j'échange

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W/27/11/2019

Hier, j'ai eu la chance de visiter une boîte échangeuse pour la première fois : quelle expérience ! Je te le dis : presse-toi de t'y rendre avant que le mouvement ne cesse, ou qu'ils se mettent à refuser tout visiteur. Les échangeurs sont les lointains héritiers de fourmillantes familles politiques aujourd'hui disparues, cloîtrés en petites communautés idylliques au fin fond d'introuvables ruelles. Chaque groupuscule compile ses propres textes de lois et se réclame d'autant de fondateurs semi-mystiques qu'il y a d'adhérents. Seul reste un principe commun d'où ils tirent leur nom : ils se doivent d'exercer la liberté d'échange la plus absolue. L'échangisme ayant déjà été breveté quelques siècles plus tôt, cette acception élargie à un degré d'échange suprême, de troc total, fut nommée échangeage.

J'ignore par quel miracle mon petit cousin a trouvé moyen de me contacter, lui que j'avais perdu de vue depuis l'enfance : il m'a pourtant indiqué l'emplacement exact de la boîte échangeuse du Petit Placard, dans un quartier miteux des tréfonds, et invité à lui rendre visite là-bas même. Bien sûr, ça n'était pas totalement désintéressé : leur communauté nécessitait en échange (leur maître-mot, décidément) une certaine assistance : le coup d'œil, contre une petite liste d'ustensiles de vie. Piqué de curiosité, je ne tardai pas à accepter, et, après quelques emplettes sommaires, je partis à l'aventure, un petit panier sous le bras. Pas de galettes ni de pots de beurre, mais les environs mal famés ne manquaient pas de loups et autres rôdeurs immoraux qui n'auraient fait qu'une bouchée de moi. Je retrouvai la faune habituelle des tréfonds les plus superficiels : loubards véreux, vieux maraudeurs louches, prostituées folles, éclopés brailleurs et autres cancéreux haletants. Je suivis à la lettre les instructions de mon cousin Baltazar, jusqu'à arriver face à la valve d'un abri nucléaire désaffecté, où deux belles toquades suffirent pour faire crisser les gonds.

Sacré contraste : un air frais et parfumé vint chatouiller mes narines emplies de gaz soufrés et pestiférés. Une main de femme m'attira à l'intérieur, un éden surchargé de simplicité où gloussait un bouquet de badins. J'allais remercier celle qui avait eu la bonté de me laisser entrer, mais je frémis à son aspect : barbue, dossée comme un vieillard et ensaucissonnée de peaux juvéniles multicolores ; c'était un homme, ou plutôt un organisme d'hommes. Je fis alors la connaissance de Bastien, Alexandre, Bertolt, Tamara,, Shiraz, Zara, Arnaud. Je n'avais pas besoin de reconnaître lequel était Baltazar : il était en petits morceaux, échangé en tous et chacun, et bien vivant. J'aurais tant à te dire sur les merveilles qu'ils m'ont enseignées, tous ces modes de vie dont on ne veut pas se douter, mais tu en sauras bien assez lorsque je serais arrivé chez toi et que tu nous reverras.

Il existait autrefois un mouvement échangeur ouvert à tous, qui ne s'astreignait pas au système communautaire. À son apogée, ses partisans étaient des centaines, qui s'échangeaient tout sur la place publique. Une déferlante de milliers de cancéreux en manque d'organes sut les disloquer et les départager en quelques minutes. Ils n'ont jamais rien rendu, et n'ont laissé des troquistes qu'un petit tas de merde.

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