communs : c'est là la comédie de la fête des voisins. À deux heures du matin, une chorale cacophonique se forme autour de battements de basses. Aussitôt, tous les légers dormeurs du quartier conjurent le diable : boules quiès, oreiller sur la tête, force jurons. Tandis que non loin un dragon d'hommes se forme, rugissant à faire trembler les murs, tous les individus environnants frémissent d'horreur et de rage, oublient par là-même qu'ils se pardonnent bien de provoquer un tapage semblable de temps à autre.

Pour ma part, je préfère reconnaître dans ces concerts impromptus un drôle de cadeau du soir. Certes, la forme manque d'harmonie et de délicatesse, mais je trouve rarement spectacle plus passionnant que la formation, seconde après seconde, d'un cortège de voix dissonantes. On dirait la chute infinie d'une horde de casseroles, et pourtant on devine que le cri tend vers la naissance d'un monstre festif. Ses grondements s'affinent inévitablement, jusqu'à pouvoir être parfaitement distingué des fioritures qui pointent quelquefois : un voisin à bout de nerfs qui se penche par dessus la fenêtre et vocifère au nom de tous les dieux.

J'ai beaucoup de complaisance pour ce démon nocturne qui nous intime de nous évader de notre forteresse d'orgueil. Je l'entends ricaner à l'heure des sorcières, et je ris de bon cœur car je ne me laisse pas aller à le haïr. Je peux lui échapper quelques heures durant. Il m'aura demain.

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