les Télrange tombent

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Cycle des Télrange #5

J/28/11/2019

Les parents Télrange s'inquiétèrent longtemps du comportement de leurs fils, qui sans cesse inventaient de nouveaux jeux, jusqu'à se frotter au danger. Ces derniers temps surtout, la fratrie avait commencé à s'adonner à la chute. S'étant vus retirer tous leurs plus beaux jouets, suite à quelques accidents graves, les enfants avaient été contraints de rabattre leur créativité sur les corps, et les éléments les plus constitutifs de leurs appartements. Ainsi, dans le même temps que chaque garçon se spécialisait dans un hobby particulier, il avait fallu qu'ils trouvassent une activité si naturellement simple que tous pourraient s'y plier. C'est pourquoi, comme chacun possédait un corps soumis à la gravité ainsi qu'un accès direct à un sol, ils décidèrent de choir. Ce choix vous semblera peut-être absurde de prime abord : qu'y a-t-il d'amusant à s'éclater le nez par terre ? Voilà bien une réflexion typique de la bêtise occidentale, toujours à chercher l'intérêt dans la fin plutôt que le plaisir dans le processus ; car les délices ne sont pas étrangers à la chute, de même que la douleur est commune à tout ce qui a chu. Je m'explique : suivant une intuition toute enfantine, les frères ont senti l'invisible fardeau que représente la nécessité de se tenir, se tenir droit, se tenir debout. La rupture soudaine de cette tension constante, de ces efforts indéfinis, procure une jouissance subite : on se laisse simplement mener par la force incompréhensible de la gravité, le cœur s'emballe, les muscles se relâchent. L'effet de brèche se répercute alors sur l'esprit, qui s'ouvre tout à coup à des réalités inaccessibles jusqu'alors. Au fléchissement des genoux, les premières étincelles scintillent à la fantaisie. Lorsque le bassin se penche, l'âme s'apprête à plonger dans un monde secret, coloré, qui prend de plus en plus de substance, jusqu'à briller d'un éclat merveilleux au moment même où l'arrête du nez rencontre le froid du carrelage. L'orgasme imaginatif est de courte durée : la douleur ramène bien vite à la fadeur des appartements, et il faut aussitôt recommencer pour tenter de retrouver ces éclats mystiques.

Après quelques heures passées à danser de la sorte, le visage des garçons s'en trouva fort dégradé. Le domestique ne tarda pas d'en informer les parents, qui convoquèrent tout de suite le tout jeune René, l'instigateur du dangereux manège. Le fils ramena sa trogne renfrognée, le groin bourré de torchons sanglants, puis se laissa savonner en boudant, bras croisés. Rien n'y fit, ni carotte ni bâton. Toujours grognon, le marmot répliquait avec un plaidoyer candide qu'on le voyait marmonner depuis tout à l'heure : mais vous, vous l'avez vu, le bain d'étoiles ? Les parents se turent, car ils savaient aux reflets merveilleux dans les yeux du garçon qu'il l'avait vu, lui. La mère, prise de pitié pour la truffe éclatée de René, lui proposa d'alléger l'activité : tombez sur vos lits, vous découvrirez la douceur du mou-choir. Tous les frères s'y mirent et, trop fatigués pour se relever, finirent par rêver.

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